Plan de l'article :
- Par-delà la doxa : de la « foule » tragique au XVIIe siècle
- Bruits contrastifs : des tambours aux récits
- Des plaintes en suspense : Othon de Pierre Corneille
La tragédie parlée du XVIIe siècle se distingue par la forte réduction de son personnel dramatique. Après l’abandon de la forme chorale au tournant des années 1620, et pour redonner ses lettres de noblesse à un genre tombé en défaveur1, les dramaturges s’efforcent de concentrer leurs actions sur quelques personnages aristocratiques qui ont focalisé l’attention de la critique. Et pour cause : les héros et héroïnes sont déjà au centre du système poétique développé par les théoriciens du temps. D’une part parce que, selon Pierre Corneille, c’est de ces personnages que doivent naître les émotions propres au genre : « la perfection de la tragédie consiste bien à exciter de la pitié et de la crainte par le moyen d’un premier Acteur » (ou, dirions-nous, du personnage principal2) ; d’autre part, car le principe de vraisemblance, posé en pierre de touche de ce système dramaturgique, rend impossible toute intervention verbale de figures populaires. Étant donné que la tragédie suppose un style « pompeux et sublime3 », il n’est pas vraisemblable, aux yeux des doctes, que de telles personnes puissent s’exprimer en des termes suffisamment élevés pour prendre part aux dialogues. Les propos d’Hippolyte de La Mesnardière, en 1639, rendent évident le caractère exclusif (pour ne pas dire élitiste) de la langue tragique ; le théoricien estime non seulement déraisonnable qu’un marchand « parle comme un prince », mais il va jusqu’à dénier aux « gens de petite étoffe » la capacité à penser dignement4. Ainsi, sur les plans éthiques comme esthétiques, la parole non-aristocratique n’a plus sa place ni sur les plateaux tragiques, ni dans les théories dramatiques.
Pourtant, la foule n’en demeure pas moins omniprésente dans la plupart des pièces. Là se loge assurément l’un des paradoxes de la tragédie dite « classique ». Parce que les protagonistes sont « des princes et des grands », leurs actions, ainsi que le souligne Bénédicte Louvat, ont une portée publique : « un roi ne saurait être défait sans qu’il y aille du destin de tout un peuple5 ». Plus encore, d’après Lise Michel, l’inscription du collectif « à l’horizon de l’individuel » est l’un des moyens centraux de la dignité de l’action tragique ; sans relever d’une nécessité poétique, la dimension publique des actes héroïques « confère au sujet tragique une valeur qui dépasse les seules dimensions individuelle et privée » et qui conditionne, de ce fait, « son efficacité6 ». Mais puisque le dialogue est désormais réservé à des individus de haut rang, c’est surtout par le biais de discours rapportés que ce « collectif » se manifeste.
Quelques critiques ont examiné la valeur contraignante de la « voix du peuple » vis-à-vis des personnages principaux : mais c’est surtout en tant que doxa que celle-ci s’est vue appréhendée7. En s’intéressant seulement à la manière dont elle pouvait influer sur la psychologie des protagonistes – et donc, sur l’action –, on a peu pris en compte la variété des bruissements populaires qui pouvaient se faire entendre et négligé, surtout, leur intérêt esthétique. Cette contribution se propose précisément de se consacrer aux bruits et murmures des collectivités laissées dans le hors-scène, qu’on abordera dans leurs fonctions pragmatiques et dramaturgiques. Après une brève mise au point théorique sur les rapports entre foules et opinion publique dans la pensée dramatique du temps, nous étudierons la manière dont les auteurs – à l’image de Pierre Corneille dans Horace (1640) et Othon (1664) – tirent parti du caractère diffus et différé de la voix publique. En empruntant aux sound studies le postulat selon lequel les sons offrent une voie d’accès à nos sensibilités pour penser des catégories oubliées8, nous montrerons que cette voix – qui peut aller du bruit indistinct qu’on mentionne avec crainte au discours de vérité répété par des personnages privilégiés – subit un traitement ambivalent permettant de créer des effets de contraste, de suspense et, plus largement, de pathos propre à orienter la réception des tragédies.
