Sortir de la masse. Ambivalence de la foule dans quelques films de la Nouvelle Vague tchécoslovaque

Garance Fromont

28/02/2023

Plan de l'article :

  • Cinéma et foule, une relation ambivalente
    • Un art des foules

    • La crainte des foules

    • La « masse épique »

  • Tchécoslovaquie, années 1960, un changement de perspective
    • Les jeunes, une nouvelle classe sociale
    • La fin du prolétariat ?
    • Les meneurs de foules
  • En marge de la foule
    • L’exclu des masses
    • Le fou et la foule
    • Sortir de la foule ?

 

Le médium cinématographique depuis ses origines entretient des liens étroits avec la foule : tout d’abord parce qu’elle y est un motif fréquent, des gardes sanguinaires de L’Assassinat du Duc de Guise d’André Calmettes et Charles Le Bargy1 à la masse de travailleurs dans La Foule (The Crowd) de King Vidor2, mais aussi parce que le cinéma est lui-même un art des foules. À ce titre, il a pu être suspecté d’exercer un pouvoir néfaste sur les centaines de spectateurs qui se rejoignent chaque soir dans les salles obscures. Cependant, si les relations entre foule et cinéma inquiètent les classes bourgeoises en France ou aux États-Unis, les Soviétiques en font très tôt un art au service de la Révolution en raison de sa capacité à représenter les masses prolétaires sur l’écran et à les fédérer dans la salle. À l’instar de Sergueï M. Eisenstein qui fait des masses les héroïnes d’Octobre en 19273, les cinéastes soviétiques célèbrent « le pouvoir des films à transformer l’audience en une foule politique4 », à l’époque même où Hollywood semble de plus en plus représenter la foule comme une force réactionnaire et incontrôlable. En effet, dans le cinéma soviétique des années 1920, la masse semble constituer la première phase de l’émancipation politique à l’inverse de la dimension péjorative qu’elle revêt dans le monde occidental depuis l’ouvrage fondateur de Gustave Le Bon en 18955. Toutefois la représentation de la foule évolue dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment dans les nouveaux pays du bloc de l’Est. Certains cinéastes questionnent la place de l’individu dans la masse en prenant pour référence les films des années 1920 pour mieux s’en distancier.

Cet article propose d’analyser le motif de la foule dans un corpus de films produits en Tchécoslovaquie communiste dans les années 1960, période charnière dans l’histoire de la société tchécoslovaque, mais également dans celle de son cinéma. En effet, celle-ci coïncide avec l’émergence de la « Nouvelle Vague tchécoslovaque », marquée par la figure de plus en plus prégnante de l’auteur, à l’instar de ce qui se passe en France à la même époque. Dans ce contexte, la foule devient un « personnage » ambivalent : tantôt marée d’anonymes, dont des individus ordinaires tentent de s’extraire, tantôt force menaçante, tantôt masse obéissante et inoffensive. Notre hypothèse est que ces films jouent sur une neutralisation des effets « attractionnels » de la représentation de la foule (qui comprend à la fois le cinéma comme attraction chez André Gaudreault et Tom Gunning6 et les moyens formels et effets du « montage des attractions » chez Eisenstein). Il s’agit de permettre à l’individu de retrouver son identité en dehors du groupe. Après avoir rappelé le rôle de la foule dans le cinéma soviétique, nous analyserons le devenir-foule de la masse, c’est-à-dire lorsqu’elle se constitue en force agissante, qu’elle soit docile ou menaçante, et la manière dont ce « personnage » est représenté dans les films. Nous nous interrogerons ensuite sur l’identité de la foule dans ce corpus et ce qu’elle dit de la société tchécoslovaque, entre foule urbaine ou rurale, foule étudiante, prolétaire, etc. Enfin, nous verrons comment ce corpus semble structuré par l’opposition entre masse(s) et individu et la manière dont celui-ci se définit par rapport au groupe auquel il appartient.

 

Cinéma et foule, une relation ambivalente

Un art des foules

Le cinématographe des Frères Lumière naît de la foule ; tout d’abord parce que dès les premières bandes filmées il met en scène des foules, celle des travailleurs de l’usine Lumière à Lyon ou celle des voyageurs attendant le train sur le quai de la gare de La Ciotat ; mais aussi parce qu’il est à son origine un spectacle à destination des foules. Emmanuel Plasseraud rappelle la « tactique commerciale » des opérateurs Lumière : « filmant la foule arpentant les quais de gare, les grands boulevards ou les places publiques, et avisant les passants du lieu où les images allaient être projetées dans la soirée, l’opérateur les transformait en acteurs malgré eux, puis en spectateurs potentiels d’eux-mêmes, attirés par la curiosité de voir leur propre photographie bouger7 ». Jan Kříženecký – le premier cinéaste tchèque – filme des vues similaires à Prague au début du XXe siècle : la sortie de caserne des pompiers de Staroměstka (Staroměstští hasiči)8 qui par un effet de cadrage semble se ruer sur les spectateurs, ou les baigneurs de Žofín (Žofínská plovárna9 effectuant multiples acrobaties pour la caméra, dans deux films réalisés en 1898. Cependant, si ces films jouent sur des effets de démonstration des capacités techniques du cinématographe, Jan Kříženecký prend très tôt conscience que l’enjeu est aussi de garder une trace des grands événements de l’histoire de la nation tchèque qui commence à réclamer son indépendance. Il filme ainsi l’exposition jubilaire10 de la chambre de commerce en 1908 (Jubilejní výstava obchodní a živnostenské komory)11 et sa foule de bourgeois venus admirer le progrès en marche ou encore l’inauguration du Nouveau Pont Čech (Slavnost otevření nového Čechova mostu)12, symbole du rayonnement de la culture nationale, construit entre 1905 et 1908 par les architectes Jan Koula and Jiří Soukup et nommé d’après l’écrivain Svatopluk Čech. Prague y apparaît comme la quintessence de la ville moderne et éclairée, tournée vers le progrès et les inventions techniques, dont le cœur bat au rythme de sa foule de citoyens tchèques progressivement émancipés de l’Empire austro-hongrois.

