« Révolution de café » ou « discipline allemande » ? Les surréalistes contre le dilettantisme révolutionnaire

Antoine Poisson

01/03/2022

Plan de l'article :

  • Un héritage dilettante : l’anarchisme littéraire
  • Une progressive politisation et scientifisation de la création littéraire
  • Surréalistes et communistes : une infortune continue
  • « Savoir aimer suffit » : le surréalisme, un dilettantisme sérieux ?

En 1926, lors de l’une des premières réunions entre surréalistes et membres de la revue communiste Clarté, il est décidé de « critiquer objectivement les activités révolutionnaires intellectuelles (comme certaines tentatives anticipées de culture prolétarienne [sic][1]) dans la mesure où elles se réclament d'activités intellectuelles qui relèvent : a) du dilettantisme, b) de l'aristocratie, c) du libéralisme intellectuel, d) de l'esprit européen[2] ». Par cette déclaration fracassante, les surréalistes rejoignent une critique contre le dilettantisme révolutionnaire de plus en plus courante dans les années 1920, en particulier au cœur des avant-gardes politiques. Le dilettante, figure à l’origine musicale puis littéraire, avait d’abord été incarné par Ernest Renan dans la célèbre étude de Paul Bourget[3] : il y était décrit comme un être inconséquent, observant les idéologies sans jamais y souscrire, et n’ayant d’appréhension du monde qu’esthétique. Bourget lui reproche son manque de profondeur et de force vitale. Individu peu fiable, le dilettante ne fournit pas le soutien nécessaire à la bonne santé de la société.

Les surréalistes peuvent, par leur jeunesse dissipée, leur individualisme et leur refus des idéologies, reprendre des éléments de cet esprit dilettante. La nuance péjorative du terme dans les années 1920, et en particulier dans les mouvements révolutionnaires, pourrait cependant expliquer leur refus d’être assimilés à une telle figure. À l’inverse du dilettantisme épris de liberté individuelle et de flânerie, on sait le besoin de « cohésion » du groupe surréaliste, entraînant une discipline et un contrôle sur la vie de ses membres. Le groupe opère constamment le resserrement de ses liens et refuse de devenir un mouvement littéraire « comme les autres ». La critique du dilettantisme vise donc à susciter un investissement complet, doublé d’un engagement intellectuel pour des causes autres qu’artistiques. Cependant, ce raidissement doctrinal est aussi une réponse au prestige grandissant des mouvements révolutionnaires, en particulier du Parti communiste. On étudiera donc les modalités de ce refus du dilettantisme des surréalistes, leur opposition au P.C., et enfin la transformation, après 1932 et jusqu’au début de la guerre, de l’anti-dilettantisme en dilettantisme radicalisé, faisant de l’expérience esthétique amateure un des requisits du mouvement.

Tentons, au préalable, d’établir le profil type du dilettante en 1926. Swann, dans la Recherche, semble un parfait avatar du dilettante ; son attitude esthétique s’étend à une conception de l’existence dont Bourget a établi les critères ; ses déboires amoureux sont très proches, chronologiquement, des surréalistes. Mais Swann est une figure repoussoir aux yeux de ces derniers, et la référence proustienne est trop éloignée de leur horizon révolutionnaire. La conception du dilettantisme pour les surréalistes semble plus proche de celle définie dans l’article « dilettante » de l’Encyclopédie anarchiste. Dans un long article, Jean Marestan définit l’attitude de jeunes intellectuels pour qui la révolution est une option séduisante, mais à laquelle ils ne donnent pas toute l’énergie requise. Ces dilettantes sont vus comme des dangers pour la révolution. Après avoir retracé l’origine « artiste » du mot, Marestan pointe trois défauts de praxis révolutionnaire :

De nos jours, le mot dilettantisme a une signification beaucoup plus étendue et sert à marquer le caractère de celui qui s’occupe d’une chose superficiellement, en amateur, sans être profondément attaché à cette chose.
Les dilettantes sont nombreux et pénètrent partout ; il y en a en peinture, en littérature, en musique et aussi en politique ; ces derniers sont les plus dangereux, car on peut les considérer comme les parasites d’un mouvement.
En politique, le dilettante est dangereux ; non pas qu’il soit un mauvais garçon cherchant à nuire à ses compagnons ou à les trahir, mais parce que ses opinions sont à fleur de peau et que, d’ordinaire, il ne veut, en aucun cas, sacrifier sa quiétude et sa tranquillité pour les soutenir et les défendre. En politique — et nous n’employons pas le mot politique au sens péjoratif — il ne faut pas agir en amateur, mais aller jusqu’au bout de ses idées. Quand on participe à un mouvement et plus particulièrement lorsque celui-ci est un mouvement d’avant-garde, il ne s’agit pas de le faire en guise de divertissement et de se dérober quand le moment est venu de prêter son action, de la joindre à celle de ses camarades. Agir ainsi, c’est commettre une indélicatesse vis-à-vis des compagnons qui comptaient sur une force et qui voient celle-ci leur échapper. C’est pour cette raison que le dilettante est dangereux.
Ce n’est ni dans l’hypocrisie, ni dans la vénalité, qu’il faut chercher l’origine du dilettantisme, mais bien plutôt dans l’indolence contemplative, résultat fréquent de l’aisance assurée, et dans cette indécision, ce scepticisme briseur de vaillance qui, avec un tempérament d’artiste, prompt à l’emballement, mais rebelle aux tâches prolongées et rebutantes, est souvent l’apanage des intellectuels
[4].