Par-delà la doxa : de la « foule » tragique au XVIIe siècle
Avant toute chose, précisons que nous donnons ici au terme de foule le sens d’une « assemblée humaine qui existe avant tout en tant qu’entité propre, souvent politisée, et composée d’individus indéfinis » ; outre que cette définition, proposée par Marceau Deschamps-Ségura9, se fait assez lâche pour caractériser l’ensemble des regroupements humains qui feront l’objet de notre étude (ville en furie, armée, etc.), elle a l’avantage de recouper celle que lui donnait le XVIIe siècle. Alors que la « foule » n’était pas encore pensée en tant que notion – c’est au XIXe siècle qu’elle sera théorisée comme l’assemblage d’êtres aliénés à eux-mêmes, formant une puissance capable d’actions soit héroïques, soit dangereuses10 –, on l’employait volontiers comme un synonyme de la « multitude », avec un lien privilégié au vulgaire (du latin vulgus – le petit peuple), que le dictionnaire de l’Académie française rendait explicite : « On dit fig. Se tirer de la foule, pour dire, Se distinguer, se tirer du commun11 ». C’est d’ailleurs ce dernier aspect de la foule, lié à l’idée abstraite de « commun », qui a surtout fait l’objet de travaux. En particulier, Gilles Declercq a consacré une importante étude à la doxa dans les tragédies de Jean Racine, pour montrer que celle-ci instaurait « le drame politique au sein des passions » et remplissait une fonction dramatique de premier ordre12. En invitant à dépasser les perspectives centrées sur l’affrontement pathétique entre les personnages, le rhétoricien a en effet insisté sur la valeur contrariante du peuple, présent, selon lui, non comme catégorie sociologique, mais comme instance oratoire dans les pièces de Racine :
Il s’y fait entendre par le truchement d’autrui, ces confidents et conseillers, omniprésents dans la tragédie racinienne ; ceux-ci se font l’écho de l’opinion publique, voix collective, avatar du chœur antique13.
Invoquée également dans les discours des protagonistes, cette « opinion publique » pèserait surtout sur les desseins amoureux des héros et héroïnes14. G. Declercq en donne pour preuve l’exemple de Bérénice (1670) : l’opinion publique y apparaît comme un ressort central du drame puisque c’est la proscription du mariage d’un empereur à une reine étrangère par les lois tacites de Rome qui cause le déchirement du couple principal. Ressassée par Titus tout au long de l’action et rappelée une fois encore par le confident Arsace au terme de la pièce (V, 2), l’« opinion » relèverait alors d’un « fil directeur menant de l’argumentation politique à la fureur pathétique15 ».
Or, si l’avis de « Rome » prend effectivement, dans cette pièce, la forme d’un lieu d’argumentation qui impose à Titus de renoncer à son amour pour Bérénice, tel n’est pas le cas de toutes les interventions populaires dans les tragédies de la période. Dans Bérénice elle-même, plusieurs personnages font mention de foules concrètes environnant Titus à certains moments de l’action – à l’instar d’Arsace qui raconte que « Le peuple avec transport l’arrête [Titus], et l’environne, / Applaudissant aux noms que le Sénat lui donne » (V, 2, v. 1270-1272). Et si Gilles Declercq l’assimile alors à « différents cercles de l’opinion publique », rien n’assure que ce « peuple » s’accorde absolument avec les traditions centenaires de Rome. Titus, dans la pièce, fait personnellement état de cette différence de nature entre doxa intériorisée et ville animée :
TITUS.
Je viens percer un cœur que j'adore, qui m’aime.
Et pourquoi le percer ? Qui l’ordonne ? Moi-même.
Car enfin Rome a-t-elle expliqué ses souhaits ?
L'entendons-nous crier autour de ce palais16 ? (IV, 4, v. 999-1002)
Plusieurs instances collectives s’expriment donc de manière variée (quoique toujours différée) : « sens de l’honneur » et foule allègre n’apparaissent unies que dans l’esprit du protagoniste qui prend les « applaudissements » des citoyens et citoyennes à son couronnement pour « autant d’engagements » l’obligeant à répudier son amante (V, 2, v. 1274). Un amalgame qui en dit donc peut-être davantage sur Titus lui-même que sur « Rome » en tant qu’ensemble de citoyens.
Pour le sujet qui nous occupe, il importe ainsi de s’intéresser moins à l’opinion qu’à la voix publique, c’est-à-dire à toutes les manifestations sonores d’entités plurielles, par-delà (ou en plus) du on-dit. Sans négliger l’importance actantielle des phénomènes collectifs dans les pièces, dépasser le seul logos (ou langage rationnel) permet en effet, comme le signale Sarah Nancy, d’éviter de « réduire le genre dramatique au texte, au message moral, au héros » et, pourrions-nous ajouter, à la doxa17. Ce recalibrage apparaît d’autant plus pertinent qu’au XVIIe siècle, l’« opinion publique18 » naît des débats littéraires pour préfigurer la sphère publique bourgeoise en lui inculquant les valeurs qui sont les siennes ; autrement dit, comme l’a montré Hélène Merlin-Kajman, « l’opinion du public est extérieure au peuple, elle le manipule19 », et il convient par conséquent de laisser leur place à de possibles dissonances entre doxa et mouvements de foule, et de donner enfin sa place au bruit en tant que composante du spectacle tragique.
Bruits contrastifs : des tambours aux récits
Car c’est justement le « bruit » qui caractérise les foules dans les tragédies du XVIIe siècle. D’abord à un niveau très concret : jusqu’aux années 1650, les dramaturges aiment encore construire des intrigues à rebondissements guerriers20 où les actes héroïques des personnages impliquent des batailles (racontées) et des harangues militaires (jouées). Dans ce cadre, il est récurrent qu’une arrivée de figurants vienne matérialiser le début ou la fin d’un mouvement de foule, en s’annonçant par un authentique vacarme. Signalé par une didascalie dans le texte des pièces, celui-ci est produit, dans le spectacle, à l’aide d’instruments (tambours, trompettes) ou de boules de métal roulant sur des plaques de bois21. Osman de Tristan L’Hermite (1646) en fournit un exemple :
OSMAN.