 

La crainte des foules

Même au-delà des premières vues du cinématographe, lorsque les films sont devenus davantage narratifs qu’attractionnels, la foule est restée l’un des sujets de prédilection du cinéma. Comme le remarque Michael Tratner, « sans surprise, les films les plus populaires ont toujours été remplis d’immense plans de foule, de Naissance d’une Nation, en passant par Autant en emporte le vent jusqu’à Titanic13 », avec cependant une oscillation entre fascination et répulsion pour cette force agissante qui menace sans cesse de provoquer le chaos. C’est que la foule inquiète, elle menace de se laisser aller à sa « rage destructrice », voire de se transformer en « masses de renversement », pour reprendre les termes d’Elias Canetti dans Masse et puissance14. Si la foule n’est en rien l’apanage des sociétés modernes, il suffit de lire Canetti pour s’en convaincre, c’est cependant au XIXe siècle, dans l’ère de la Révolution industrielle, qu’elle commence à être identifiée, étudiée comme groupe social, et représentée comme un thème littéraire15. En 1895, année de l’invention du cinématographe, Gustave Le Bon synthétise dans Psychologie des foules, près d’un siècle d’analyse et d’inquiétudes provoquées par l’entrée dans l’ère des foules Le Bon considère en effet que « la psychologie des foules montre à quel point les lois et les institutions exercent peu d’action sur leur nature impulsive et combien elles sont incapables d’avoir des opinions quelconques en dehors de celles qui leur sont suggérées16 » ou encore que la foule « forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules ». Il est saisissant de voir les liens que ces réflexions entretiennent avec des films qui font de la foule un véritable personnage, notamment La Foule de King Vidor, où le protagoniste John Sims, finit par être absorbé dans cette masse informe composée de centaines d’individus aliénés qui ne sont qu’un seul corps. Mais c’est une foule qui ne pense pas, qui ne fait qu’avancer sans volonté au risque de piétiner ceux qui sont à contre-courant. Michael Tratner remarque que « pendant la première moitié du XXe siècle, il y a souvent une crainte répétée que toute foule qui commence à penser à la politique menace de se transformer en une foule épousant une politique anti-individualiste17 », c’est-à-dire balayant aussi l’idéal du « rêve américain » et de son « self-made man ». À la même période, dans la jeune Tchécoslovaquie fondée en 1918, les personnages sont aussi des travailleurs qui veulent se faire une place dans la foule d’anonymes. Celle-ci apparaît surtout comme désœuvrée, à l’image des bandes de travailleurs joyeusement décadents dans De Samedi à dimanche (Ze soboty na nedeli) de Gustav Machatý18 qui cherchent à se distraire dans la vie nocturne praguoise, ou de la marée humaine des bas-fonds que l’avocat František Uher tente de sauver dans Batalion de Miroslav Cikán19. Elle peut devenir nettement plus dangereuse lorsqu’elle se transforme en « foule criminelle » pour reprendre le terme de Le Bon dans La Peste blanche (Bílá nemoc) d’Hugo Haas20 d’après la pièce de Karel Čapek où une horde fanatique se met à tout détruire sur son passage. Mais déjà dans les années 1930, sous l’influence du cinéma de la décennie précédente en URSS, des cinéastes commencent à représenter la nécessité pour les individus de se constituer en masse pour devenir une force politique.

 

La « masse épique »

En effet, dans le cinéma soviétique, la foule jouit d’une représentation cinématographique nettement plus positive, mais se veut également un spectacle qui s’adresse aux foules, pour les élever vers une révélation politique. À l’opposée d’une « cinéphobie » qui se développe dans la critique, en France notamment, craignant les effets potentiellement hallucinatoires du spectacle cinématographique sur les masses populaires21, Lénine élit le cinéma « le plus important de tous les arts », phrase qui sera reprise par Staline lors de son accession au pouvoir22. Sergueï M. Eisenstein, l’un des artisans de cet art au service de la Révolution, écrit que « le cinéma soviétique, avant toute chose, a pour but l’éducation des masses. Il tend à leur donner culture générale et formation politique. […] La situation doit être rendue claire ; les masses, alors, doivent être soulevées par l’enthousiasme. Un thème fascinant pour un film23 ». Ainsi, le cinéma soviétique, loin de craindre la masse, s’y adresse, tentant de transformer le public des spectateurs individuels en un collectif politisé par une série de chocs émotionnels. Dans le célèbre texte sur le montage des attractions au cinéma, Eisenstein considère le cinéma « comme un facteur d’influence émotionnelle sur les masses » dont le but est de parvenir au « façonnage [du] spectateur dans le sens désiré à travers toute une série de pressions calculées sur son psychisme24 ». Aussi le collectif de la salle est-il amené à s’identifier avec le collectif qui apparaît à l’écran, dont Eisenstein fait un véritable personnage. Octobre, avec sa structure dialectique, met en scène la constitution d’une foule révolutionnaire, non plus désorganisée et vulnérable comme l’était le peuple victime des exactions des soldats tsaristes dans la première partie du film, mais unie et prête à renverser les rapports de force préétablis. Par le montage, les images d’individus épars constituent une véritable force agissante et déterminée. Eisenstein utilise notamment la figure de la métonymie, en alternant des gros plans sur les visages des travailleurs et des plans d’ensemble sur la foule pour lui donner une identité, celle des prolétaires qui s’apprêtent à récupérer le pouvoir. Comme le souligne Pierre Sorlin, l’avènement de la classe des prolétaires en tant que groupe trouve son apogée dans la séquence de la défaite de Kornilov :

[de] manière insistante, dans un montage rapide mais très clair, des mains s’emparent de fusils. L’image du début, dit-il est inversée, les armes ne se déplacent pas seules : le peuple les saisit parce que, cessant d’être un groupe amorphe, il est devenu un corps actif qui se constitue en classe ; il est désormais le prolétariat. Dans tout le film, Lénine ne fait que trois brèves apparitions. Il montre une voie, mais c’est la masse politisée qui, au pas de charge, se saisit du pouvoir25.

