Guilhem Billaudel
Agrégé d’anglais, Guilhem Billaudel est doctorant en études cinématographiques à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, où il enseigne l’anglais du cinéma et la traduction. Sa thèse, dirigée par David Roche a pour sujet d’étude la tension entre intime et spectaculaire dans le cinéma d’exploration spatiale contemporain.
Images faillibles et filiations défaillantes : les relations familiales et humaines à l’épreuve de la coupe dans 𝙂𝙧𝙖𝙫𝙞𝙩𝙮 et 𝙄𝙣𝙩𝙚𝙧𝙨𝙩𝙚𝙡𝙡𝙖𝙧
La science-fiction, lorsqu’elle s’intéresse à l’exploration spatiale et aux représentations de l’espace, est affaire de failles. Son caractère spéculatif lui permet des jeux avec le temps et l’espace, notamment à travers le motif de la « faille spatio-temporelle » (Stableford, 2004). On le retrouve dans 2001, l’Odyssée de l’Espace (Kubrick, 1968) ou Solaris (Tarkovski, 1972), où le décalage temporel propre au voyage spatial altère le destin des personnages et leurs liens familiaux. Plus récemment, dans Interstellar (Nolan, 2014) et Gravity (Cuarón, 2013), la faille temporelle et l’accélération qu’elle imprime à certains axes narratifs met en évidence les problématiques intimes des protagonistes, dans la mesure où l’éloignement du foyer originel et les décalages temporels qu’il induit creusent (quand ils ne les créent pas) de profondes failles dans leur structure familiale – dans cette perspective, La poétique de l’espace (Bachelard, 1957) autant que les travaux récents Intimacy in Cinema (Roche & Schmitt-Pitiot, 2014) et « De l’émotion temporelle » (Gomot, 20147) seront des plus précieux. Ainsi, dans ces films, les personnages de parents sont mis à l’épreuve d’un démantèlement de leurs repères affectifs et géographiques. La centralité des liens de filiation et de leur soumission aux manipulations du temps et de l’espace, en font à nos yeux un diptyque où les représentations de la parentalité et de sa défaillance se complèteraient plus qu’elles ne se feraient écho. Alors que Gravity repose sur une unité de temps classique, Interstellar ressort d’une économie de la fragmentation du récit en plusieurs trajectoires et temporalités. Là où le film de Nolan propose la représentation littérale d’une faille spatio-temporelle, celle de Gravity est d’ordre plus pragmatique : des professionnels en proie à un protocole faillible (c’est ce qu’analyse Dirk Blothner dans son article de 2017 ‘‘The Poor Ego’s Adventure in Outer Space’’). Surtout, les films semblent s’opposer dans leur manière d’appréhender le temps. Aux montages alternés d’Interstellar répond dans Gravity une économie du plan long, et souvent du plan-séquence, qui fait du film une suite de longs blocs sans coupe, du moins apparente. On pourrait donc opposer les deux films sur ce point et présenter Gravity comme un film sans faille, quand Interstellar serait bâti sur ses failles, ou ses béances, de montage et de narration – on reviendra sur la notion de « suture » telle qu’elle a pu être théorisée par Jean-Pierre Oudart (1977) puis Stephen Heath (1981) à l’aune de la théorie énergétique du montage plus récente de Teresa Faucon (2010). Il semble surtout prometteur de s’intéresser au rapport entre ces deux économies complémentaires et la représentation qu’elles permettent des failles relationnelles au cœur des deux films, et de se demander dans quelle mesure ceux-ci pensent le montage comme réparation ou au contraire comme création de failles narratives et temporelles.
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ISSN 2534-6431