Je lui ferai voler la tête en un instant.
Et par là ferai voir au peuple de la Thrace,
À ce vers il se fait grand bruit derrière le Théâtre.
Qu'un trépas violent suit de près ma menace,
[…] Mais quel grand bruit déjà vient frapper nos oreilles ?
Ose-t-on nous troubler par des rumeurs pareilles ?
Dépêche de ma part, va t’en leur ordonner
De garder le silence, ou de s’en retourner :
Si de ce mandement ils n’ont aucune crainte,
J’irai sur le balcon pour entendre leur plainte22. (IV, 2, v. 1052-1062)
La « plainte » en question sera prise en charge, deux scènes plus loin, par trois généraux, chefs de la faction (IV, 4). Aussi la réplique du sultan Osman, victime d’une mutinerie de son armée, rend-elle explicite la dynamique double qui caractérise la dimension sonore des foules tragiques : alors qu’un « grand bruit » matérialise leur présence dans le hors-scène, celles-ci doivent « garder le silence » une fois entrées sur le plateau.
Le fait que ce bruit se fasse entendre au quatrième acte de la tragédie n’est bien sûr pas anodin. De fait, c’est généralement en fin de pièce qu’ont lieu ces arrivées, au point de devenir un motif attendu des spectacles : « j’ouïs après un bruit qui venait de sa maison, tel que celui que l’on fait derrière les théâtres, à la catastrophe d’une tragédie », raconte un héros du romancier Charles Sorel dans Polyandre, histoire comique (1648)23, entérinant à la fois le caractère habituel des bruitages et leur lien à la catastrophe, c’est-à-dire au retournement de situation qui aboutit au dénouement. Et voilà bien la principale fonction de ces sons métalliques : au-delà de leur rôle signalétique, le choc auditif qu’ils produisent s’articule à la progression de l’action fictionnelle, de manière à en amplifier les effets. Plus concrètement, en se faisant entendre alors que l’intrigue touche à son point culminant, pour signaler une intrusion collective préparée depuis plusieurs scènes (voire plusieurs actes), ils décuplent pour quelques secondes un suspense qui aboutira lors de l’entrée en scène du groupe. Comme dans Osman où cette arrivée préfigure le renversement du sultan par son armée, le bruitage s’inscrit donc dans une logique à la fois narrative et esthétique24.
À noter que ce type de manifestations sonores peut également accompagner des phénomènes magiques : dans le premier tiers du siècle, alors que le merveilleux est encore admissible dans le théâtre parlé25, il arrive que des bruits de « tonnerre » préfigurent l’apparition d’un dieu ou d’une déesse dans la dernière scène26. Ils s’apparentent alors à un effet spécial, et leur conséquence sur le spectacle est similaire : le son venu du hors-scène marque le point ultime d’un crescendo émotionnel qui se résout avec le dialogue qui le suit.
Néanmoins, si les dieux peuvent aussi s’associer aux bruitages, c’est bien la foule qui, sur l’ensemble du siècle, entretient avec le bruit un rapport privilégié. En dehors des effets scéniques, le terme en lui-même est sans cesse employé pour désigner les manifestations sonores, opinions ou rumeurs qui circulent hors du microcosme héroïque. À ce qualificatif s’ajoutent aussi les termes de « cris », de « murmure » et de « tumulte ». Autant de vocables qui disent le caractère tout à la fois sonore et inaudible des groupes humains. Dans des pièces qui refusent au peuple l’accès au dialogue, la foule, on va le voir, est le bruit.
Les raisons de cette association sont multiples : d’abord et sur un plan très pragmatique, la multitude des corps et des voix réunis en un même lieu produit, par nature, des sons indistincts que ce lexique tente de suggérer. Ensuite, la notion de bruit s’emploie, à l’époque, pour désigner « la renommée, la réputation » et « des nouvelles dont on s’entretient dans le monde » ; « un bruit confus nous apprend qu’il y a eu une grande deffaite », ajoute le Dictionnaire d’Antoine Furetière27, qui tisse un lien presque essentiel entre « bruit » et valeur collective. Enfin, on ne peut que songer à la méfiance à l’égard de « la multitude » qui caractérise, en France, les principaux courants politiques et philosophiques d’après les Guerres de Religion. On sait, en effet, que le régime absolutiste se forme sur la base d’un éclatement des solidarités et d’un morcellement du corps communautaire ; d’après Robert Muchembled, la centralisation de l’État développe des liens verticaux qui, tout en tenant les masses à l’écart de la sphère politique, recherchent le conformisme social28 – une attitude qui répond à l’essor généralisé de la pensée individualiste. Ainsi que l’explique Anna Maria Battista, l’éthique communautaire cède la place, depuis le XVIe siècle, à « une tendance à voir dans la société un véhicule de fausses valeurs et de pseudo-concepts cristallisés qui façonnent irrémédiablement la personnalité individuelle29 ». De telle sorte que les notions de « peuple » et de « populaire » sont même souvent utilisées par les intellectuels pour désigner un état d’infériorité psychologique, une incapacité à s’extraire d’une multitude incorrigible30. En un sens, donc, réduire la foule au « bruit » dans les pièces, la tenir à distance du langage rationnel, revient aussi à prolonger cette dépréciation du populaire.