Délaissant les « héros romantiques vendus », « fabuleuses figures, glorifiées par des érudits acquis aux intérêts de leur classe et à leurs descendants26 », Eisenstein fait de la masse le véritable « héros » d’Octobre, en tant que force agissante révolutionnaire. C’est dans une certaine mesure le rôle qui lui est assigné dans les vues représentant les exercices gymnastiques effectués dans un même geste par les groupes Sokol27 que Kříženecký filme à Prostějov en 1908, où la masse n’incarne plus le Prolétariat mais la Nation. Réunis dans un plan large, les individus effectuent les mêmes gestes à l’unisson. La caméra les filme comme un seul corps, vigoureux, qui par l’intermédiaire du cinéma s’inscrit désormais dans l’histoire. Dans les années 1930, un cinéma social se développe en Tchécoslovaquie et met au premier plan la lutte des travailleurs qui défendent leurs intérêts. En 1934, Martin Frič réalise Ho ! Hisse ! (Hej-Rup !)28 d’après un scénario de Jiří Voskovec et Jan Werich, deux des acteurs du Théâtre libéré (Osvobozené divadlo) de Prague qui raconte comment des ouvriers au chômage fondent une coopérative. La popularité de ces thèmes va aller croissant lorsque le Parti communiste tchécoslovaque arrive au pouvoir après la Seconde Guerre mondiale.

 

Tchécoslovaquie, années 1960, un changement de perspective

Les jeunes, une nouvelle classe sociale

Le nouveau gouvernement instauré après le « coup de Prague » est tout à fait conscient de l’importance du cinéma en tant qu’outil de propagande. Les cinéastes participent activement à l’exaltation de la grandeur des classes populaires, notamment à partir d’événements historiques comme le soulèvement national slovaque contre les nazis dans La Tanière des loups (Vlčie diery) de Pal’o Bielik29 en 1948, ou la résistance tchèque des derniers jours de la Deuxième Guerre mondiale dans La Barricade muette (Němá barikáda) d’Otakar Vávra30 en 1949. Les premiers réalisateurs formés à l’Académie du Film de Prague (FAMU) fondée en 1945, tels que Karel Kachyňa ou Vojtěch Jasný, dans un premier temps épousent l’esthétique et les thèmes du « réalisme socialiste » qui s’impose dans tout le bloc de l’Est. Cependant, à la fin des années 1950, alors que s’amorce un processus de déstalinisation, le cinéma tchécoslovaque s’essouffle et les productions satisfont de moins en moins le public comme le Parti. En 1959 a lieu la première édition du Festival du film tchèque et slovaque de Banská Bystrica, officiellement lieu de rencontre des cinéastes de la production contemporaine, afin de discuter de l’orientation que doit prendre le cinéma tchécoslovaque dans les années 1960. L’objectif est de permettre le rayonnement du pays à l’international. Peu de temps après l’ouverture du Festival, trois films programmés sont interdits pour des raisons à la fois idéologiques et esthétiques, ce qui provoque une crise de confiance entre la profession et le gouvernement31. Sans doute les frustrations des cinéastes et de leurs collaborateurs, qui enseignent pour certains à la FAMU, vont-elles encourager la génération suivante à s’affranchir des représentations devenues stéréotypiques des productions des décennies précédentes pour proposer un regard singulier sur la société tchécoslovaque contemporaine. Un nouveau groupe social émerge à cette époque, celui des « jeunes ». Comme le remarque Martine Godet à partir de l’exemple de l’URSS de la fin des années 1950 :

La jeunesse occupe une place centrale dans le système symbolique du Dégel. C’est à ce moment qu’elle émerge en tant que génération autonome, en lien avec le retour de l’individu qui caractérise la période. Beaucoup de ces jeunes n’ont plus de pères, morts à la guerre – et donc plus de modèle. Les anciens canaux de communication intergénérationnelle ne fonctionnent plus. Sur les aînés pèse par ailleurs le poids de l’héritage stalinien32.

Pareillement, au début des années 1960 une nouvelle génération de cinéastes, anciens étudiants de l’Académie du film de Prague (FAMU) vont faire de la jeunesse, le sujet central de leurs films. Ainsi le premier long-métrage de Miloš Forman, L’As de pique (Černý Petr)33 en 1963 d’après un scénario co-écrit par M. Forman et Jaroslav Papoušek, s’attarde sur les soirées dansantes auxquelles assistent les jeunes Praguois pendant leur temps libre. La caméra filme tout d’abord la piste de danse en plan large où l’accumulation d’individus dans le cadre provoque un sentiment d’étouffement, comme si de la masse il n’était pas possible de sortir. Elle s’infiltre ensuite parmi les jeunes gens grâce à des plans tournés en caméra à l’épaule où il est presque impossible de distinguer des visages ou des signes distinctifs. Ce nouveau rituel social y apparaît extrêmement codifié, les garçons et les filles faisant table à part, les premiers invitant les secondes à danser. Les deux groupes se retrouvent sur la piste où ils effectuent des pas de rock’n’roll, sous le regard de leurs chaperons. Mais c’est aussi une arène impitoyable pour celles et ceux qui n’ont pas de partenaire ou qui sont trop timides pour danser. La représentation de cette foule d’adolescents blasés que rien n’impressionne contraste en tous points avec les foules épiques des films d’exaltation de la souveraineté nationale. Ici la masse n’a pas d’identité particulière ni ne cherche un but collectif autre que celui d’attendre que le temps passe.

 

La fin du prolétariat ?