Mais la caractérisation de la voix publique comme un magma de sons indistincts peut également se comprendre sous un angle proprement dramaturgique. Ou plutôt, les auteurs paraissent exploiter la caractérisation bruyante de la foule pour produire, vis-à-vis des dialogues hiératiques des personnages, des effets de contraste expressifs :
JULIE.
Sitôt qu’ils ont paru prêts à se mesurer
On a dans les deux camps entendu murmurer :
À voir de tels amis, des personnes si proches
Venir pour leur patrie aux mortelles approches,
L'un s’émeut de pitié, l’autre est saisi d’horreur,
L’autre d’un si grand zèle admire la fureur,
Tel porte jusqu’aux cieux leur vertu sans égale,
Et tel l’ose nommer sacrilège et brutale.
Ces divers sentiments n’ont pourtant qu’une voix,
Tous accusent leurs chefs, tous détestent leur choix,
Et ne pouvant souffrir un combat si barbare,
On s’écrie, on s’avance, enfin on les sépare.
[…] Et leurs cris des deux parts poussés en même temps,
Demandent la bataille, ou d’autres combattants31. (III, 2, v. 781-810. Nous soulignons)
Cet extrait d’Horace de Pierre Corneille (1640), qui retrace l’indignation de deux armées face au combat devant opposer les trois Horace aux trois Curiace, accumule les termes évoquant à la fois le bruit et l’émotion des foules. En passant du murmure aux « cris » finaux, il parvient à suggérer l’agitation grandissante des Romains et des Albins pour faire advenir, dans l’esprit du public, le tableau auditif d’une armée déchaînée. En plus d’enrichir la texture sonore du spectacle, ce dernier ne peut manquer alors d’entrer en collision avec l’image scénique que l’assistance a sous les yeux ; à cet instant de la tragédie, le plateau (figurant un intérieur romain) est occupé par Camille et Sabine, les sœurs d’Horace et de Curiace, qui attendent avec inquiétude de connaître l’issue du duel. L’effet de contraste est donc très marqué32 : la cacophonie des plaintes populaires vient offrir un contrepoint à la peine contenue des deux femmes pour faire d’autant mieux ressortir leur solitude, tout en faisant écho à leur douleur33. L’indignation des unes et des autres, vis-à-vis du combat des héros, se répond ainsi dans un jeu d’oppositions et d’entrelacs qui donnent à la scène une valeur d’autant plus pathétique.
Du reste, ce n’est pas parce que la voix publique se voit réduite au « bruit » indistinct qu’elle ne peut agir sur les sentiments des protagonistes et, par voie de prolongement, moduler la situation émotionnelle du public face à la tragédie. Le récit de Julie, en laissant toute sa place à une révolte qui se déploie par des cris, en offre l’illustration : ces derniers forment une longue complainte dont Hélène Merlin-Kajman, dans son très bel article consacré à la circulation des larmes dans Horace, a signalé qu’elle contribuait à dessiner une unité autre que l’unité d’action34. En prolongeant les constats de Gilles Declercq au sujet de l’importance du populaire, la chercheuse a montré que, sans être réductible à une instance rhétorique, cette plainte, proférée par des individus physiques, dépassait aussi la phonè irrationnelle et antagoniste grâce à la manière dont l’écoutaient les personnages, et en particulier les chefs des deux armées. Plus loin dans la même scène, la confidente Julie raconte en effet que les rois de Rome et d’Albe, décident de suspendre pour un temps le duel des héros, si bien que les cris collectifs, reçus par eux non comme simple expression pathétique, mais comme revendication de droits, instituent pour quelques instants le peuple en sujet politique digne de se faire entendre. Et même si cette plainte est ensuite renvoyée « au murmure d’où elle a surgi35 » par un oracle qui impose la reprise du combat (III, 5), elle provoque un trouble qui génère un temps mort dans le déroulement des de l’intrigue comme du spectacle, ou plutôt, un temps animé de bruit liant l’ensemble des personnages et des spectateurs dans un halètement commun.
Des plaintes en suspense : Othon de Pierre Corneille
« Face à la plainte du personnage injustement frappé par le malheur, le spectateur est saisi d’une compassion qui le porte à le plaindre » : tel est, selon Hélène Merlin-Kajman, le présupposé qui sous-tend la production de pitié dans la théorie poétique du XVIIe siècle36. Les pièces, en effet, prétendent émouvoir le public en donnant aux héros et héroïnes des espaces de complainte – une démarche redoublée, on l’a vu, par des stratégies sonores contrastives. Or, que se passe-t-il lorsque ces personnages eux-mêmes ne se laissent pas toucher par les plaintes d’autrui ? Si les spectateurs et spectatrices sont mis face à la souffrance des protagonistes, ces derniers sont pour leur part confrontés à la plainte (différée) de la foule, dont on attend qu’elle fasse aussi sur eux un certain effet. D’autant plus que, dans la pensée politique du temps, il est essentiel que le gouvernement en place prête l’oreille au peuple – même si cela ne débouche sur aucune prise de décision. Ainsi que le note H. Merlin-Kajman,
seule la volonté divine, communiquée directement à la volonté royale, fait la loi ; et la plainte du peuple, toujours mineure, ne vaut pas plus que le gémissement d’un enfant, qu’un père doit bien sûr prendre en compte pour être un bon père37.
Reste que celles et ceux qui dérogent à cette éthique ne peuvent que provoquer une forme de méfiance. Et voilà bien une autre façon qu’ont les auteurs d’exploiter la voix publique : en plus de son apport esthétique, le traitement de cette voix par les personnages permet d’orienter le jugement du public sur leur qualité morale et d’éclairer sa lecture des enjeux tragiques.
Ce ressort herméneutique apparaît très présent dans la dramaturgie de Pierre Corneille. Et si dans Horace, l’attention que les chefs prêtent aux soldats souligne leur probité et permet à l’émotion de circuler entre eux, la foule, les héroïnes et le public, nombre de ses œuvres exploitent au contraire la surdité des rois à la plainte commune pour les antagoniser aux yeux de l’assistance. Othon (1664) est de cette catégorie : en tant que tragédie politique qui retrace la destitution (et l’assassinat) de Galba au profit d’Othon par l’armée romaine, la pièce fait du « bruit » populaire une voix centrale de la pièce. D’abord rumeur indistincte, celle-ci va se muter en cri et souligner du même coup l’aspect tyrannique d’un empereur qui refuse de l’entendre. Aussi l’effet pragmatique de la voix publique consiste-t-il ici non seulement à dévaloriser le camp de Galba (et à valoriser, en creux, celui d’Othon), mais il opère aussi, par voie de prolongement, sur le suspense de la pièce : en raison de la surdité de l’empereur à ses plaintes répétée, l’armée et sa fureur deviennent le motif d’une attente angoissée pour le public.
Dès l’ouverture, le consul Vinius raconte à Othon le mécontentement populaire à l’égard de Galba :
VINIUS.
Galba vieil et cassé, qui se voit sans enfants,
Croit qu’on méprise en lui la faiblesse des ans,
[…] Il voit de toutes parts du tumulte excité,
Le soldat en Syrie est presque révolté.
[…] Ce qu’il a de vieux corps le souffre avec ennui,
Tous les prétoriens murmurent contre lui,
[…] Il le sait, et prétend par un jeune Empereur
Ramener les esprits, et calmer leur fureur. (I, 2, v. 147-160. Nous soulignons)
À nouveau, c’est en tant que bruit rapporté par un personnage secondaire que se présente la foule à l’oreille des personnages – et du public –, pour faire résonner le lieu scénique de sons inquiétants. Du moins ces sons devraient-ils inquiéter les protagonistes. Le confirme le vocabulaire employé : le terme de « murmure », au XVIIe siècle, renvoie non seulement au « bruit confus », mais encore à la « plainte secrette de plusieurs personnes, sur quelque tort qu’on leur fait38 ». Aussi rend-il évidente la dimension morale de la situation : Galba est mis face à une plainte que son statut d’empereur requiert d’écouter. En se faisant entendre dès la deuxième scène du premier acte, cette plainte place donc la tragédie sous le signe d’une émeute en devenir, les spectateurs et spectatrices ne pouvant qu’attendre anxieusement d’en découvrir la résolution.
Or, si Galba semble initialement prendre acte du mécontentement des soldats en cherchant à « calmer leur fureur » par le choix d’un remplaçant, la corruption de sa cour le fait vite dévier du droit chemin. Cédant aux manipulations de ses conseillers, le personnage choisit Pison comme successeur, et refuse d’entendre à cet égard le désaveu d’une armée gagnée à la cause d’Othon. « L’armée a vu Pison, mais avec un murmure / Qui semblait mal goûter ce qu’on vous fait d’injure » (v. 1257-1258) lâche Vinius au héros éponyme durant le quatrième acte, accentuant toujours davantage l’atmosphère de révolte qui baigne le camp romain. Cette révolte ne se fait d’ailleurs pas attendre. La plainte collective passe ensuite d’outil dramaturgique à ressort dramatique, mais toujours par un biais verbal :
RUTILE.