Le cinéma des années 1960 n’abandonne cependant pas la représentation d’une foule urbaine nettement plus hétérogène qui partage avec les jeunes un certain désœuvrement. Dans Du courage pour chaque jour (Každý den odvahu)34, réalisé par Evald Schorm, d’après un scénario d’Antonín Máša, le personnage principal Jarda, ouvrier et militant communiste, croit au début du film appartenir à une classe dont il se sent solidaire, celle des prolétaires auxquels il dédie son engagement politique. Pourtant, au fur et à mesure, il se sent de plus en plus isolé dans le groupe auquel il est supposé appartenir, ses efforts pour convaincre les travailleurs des bienfaits de l’idéologie socialiste se révélant toujours plus vains. Il assiste au congrès du Parti communiste tchécoslovaque où est annoncée une prise de distance avec le « culte de la personnalité ». Jarda se retrouve progressivement sans repères. Dans l’une des séquences, il prononce un discours sur l’importance de la responsabilité individuelle dans le bien-être collectif pour débuter une soirée consacrée à une représentation de music-hall destinée aux habitants du quartier. Mais le discours n’a pas l’effet escompté, la plupart des membres de l’audience ne l’écoutant que d’une oreille, et il finit par s’embrouiller avant de conclure précipitamment et de quitter la scène sous les rires amusés des spectateurs. Par l’intermédiaire de la scène qui sert de séparation physique entre le personnage et la foule, et par le montage en plan contre-champs, Schorm rejoue la séquence du discours de l’ouvrier bolchevique dans Les Derniers Jours de Saint-Pétersbourg de Vsevolod Poudovkine35 en la détournant. Acclamé par la foule battant des mains, l’ouvrier était le relai du peuple en opposition avec les hommes du tsar qui ne s’exprimaient que par des paroles vides. A contrario, Jarda, tout en reprenant le discours révolutionnaire, est irrémédiablement séparé de la foule devant laquelle il apparaît comme un pantin. Quelques instants plus tard, il est pris à parti pour une démonstration de magie, achevant ainsi le rôle clownesque qu’il joue malgré lui dans ce theatrum mundi. C’est que la foule qu’il a devant lui n’est pas celle de travailleurs éclairés conscients de leur rôle dans une société collectiviste, mais plutôt celle d’hommes et de femmes d’âges différents venus se divertir. Jarda fait ainsi l’expérience d’un basculement identifié par Saša Vojković selon laquelle « avant la Seconde Guerre mondiale, les cinéastes soviétiques et américains croyaient que les “masses” représentées dans les films étaient des catégories factuelles et non fictionnelles, tandis que le cinéma politique d’après-guerre a perdu la foi en l’existence réelle d’un prolétariat ou de toute autre entité collective36 ». Tout le film décrit ainsi la désillusion de Jarda envers l’existence de ce que l’on pourrait appeler les deux paramètres nécessaires au cycle d’émancipation politique moderne étudié par Alain Badiou, à savoir les masses et le Parti37. Conscient de la vanité de son combat politique, il se replie peu à peu sur lui-même, après avoir compris qu’il a œuvré pour une idéologie moralement condamnable plutôt que d’écouter sa conscience individuelle.

 

Les meneurs de foules

Si la masse n’est plus cet ensemble d’individus qui « partagent un point de vue commun sur le monde et considèrent que leur expérience est partagée par les autres38 » telle qu’elle pouvait être célébrée dans les années 1950, les cinéastes des années 1960 vont aussi interroger ce qui soude la foule et la constitue en un collectif. Dans le film de Schorm, le protagoniste est frappé de découvrir à quel point il a été trompé par une idéologie qui masquait la décadence morale dans laquelle est plongé le monde contemporain. La façon dont ces fausses idées se diffusent est peu montrée dans Du courage pour chaque jour, Jarda n’étant pas suffisamment bien placé dans le Parti pour en saisir le fonctionnement. Peu de films s’y sont essayés au risque d’être rattrapés par la censure, à l’instar de L’Oreille (Ucho) de Karel Kachyňa39 d’après un scénario de Jan Procházka qui décrit le processus de surveillance jusque dans les plus hautes sphères du gouvernement. En 1966, un autre cinéaste, Jan Němec, dans un film co-écrit avec Ester Krumbachová, peint le portrait d’une foule manipulée, voire aliénée par d’inquiétants meneurs. Dans La Fête et les invités (O slavnosti a hostech)40, des individus ordinaires s’apprêtent à partager ensemble un pique-nique avant de rejoindre une fête. Sur le chemin, ils se font surprendre par un homme et ses associés qui les soumettent à un humiliant et violent interrogatoire en les menaçant avec des fusils. C’est le fils adoptif de leur hôte, Rudolf, qui s’est diverti à leurs dépens. Le groupe finit par rejoindre les autres invités dans les bois et prend place à leurs tables. Au cours du repas, une femme éclate en sanglots. Son époux a quitté la fête sans dire un mot. Contrarié par cette absence, Rudolf demande l’autorisation de partir à la recherche du fugitif. Il part armé avec une vingtaine d’invités et lâche un chien pour retrouver sa trace. Le film a souvent été analysé comme une parabole dont « les implications politiques [...] sont si évidentes qu’il semble impossible que n’importe quel Tchèque allégoriquement éclairé [allegory-conscious] ne comprenne pas le message41 » selon les mots de Peter Hames. Celui-ci remarque d’ailleurs que l’hôte ressemble étrangement à Lénine. L’une des analyses possibles de La Fête et les invités est d’y voir la mise en place d’un système totalitaire contrôlé arbitrairement par des hommes cruels contre lesquels les invités, progressivement aliénés, sont incapables de se rebeller. Les cadrages restent très serrés sur les personnages, souvent des plans rapprochés à la poitrine, mais il y a une telle accumulation de visages que les seuls personnages identifiables par les spectateurs sont ceux du pique-nique initial, ainsi que l’hôte et Rudolf. Ce n’est ici pas une masse organisée ou solidaire qui est représentée, mais l’agglomération de multiples individualités égoïstes, justement incapables de se constituer en collectif pour se soulever contre le rôle qui leur est assigné42. Rudolf incarne un véritable « meneur de foule », selon le terme de Gustave Lebon, non pas « des hommes de pensée, mais d’action. Ils sont peu clairvoyants, et ne pourraient l’être, la clairvoyance conduisant généralement au doute et à l’inaction. Ils se recrutent surtout parmi ces névrosés, ces excités, ces demi-aliénés qui côtoient les bords de la folie43 ». Rudolf, par ailleurs l’un des seuls personnages à être identifié par un nom, se laisse emporter par son désir narcissique de contrôler la foule d’anonymes qui l’entoure. Dans l’une des séquences du film, il se lance à lui-même une sorte de salut nazi. Mais en vérité, il préserve le pouvoir de l’hôte, qui tout habillé de blanc, ne salira pas ses mains jusqu’à la traque finale menée par Rudolf. Ainsi, par l’intermédiaire de ces deux personnages, émerge une figure individuelle inquiétante. Mais d’autres individus vont également se démarquer, non parce qu’ils sont au-dessus de la foule comme les meneurs mais parce qu’ils en sont continuellement en marge.

 

En marge de la foule

L’exclu des masses

Si ces films viennent opérer un changement de perspective sur la foule, a contrario du cinéma des masses épiques de la décennie précédente, c’est aussi parce qu’ils proposent une réflexion sur les relations entre le groupe et l’individu. Il pourrait d’ailleurs s’agir de l’un des dénominateurs communs des films de la Nouvelle Vague tchécoslovaque. Ce renouveau du traitement des personnages est déjà repéré par Martine Godet dans le cinéma soviétique dit du « Dégel » des années 1950, dont « l’essence [...] réside dans une mouvance anti-héroïque qui s’écarte des thèmes liés à l’exaltation de la patrie pour se tourner vers l’individu44 ». Cela passe, dit-elle, par une simplification du message filmique en opposition tranchée avec le cinéma héroïque, l’abandon du solennel et de l’emphatique pour davantage de simplicité et de spontanéité45 ». En effet, les personnages des films de la Nouvelle Vague sont souvent des individus ordinaires et sans histoires, des ouvriers à l’instar de Jarda dans Du courage pour chaque jour, ou des jeunes en quête d’un sens à leur existence tels Petr dans L’As de pique. Au moment où le film rattrape le fil de leur vie, la plupart sont des « hommes des foules », c’est-à-dire des individus qui n’existent que dans la masse, où ils peuvent échapper à leur irréductible solitude comme le soulignent les choix de cadrage, tantôt larges tantôt très resserrés. Mais certains ne peuvent pas parvenir à cette existence collective, lorsqu’ils sont exclus de la foule et contraints à ne vivre qu’en marge de la communauté. En 1968, Jaromil Jireš adapte avec Zdeněk Bláha le roman de Milan Kundera La Plaisanterie (Žert)46 qui raconte justement l’amertume d’un individu exclu du groupe à cause d’une raillerie politique écrite dans sa jeunesse et pour laquelle il a été sévèrement puni. Dans le roman, la scène de la punition est relatée au discours indirect en quelques lignes. Ludvík après un moment d’introspection où il s’admet coupable d’une faute, fait son autocritique sincère auprès de ses camarades étudiants et propose lui-même son exclusion du Parti. Personne ne prend alors la parole pour le défendre :

La discussion ouverte à la suite de mon intervention autocritique tourna à mon désavantage ; personne ne vint à mon secours, si bien qu’à la fin, tous (une centaine, dont mes professeurs et mes condisciples les plus proches), oui, tous, jusqu’au dernier, levèrent la main pour approuver non pas seulement mon exclusion du Parti, mais de surcroît (à ceci je ne m’attendais pas du tout) l’interdiction de poursuivre mes études47.

Dans l’adaptation cinématographique, l’exclusion de Ludvík débute par un travelling en vue subjective où le personnage est dévisagé par une foule d’anonymes au rythme de l’air russe Kalinka qui constitue un leitmotiv sonore tout au long du film. La séquence de la punition est insérée en flashback dans un montage parallèle avec une cérémonie de bienvenue aux nouveau-nés à laquelle assiste Ludvík sans y avoir été invité et où il reconnaît son vieil ami Jaroslav. L’entremêlement des temporalités suggère à quel point le passé continue de hanter Ludvík, même des années après. Pavel Zemánek débute la discussion du « cas de Jahn » avec la lecture d’une lettre de Julius Fučík, militant communiste et résistant, assassiné par les nazis en 1943. Le montage qui mêle le cérémonial très ritualisé et le simulacre de procès vient dévoiler la facticité de chaque scène, révélant que Ludvík n’avait aucune chance d’échapper à son exclusion. C’est aussi l’une des séquences où le commentaire en voix-off qui accompagne tout le film se tait et où la caméra adopte de nouveau le point de vue subjectif du protagoniste, assis au milieu de la foule, face aux étudiants qui se sont improvisés juges. L’une d’entre eux lui demande « ce qu’auraient pensé les camarades qui n’ont pas survécu ? » et l’exclusion du Parti est suggérée par Zemánek. Tandis que les mains se lèvent pour approuver, la musique interprétée par l’orchestre qui accompagne le cérémonial de bienvenue reprend comme un contrepoint à la gravité de la scène, et c’est le Ludvík du présent qui regarde ses camarades et anciens professeurs voter pour son exclusion. La scène pourrait s’analyser en regard des propos de René Girard sur la fabrique du bouc émissaire :

La foule, par définition, cherche l’action mais elle ne peut pas agir sur les causes naturelles. Elle cherche donc une cause accessible et qui assouvisse son appétit de violence. Les membres de la foule sont toujours des persécuteurs en puissance, car ils rêvent de purger la communauté des éléments impurs qui la corrompent, des traîtres qui la subvertissent48.

Ainsi la punition de Ludvík est-elle le moyen d’expurger la communauté, ici l’université, d’un élément qui menace son équilibre – dans le roman il est précisé que « déjà auparavant (et sans doute avec raison) les camarades [lui] reprochaient des “résidus d’individualisme”49 ». Mais ce bannissement masque aussi les désirs individuels de Zemánek d’écarter un rival ou d’assouvir son appétence pour être un meneur de foules, ni le roman ni le film ne sont clairs à ce sujet. Cependant La Plaisanterie met aussi en scène la vengeance ratée d’un exclu de la foule qui comprend à ses dépens « qu’un destin souvent s’achève bien avant la mort50 ».