Ah ! Madame, apprenez quel malheur nous menace.
Quinze ou vingt révoltés au milieu de la place
Viennent de proclamer Othon pour Empereur.
[…] Ils le mènent au camp, ou plutôt ils l’y portent,
Et ce qu’on voit de peuple autour d’eux s’amasser
Frémit de leur audace, et les laisse passer. (IV, 7, v. 1473-1480)
À cet instant du drame, la puissance pragmatique de la voix publique est presque mise en abyme, puisque c’est un acte performatif qu’exécute l’armée. En « proclamant » le règne d’Othon, elle agit non seulement sur la situation politique de Rome, mais aussi sur le peuple autour d’elle : cette seconde foule « frémit » et semble accorder à cette voix l’autorité qu’elle réclame – au contraire de l’empereur et de ses conseillers, qui continuent de dénier aux soldats toute puissance effective. En témoigne la déclaration du préfet Lacus à Galba :
LACUS.
Tous ces mutins ne sont que de simples soldats,
Aucun des chefs ne trempe en leurs vains attentats :
Ainsi ne craignez rien d'une masse d'armée (V, 2, v. 1543-1545)
Ce conseil, que suivra l’empereur, révèle une forme d’aveuglement du gouvernement en fonction39 ; sur le plan du spectacle, il a pour conséquence d’accentuer la tension qui sous-tend le drame et dont on pressent, en ce début de cinquième acte, qu’elle est au bord de l’éruption.
Cette éruption va alors s’opérer en deux temps, dans une circulation de on-dit contradictoires qui place une fois encore la – ou plutôt les voix des foules à la source d’un intense suspense. C’est d’abord un « rapport » anonyme qui semble résoudre l’intrigue, avec l’annonce de l’assassinat d’Othon :
PLAUTINE.
Je ne m’en défends point, Madame, Othon est mort,
De quiconque entre ici c'est le commun rapport,
Et son trépas pour vous n’aura pas tant de charmes
Qu’à vos yeux comme aux miens il n’en coûte des larmes.
GALBA.
Dit-elle vrai, Rutile, ou m'en flatté-je en vain ?
RUTILE.
Seigneur, le bruit est grand, et l’auteur incertain.
Tous veulent qu’il soit mort, et c’est la voix publique,
Mais comment et par qui, c'est ce qu'aucun n’explique. (V, 3, v. 1651-1658)
Plongeant les personnages dans des émotions distinctes (la joie pour Galba, le désespoir pour Plautine), cette annonce ne fait toutefois office que de rebondissement pour mieux préparer le public au soulagement qui doit suivre. Car la vérité de la victoire d’Othon et de son armée est rétablie deux scènes plus tard. De manière intéressante, ce sont des soldats en chair et en os qui viennent la révéler :
Deux soldats entrent et parlent à Atticus à l’oreille.
ATTICUS.
Si vous aimez Othon, Madame, il va revivre,
Et vous verrez longtemps sa vie en sûreté. (V, 5, v. 1718-1719)
Bien qu’ils ne puissent se faire entendre du public pour les raisons esthétiques qu’on sait, leur jeu de scène suggère qu’ils sont bien les porteurs de la nouvelle venant infirmer le « bruit » qu’un « auteur incertain » avait fait courir dans le palais. Tout se passe donc comme si la foule elle-même rétablissait une vérité que des intrigants avaient brouillée. Venant, comme l’a noté Charles Mazouer, imposer de l’extérieur la solution au huis clos40, elle s’érige en voix supérieure du drame qui ajoute sa sonorité aux rumeurs ayant modulé la tension du spectacle, mais qui démontre aussi la pluralité des bruissements populaires qui peuvent venir se mêler dans le hors-scène, formant un arrière-fond discursif difficile à saisir, et dont le caractère ambigu permet aux dramaturges d’importants jeux de suspense.
Dans la France du XVIIe siècle, le populaire est exclu des plateaux tragiques. Mais comme nombre de règles de la période, l’interdit est précisément exploité par les dramaturges, à l’image de Pierre Corneille, pour en tirer parti. En tant que sujet inadmissible du dialogue tragique mais objet important de la représentation théâtrale, le bruit des foules est loin de se résumer à un on-dit distant qui ne serait que l’objet de débats entre les protagonistes : la voix publique transparaît à travers une multitude de manifestations sonores non seulement pour enrichir la texture auditive des spectacles, mais aussi pour suggérer une présence bruyante et expressive opérant sur les personnages ainsi que sur les spectateurs.
Références
Corpus des pièces étudiées :
Corneille Pierre, Œuvres complètes, Georges Couton (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléaide », 1980, 3 tomes.
Racine Jean, Bérénice [1670], in Œuvres complètes I, Georges Forestier (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 454-509.
Tristan L’Hermite, Osman [1646], in Roger Guichemerre (dir.), Les Tragédies. Tristan L'Hermite, Paris, Champion classiques, 2009, p. 465-538.