 

Le fou et la foule

D’autres personnages sont d’irréductibles exclus, lorsqu’ils ne se fondent pas dans la foule parce qu’ils sont diamétralement différents. C’est le cas des fous et autres monstres, figures de l’étranger par excellence, qui sont sans cesse à contre-courant de la foule. Dans La Fable mystique, Michel de Certeau considère que les personnages de fou opèrent « un point de fuite par où ils nous détournent vers un absolu51 ». Il ajoute : « il s’agit d’un écart vers un autre pays, où la folle (la femme qui se perd) et le fou (l’homme qui rit) créent le défi d’un délié52 ». Dans Le Septième jour, la huitième nuit (Den sedmý, osmá noc)53, réalisé entre 1968 et 1969 mais qui n’atteignit jamais les écrans à cause de la censure, Evald Schorm et son scénariste Zdeněk Mahler renouent avec la tradition du « fou mystique ». Le film se déroule dans un petit village remué par l’arrivée d’une troupe de comédiens itinérants venus interpréter un spectacle sur la résurrection du Christ. Dans la séquence d’ouverture, Josef, surnommé « Blazén », littéralement le fou, fait des prédictions apocalyptiques que personne ne prend au sérieux. Pour le ridiculiser, un habitant lui enfile autour du coup un licol et Josef se met immédiatement à imiter un cheval se laissant cravacher par ses persécuteurs. Dans la société communiste des années 1960, le fou du village est un parasite : il ne travaille pas pour la collectivité, il vit de la générosité de ceux qui l’entourent et dit tout haut ce qu’il pense, même si ses paroles ne sont comprises que de lui-même. Mais à mesure qu’une série d’événements inquiétants se produit et commence à alarmer les habitants, les prédictions de Josef font sens, appuyées par des plans en plongée totale qui suggèrent qu’une chose d’un autre monde s’apprête à s’écraser sur la terre. Les uns s’organisent en milices, tentant de tirer profit de la situation, tandis que les autres cèdent à la panique. Les comédiens commencent à être tenus pour responsables du malheur à venir. Lors de la dernière représentation, les habitants sont pris d’une folie générale et se mettent à agir de manière inconsidérée, s’adonnant tantôt à des accès de violence, tantôt à des actions insensées, se transformant en foule où il devient impossible de distinguer les individus. Dans ce renversement quasi carnavalesque, la folie devient la norme et laisse la place à l’anarchie. Ainsi, le professeur s’apprêtant à assassiner le chef de gare se justifie-t-il en lui affirmant qu’ « il y a plus de morts que de vivants. Rien n’est faux ». La séquence finale participe à une démystification de la fausse tranquillité de ce village calme de province où toutes les figures d’autorité sont renversées : l’actrice incarnant la Vierge est violée par un groupe de villageois dont le maire du village – arguant que « lorsque tout le monde est coupable, personne n’est coupable » –, le Christ est poursuivi par des matrones, le professeur se transforme en assassin. Seul Josef ne participe pas au déchaînement général, et erre dans la ville désertée. Le film se clôt sur une image christique de Josef, attendant les bras ouverts les mystérieux envahisseurs de la terre. Le marginal devient alors l’ambassadeur malgré lui de l’humanité toute entière.

 

Sortir de la foule ?

Si Le Septième jour, la huitième nuit est un film allégorique, voire spectaculaire, un ensemble de films de la même période, dont L’As de pique et Du courage pour chaque jour, se démarque en mettant l’accent sur l’anti-spectaculaire, la représentation du quotidien et les personnages ordinaires. Dans ces productions où l’individualité d’un ou d’une seul(e) est mise au premier plan, la foule est mise à distance, à l’instar de ce qui se produit dans Éclairage intime (Intimní osvětlení) d’Ivan Passer54 où le personnage principal Petr, violon soliste à Prague, se retire temporairement de l’agitation de la grande ville pour revenir dans son village natal. Mais d’autres personnages ordinaires semblent animés par le besoin de se démarquer de la foule en sortant de l’anonymat de la masse. C’est tout le sujet de L’Audition (Konkurs)55, réalisé par Miloš Forman autour d’une audition des futures chanteuses du théâtre populaire Semafor de Prague. Dans la succession des démonstrations des aspirantes, Forman insère les portraits fictifs de deux jeunes Praguoises, une pédicure ambitieuse et une chanteuse amatrice empêchée par sa timidité. Forman, plus que tous les cinéastes de cette même époque, se distingue par son utilisation des plans rapprochés, qui par leur multiplication dans ses films ont tendance à ne pas singulariser les individus qu’ils isolent, mais au contraire, par un montage rapide, à les perdre encore davantage dans la masse. Ainsi dans L’Audition, les jeunes filles se succèdent, toutes particulières avec des voix souvent très différentes, certaines se démarquant des autres, mais leur identité n’est pas nommée, car seules celles qui seront sélectionnées deviendront quelqu’un, selon l’expression consacrée. L’Audition renoue avec la culture du spectacle à laquelle le cinéma des premiers temps était intrinsèquement lié et que Tom Gunning et André Gaudreault définissent comme un « cinéma des attractions » :

un moment de pure « manifestation visuelle56 », qui se caractériserait par une reconnaissance implicite de la présence du spectateur auquel l’attraction se confronte directement et de manière, disons, exhibitionniste. L’attraction est là, devant lui, le spectateur, pour être vue. Elle n’existe, stricto sensu, que pour se donner à voir57.