Sources secondaires :
Battista Anna Maria, « Morale “privée” et utilitarisme politique en France au XVIIe siècle », in Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), Le Pouvoir de la raison d’État, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 191-230.
Corneille Pierre, « Discours de la tragédie et des moyens de la traiter, selon le vraisemblable ou le nécessaire », in Trois discours sur le poème dramatique [1660], Marc Escola et Bénédicte Louvat (éd.), Paris, GF-Flammarion, 2021, p. 95-132.
Declercq Gilles, « Une voix doxale : l’opinion publique dans les tragédies de Racine », XVIIe siècle, n° 182, 1994, p. 105-120.
La Mesnardière Hippolyte de, La Poétique [1640], éd. Jean-Marc Civardi, Paris, Champion, 2015.
Louvat Bénédicte, « Des bruitages au chant : la dimension sonore du spectacle dramatique au XVIIe siècle », L’Annuaire théâtral, n° 22, 1997, p. 129-146.
Mazouer Charles, « Corneille et l’espace : de la scène au hors-scène », in Mara Fazio et Pierre Frantz (dir.), La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène [1650-1880], Paris, Desjonquères, 2010, p. 107-116.
Merlin-Kajman Hélène, « Ce crime de nos larmes », L’Esprit Créateur, vol. 57, n° 2, 2017, p. 89-108.
Merlin-Kajman Hélène, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
1 Nous nous permettons de renvoyer, au sujet de ce changement de paradigme, à notre essai À chœur perdu. Les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle, Lausanne, Archipel Essais, 2020.
2 Pierre Corneille, « Discours de la tragédie et des moyens de la traiter, selon le vraisemblable ou le nécessaire », in Trois discours sur le poème dramatique [1660], Marc Escola et Bénédicte Louvat (éd.), Paris, GF-Flammarion, 2021, p. 103. Difficile de ne pas percevoir les échos aristotéliciens dans cette conception de la crainte et de la pitié comme les émotions tragiques par excellence. Sur l’influence de sa Poétique sur les dramaturges et théoriciens du XVIIe siècle, voir notamment Bénédicte Louvat, La Poétique de la tragédie classique, Paris, Sedes, 1997, p. 90.
3 Hippolyte de La Mesnardière, La Poétique, Jean-Marc Civardi (éd.), Paris, Champion, 2015, p. 116.
4 Ibid., p. 349.
5 Bénédicte Louvat, La Poétique, op. cit., p. 92.
6 Lise Michel, Des princes en figure. Politique et invention tragique en France (1630-1650), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2013, p. 87 et 92.
7 Voir surtout Gilles Declercq, « Une voix doxale : l’opinion publique dans les tragédies de Racine », XVIIe siècle, n°182, 1994.
8 Philippe Le Guern, « Qu’est-ce que les Sound Studies ? », De ligne en ligne, n° 26, 2018, p. 11.
9 Marceau Deschamps-Ségura, « Foule pour foule, gens pour gens : spectaculaire et fête dans le théâtre du XVIIe siècle français », Cahiers FoReLLis (La Foule au théâtre), 2015, en ligne : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=281, consulté le 24/11/2022.
10 À ce sujet se référer au recueil dirigé par Elena Bovo, La Foule, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2015.
11 Art. « Foule » in Dictionnaire de l’Académie française, 1694, en ligne : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A1F0175-01, consulté le 10/11/2022. Au XVIIe siècle, le terme de « peuple » peut lui-même être employé pour désigner un regroupement humain éphémère, et se confond régulièrement avec « la foule ». Ainsi l’abbé d’Aubignac explique-t-il, à propos d’une représentation tragique, qu’« au lieu de faire voir, dans le renfondrement et en perspective, l’image de la Pucelle au milieu d’un feu allumé et environné d’un grand peuple […], [les comédiens] firent peindre un méchant tableau sans art » (préface à La Pucelle d’Orléans, 1642. Nous soulignons).
12 Gilles Declercq, art. cit., p. 105.
13 Ibid., p. 106-107.
14 Ibid., p. 119. Jean-Pierre Néraudau qualifie pour sa part Rome de « principe actif » intériorisé dans Titus (« Mais où sont ces Romains que fait parler Racine ? », Littératures classiques, n° 26 [Les Tragédies romaines de Racine, Britannicus, Bérénice, Mithridate], 1996, p. 78).
15 Gilles Declercq, art. cit., p. 120.
16 Jean Racine, Bérénice, in Œuvres complètes I, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 490.
17 Sarah Nancy, « Introduction », in Sarah Nancy et Julia Gros de Gasquet (dir.), La Voix du public en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 8.
18 Sandro Landi précise que, quoique la notion n’émerge qu’au XVIIIe siècle dans le discours historique, le processus de légitimation de « l’opinion publique » débute avec l’absolutisme. Son sens recoupe en grande partie celui de la « doxa » : toutes deux ont un rapport à la vérité « toujours variable », et font naître dès lors des sentiments ambivalents : on considère depuis l’Antiquité, qu’« en tant qu’énonciation impersonnelle, dépositaire d’un sens occulte, [l’opinion publique] a présomption d’autorité et de vérité, même si cette dernière, irréductible à la raison, peut parfois confiner à la folie » (Sandro Landi, « Notes pour une histoire de l’opinion publique comme catégorie du discours politique », 2009, en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00442080, consulté le 25/11/2022).