André Gaudreault remarque aussi la parenté de l’attraction dans le cinéma des premiers temps et le montage des attractions chez Eisenstein, dans la mesure où elles « dérivent toutes deux, directement, du même fonds commun de la culture du spectacle ayant cours en ce début du vingtième siècle58 ». Or, tout en reprenant des éléments primitifs du spectacle cinématographique, la mise en scène et le montage de L’Audition semblent plutôt produire des effets « anti-attractionnels ». La multiplication des plans n’accélère pas le rythme des séquences, mais en dilate la durée, des interminables prestations des jeunes femmes qui chantent le plus faux, à l’installation des spectateurs pour assister à la prestation d’un groupe amateur. Dans cette foule d’individus anonymes, qui reste au fond très banale, les deux protagonistes animées par le désir d’être reconnues comme singulières sont étouffées et manquent d’air, l’une d’entre elles aura même le souffle quasi coupé par la timidité. Car rien à proprement parler ne se manifeste à l’écran : pas de prestation remarquable, pas de naissance de la star. Et pourtant c’est dans L’Audition que se distingue le regard d’un cinéaste. Ainsi Miloš Forman ouvre-t-il en 1963 les quelques années où le jeune cinéma tchèque sort de la foule en représentant les individus les plus ordinaires réclamant le droit à la singularité et à l’existence en dehors du groupe.

 

Conclusion : attendre le retour des foules

En août 1968, après le Printemps de Prague où la société tchécoslovaque connaît des avancées politiques révolutionnaires dans la reconnaissance des droits de l’individu, les troupes du Pacte de Varsovie envahissent Prague et destituent le Premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček. Le 16 janvier 1969, pour protester contre la confiscation des libertés et l’indifférence de l’Europe occidentale et de ses concitoyens face à l’invasion, Jan Palach, un étudiant de l’Université Charles de Prague, s’immole par le feu sur la place Venceslas. Ce sacrifice ultime de l’individu face à la machine totalitaire accompagne l’entrée du pays dans une période dite de « normalisation » où le gouvernement renoue avec un socialisme autoritaire. Cependant, au même moment, en 1969 Jaromil Jireš réalise le conte surréaliste Valérie au pays des merveilles (Valerie a týden divů)59 d’après le roman de Vítězslav Nezval qui relate les errances confuses d’une adolescente de 13 ans dans un rêve sans repère où elle est séduite par des prêtres, des vampires. Pendant cette période, des films à destination du grand public, moins apparents que ceux de la Nouvelle Vague dans leurs interrogations politiques, vont continuer d’être réalisés comme Adèle n’a pas encore dîné (Adéla ještě nevečeřela) d’Oldřich Lipský60 où une plante carnivore dévore littéralement les individus qui s’en approchent. Sans en faire des manifestes anti-socialistes, on pourrait considérer ces films comme des traces de la résurgence de certaines problématiques que l’invasion de 1968 a tenté de réprimer. Il faudrait pour conclure souligner le rôle majeur que jouera vingt ans plus tard une autre foule, celle de la Révolution de Velours, dont les protestations conduiront à la chute du gouvernement communiste tchécoslovaque en décembre 1989.

 


Références

Corpus primaire

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Corpus secondaire

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1 André Calmettes et Charles Le Bargy, L’Assassinat du Duc de Guise, Le Film d’art, France, 1908, 18 min.

2 King Vidor, La Foule [The Crowd], Metro-Goldwyn-Mayer Pictures, États-Unis, 1928, 98 min.

3 Sergueï M. Eisenstein, Octobre [Октябрь], Sovkino, URSS, 1927, 102 min.

4 Michael Tratner, Crowd Scenes: Movies and Mass Politics, New York, Fordham University Press, 2008, p. 6 [traduction personnelle].

5 Gustave Le Bon, Psychologie des foules [en ligne], Paris, Éditions Payot & Rivages, 2020 [1895], URL : https://doi-org.ezproxy.u-paris.fr/10.3917/puf.bon.2013.01, consulté le 6 décembre 2022.

6 Voir André Gaudreault, Cinéma et attraction : pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008 et Tom Gunning, « Cinéma des attractions et modernité », Vincente Duchel (trad.), Cinémathèque, n°5, printemps 1994.

7 Emmanuel Plasseraud, L’Art des foules, Théories de la réception filmique comme phénomène collectif en France (1908-1930) [en ligne], Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, URL : https://books.openedition.org/septentrion/46052, consulté le 6 décembre 2022.

8 Jan Kříženecký, Les Pompiers de Staroměstka [Staroměstští hasiči], Autriche-Hongrie, 1898, 1 min.

9 Jan Kříženecký, Une baignade à Žofín [Výjev z lázní žofínských], Autriche-Hongrie, 1898, 1 min.

10 Les Expositions jubilaires ou Jubilejné zemské výstavy sont des foires industrielles et commerciales organisées dans l’Empire austro-hongrois à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans la lignée des expositions universelles, il s’agissait de présenter et de vanter les mérites des progrès techniques et inventions réalisées. Les expositions de Prague furent aussi l’occasion de diffuser des idées nationalistes, et d’effectuer un premier pas vers l’indépendance.

11 Jan Kříženecký, Exposition jubilaire de la chambre de commerce et de l’artisanat [Jubilejní výstava obchodní a živnostenské komory], Autriche-Hongrie, 1908, 1 min.

12 Jan Kříženecký, Inauguration du nouveau pont Čech [Slavnost otevření nového Čechova mostu], Autriche-Hongrie, 1908, 1 min.

13 Michael Tratner, Crowd Scenes, op. cit., p. 3, “not surprisingly, the most popular movies have always been full of immense crowd shots, from The Birth of a Nation through Gone with the Wind to Titanic” [traduction personnelle].

14 Elias Canetti, Masse et puissance [1960], Robert Rovini (trad.), Paris, Gallimard, 1966.

15 Voir aussi Susanna Barrows, Miroirs déformants, réflexions sur la foule en France à la fin du dix-neuvième siècle, Suzanne Le Foll (trad.), Paris, Aubier, 1990.

16 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, op. cit.

17 Michael Tratner, Crowd Scenes, op. cit., p. 3 : “throughout the first half of the twentieth century there was an often-repeated fear that any crowd that began thinking about politics was in danger of turning into a mob espousing anti-individualist politics” [traduction personnelle].

18 Gustav Machatý, De Samedi à dimanche [Ze soboty na nedeli], AB Barrandov, Tchécoslovaquie, 1931, 72 min.

19 Miroslav Cikán, Batalion, Metropolitan, Tchécoslovaquie, 1937, 93 minutes.

20 Hugo Haas, La Peste blanche [Bílá nemoc], Moldavia, Tchécoslovaquie, 1937, 105 minutes.

21 Emmanuel Plasseraud, L’Art des foules, op. cit.

22 Voir aussi Ekaterina Khokhlova, « La salle de cinéma en union soviétique dans les années 1930 », Natacha Laurent (trad.), in Natacha Laurent, Le Cinéma stalinien, questions d’histoire [en ligne], Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2003, URL : 10.4000/books.pumi.19432, consulté le 6 décembre 2022.

23 Sergueï M. Eisenstein, « Cinéma soviétique », in Sergueï M. Eisenstein, Ma conception du cinéma, Françoise Vernan (trad.), Paris, Éditions Buchet/Chastel, 1971, p. 30-31.

24 Sergueï M. Eisenstein, « Le montage des attractions », in Sergueï M. Eisenstein, Au-delà des étoiles, Jacques Aumont, Bernard Eisenschitz, Sylviane Mossé, Andrée Robel (trad.), Paris, Union générale d’éditions, 1974, p. 127.

25 Pierre Sorlin, « Des corps sans visages : ce que le cinéma fait avec les foules », in Jérôme Game (dir.), Images des corps / Corps des images au cinéma [en ligne], ENS Éditions, 2019, URL : http://books.openedition.org/enseditions/9107, consulté le 6 décembre 2022.

26 Sergueï M. Eisenstein, « Cinéma soviétique », op. cit., p. 33.

27 Le Sokol est un mouvement de gymnastique national tchèque fondé à la fin du XIXe siècle par Miroslav Tyrš et Jindřich Fügner. Mêlant activités culturelles et sportives, il est étroitement lié à la renaissance nationale tchèque et aux mouvements pour l’indépendance de la Tchécoslovaquie.

28  Martin Frič, Ho ! Hisse ! [Hej-Rup !], Meissner, Tchécoslovaquie, 1934, 110 min.

29 Pal’o Bielik, La Tanière des loups [Vlčie diery], Štúdio umeleckých filmov Bratislava, Tchécoslovaquie, 1948, 104 min.

30 Otakar Vávra, La Barricade muette [Němá barikáda], Hostivař, Tchécoslovaquie, 1948, 118 min.

31Voir Lukáš Skupa, Vadí - nevadí, Prague, Národní filmový archiv, 2016.

32 Martine Godet, La Pellicule et les ciseaux : la censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la Perestroïka, Paris, CNRS, 2010, p. 23.

33 Miloš Forman, L’As de pique [Černý Petr], Filmové Studio Barrandov, Tchécoslovaquie, 1963, 83 min.

34 Evald Schorm, Du courage pour chaque jour [Každý den odvahu], Filmové Studio Barrandov, 1964, 86 min.

35 Vsevolod Poudovkine, Les Derniers Jours de Saint-Pétersbourg, Mezhrabpom-Rus, URSS, 1927, 91 min.

36 Saša Vojković, “Factum documentary films : searching for the present”, Cineaste n°32/3, été, 2007, p. 41. “Before World War II, Soviet and American filmmakers believed that the ’masses’ represented in films were factual, not fictional categories, while postwar political cinema lost faith that a proletariat or any other collective entity really existed” [traduction personnelle].

37 Alain Badiou, Théorie du Sujet, Paris, Éditions du Seuil, 2008.

38 Stephen Reicher, “Crowds, agency and passion. Reconsidering the roots of the social bond”, in Ruth Parkin-Gounelas (dir.), The Psychology and Politics of the Collective, p. 78 : “they share a common perspective on the world and see their experience as shared by others” [traduction personnelle].

39 Karel Kachyňa, L’Oreille [Ucho], Filmové Studio Barrandov, Tchécoslovaquie, 1969, 95 min.

40 Jan Němec, La Fête et les invités [O slavnosti a hostech], Filmové Studio Barrandov, 1966, 71 min.

41 Peter Hames, The Czechoslovak New Wave, Londres-New-York, Wallflower Press, 2005, p. 171 : “the political implications of the film are so obvious that it seems impossible that any allegory-conscious Czech could fail to get the point” [traduction personnelle].

42 Ibid., p. 174.

43 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, op. cit.

44 Martine Godet, La Pellicule et les ciseaux, op. cit., p. 26.

45 Ibid.

46 Jaromil Jireš, La Plaisanterie [Žert], Filmové Studio Barrandov, 1968, 81 min.

47 Milan Kundera, La Plaisanterie [Žert, 1967], Marcel Aymonin (trad.), Paris, Gallimard, 2020, p. 78-79.

48 René Girard, Le Bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982, p. 28.

49 Milan Kundera, La Plaisanterie, op. cit., p. 78.

50 Ibid., p. 477.

51 Michel de Certeau, La Fable mystique : XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987, p. 49.

52 Ibid.

53 Evald Schorm, Le Septième jour, la huitième nuit [Den sedmý, osmá noc], Filmové Studio Barrandov, 1969, 104 min.

54 Ivan Passer, Éclairage intime [Intimní osvětlení], Filmové Studio Barrandov, 1965, 66 min.

55 Miloš Forman, L’Audition [Konkurs], Tchécoslovaquie, Filmové Studio Barrandov, 1963, 81 min.

56 Tom Gunning, « Attractions, truquages et photogénie : l’explosion du présent dans les films à truc français produits entre 1896 et 1907 », in Jean A. Gili, Michèle Lagny, Michel Marie et Vincent Pinel (dir.), Les Vingt premières années du cinéma français, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle/AFRHC, 1995, p. 179.

57 André Gaudreault, Cinéma et attraction : pour une nouvelle histoire du cinématographe, op. cit., p. 93.

58 Ibid., p. 90.

59 Jaromil Jireš, Valérie au pays des merveilles [Valerie a týden divů], Filmové Studio Barrandov, 1969, 73 min.

60 Oldřich Lipský, Adèle n’a pas encore dîné [Adéla ještě nevečeřela], Filmové Studio Barrandov, 1977, 105 min.

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ISSN  2534-6431