19 Hélène Merlin-Kajman, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 282.
20 À ce sujet, voir par exemple Bénédicte Louvat, L’“Enfance de la tragédie” (1610-1642). Pratiques tragiques françaises de Hardy à Corneille, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2014.
21 D’après Bénédicte Louvat, « Des bruitages au chant : la dimension sonore du spectacle dramatique au XVIIe siècle », L’Annuaire théâtral, n° 22, 1997, p. 129-146.
22 Tristan L’Hermite, Osman, in Roger Guichemerre (dir.), Les Tragédies [2001], Paris, Champion classiques, 2009, p. 516.
23 Charles Sorel, Polyandre, histoire comique, éd. Patrick Dandrey et Cécile Toublet, Paris, Klinckisieck, 2010, p. 39.
24 On pourrait intégrer ces bruitages à la « syntaxe du spectaculaire » théorisée par Guy Spielman ; dans son étude consacrée à la théâtralité du XVIIe siècle, le chercheur a montré que la structure générale des arts du spectacle reposait alors sur un principe d’itération et de variété (« Pour une syntaxe du spectaculaire au XVIIe et au XVIIIe siècles », in Marie-France Wagner et Claire Le Brun-Gouanvic (dir.), Les Arts du spectacle au théâtre (1550-1700), p. 219-260). Ne convient-il pas d’inscrire ces événements sonores dans la série des effets variés qui rythmaient les représentations ?
25 Tel ne sera plus le cas après l’avènement de la dramaturgie régulière, puisque « la fatalité comme mode d’explication des conduites humaines est incompatible avec un théâtre dont les principes clés sont la vraisemblance et la nécessité » (Bénédicte Louvat, La Poétique de la tragédie, op. cit., p. 18).
26 Voir notamment Hercule mourant (1634) et Iphigénie (1640) de Jean de Rotrou.
27 Art. « Bruit » in Antoine Furetière, Dictionnaire universel (1694), en ligne : http://www.furetière.eu/index.php/non-classifie/1432748-, consulté le 17/11/2022.
28 Robert Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Flammarion, 1978.
29 Anna Maria Battista, « Morale “privée” et utilitarisme politique en France au XVIIe siècle », in Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), Le Pouvoir de la raison d’État, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 205.
30 Ibid.
31 Pierre Corneille, Horace, in Œuvres complètes I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléaide », 1980, p. 870-871. Toutes les citations de Pierre Corneille seront tirées de cette édition.
32 On retrouve ici la poétique extra-scénique du texte cornélien qu’avait relevée Charles Mazouer, considérant que « comme la mer, les événements viennent battre au seuil [des] enceintes. Mutinerie de soldats ou tumulte du peuple, nouvelles venues de l’extérieur se font sentir sur la scène » (« Corneille et l’espace : de la scène au hors-scène », in Mara Fazio et Pierre Frantz (dir.), La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène (1650-1880), Paris, Desjonquères, 2010, p. 112).
33 Ce type de stratégie est souvent déployée dans les actions qui impliquent la présence d’une armée, et où les héroïnes sont en principe tenues à l’écart de l’agitation. C’est également le cas dans Manlius de Mlle Desjardins (1662), qui opère pour sa part un contraste inverse : l’armée fait entendre des cris de victoire qui s’opposent à la douleur d’une autre Camille. Celle-ci ayant perdu son époux dans la bataille, elle ressent à l’égard de la joie collective un sentiment d’exclusion qui intensifie sa peine : « Le tumulte du camp, les cris, et les alarmes / [Est] un grand obstacle à mes trop justes larmes » (I, 2, v. 25-26).
34 Hélène Merlin-Kajman, « Ce crime de nos larmes », L’Esprit Créateur, vol. 57, n°2, 2017, p. 89-108.
35 Ibid., p. 101.
36 Ibid., p. 89.
37 Ibid., p. 101.
38 Art. « Bruit », in Antoine Furetière, Dictionnaire universel [1690], en ligne : http://www.furetière.eu/index.php/non-classifie/1432748-, consulté le 22/11/2022.
39 La perspective de Lacus fait écho à la conception machiavélienne du populaire : comme l’explique Agnès Cugno, la foule est pour Machiavel une entité incapable de se gouverner elle-même, qui a besoin d’un guide – le Prince – agissant « dans le secret » pour la mener vers le bien commun (« Machiavel et le Masque », in Antony McKenna et Pierre-François Moreau (dir.), Libertinage et philosophie au XVIIe siècle. Les Libertins et le masque : simulation et représentation, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2001, p. 17).
40 Charles Mazouer, art. cit., p. 114.