Pour notre définition, nous pouvons retenir cinq critères : 1) amour sincère de l’art, 2) compétence imprécise, 3) indécision politique doublée d’inconséquence, 4) indolence contemplative (absence de travail effectif, exaltation de la paresse), 5) indisposition aux tâches prolongées et rebutantes. En outre, le terme semble définir particulièrement les intellectuels. On s’efforcera donc de démontrer comment le surréalisme a, logiquement, tenté de répondre à ces critiques, sans parvenir à les faire taire.

Un héritage dilettante : l’anarchisme littéraire

Les surréalistes, en 1926, ont fait preuve depuis plusieurs années de dilettantisme littéraire – étant entendu comme exploration de différents courants, inconséquence, revendication de l’individualisme, et instinct révolutionnaire qui se refuse à un engagement effectif. Ils affichent tout d’abord un ethos de la bohème : vie de café, écriture de poésie, héritage bourgeois (fils de grand industriel, dans le cas de Paul Éluard, fils, certes non reconnu, de préfet de police pour Aragon), refus de travailler, sont autant de traits qui caractérisent une jeunesse oisive qui se consacre à la littérature et à l’art. Les modèles que choisissent les surréalistes sont littéraires et non révolutionnaires : Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud, Jarry, Apollinaire, et le Barrès du « Culte du moi ». Ils sont insérés dans des cercles d’avant-garde par leurs liens avec des figures éminentes, comme Apollinaire, Valéry, Gide ou encore Reverdy, et des milieux, par exemple la librairie d’Adrienne Monnier, ou Gallimard chez qui Aragon et Breton sont employés. Différents témoignages rétrospectifs ont relevé un anarchisme de façade, dissimulant mal l’insouciance des réalités sociales : lorsque les surréalistes font une réunion « autocritique » pour évaluer la pertinence de leur adhésion au P.C., Pierre Naville prend un malin plaisir à rappeler que Breton se « f**tait », « il y avait encore deux ou trois ans », de la question ouvrière[5]. Francis Gérard, dans ses souvenirs, évoque un Breton « à cent lieues des problèmes » de la guerre du Riff (et ce au début de mai 1925, soit quelques semaines avant la tribune La Révolution d’abord et toujours !).

Outre ces attitudes et ces comportements de « snobs et d’esthètes[6] », les jeunes auteurs ont pratiqué un art inconséquent, provocateur et sans désir de se plier aux exigences du public. L’art « Dada » pourrait presque sembler une revendication d’un art négatif, uniquement dédié à la critique : ce nihilisme, que l’on peut retrouver dans le manifeste dada de Breton (« Dada ne donne rien, ni à l’amour, ni au travail. Il est inadmissible qu’un homme laisse une trace de son passage sur la terre[7]. »), sera par la suite ramené à un refus du travail littéraire, voire à une coupure vis-à-vis de la société. C’est là, du moins, le premier reproche qui est au fait au dadaïsme : il n’est qu’un « procédé » facile, une école de destruction de jeunes littérateurs en manque de sensations fortes[8]. Ce reproche sera renforcé ensuite par la récupération de Dada par Cocteau sous le patronage de Picabia, lequel en fera une animation de soirée mondaine[9]. La littérature se transforme en jeu provocateur. Certes, selon Michel Sanouillet[10], une telle provocation n’est pas dépourvue d’une philosophie ; mais, le mouvement, provocateur et destructeur, n’est pas reçu comme une pensée politique sérieuse à l’époque. La position artistique des futurs surréalistes n’a pas d’empreinte politique plus sérieuse, comme l’a relevé Norbert Bandier[11]. Les Pas Perdus tracent une histoire des évolutions artistiques, de « L’esprit moderne » mais sans engagement politique.

Enfin, les membres de Littérature sont à cette époque, de « sensibilité anarchiste[12] », mais de sensibilité seulement. Fascinés dans leur adolescence par les mouvements de lutte sociale[13], et par des figures du terrorisme anarchiste (Émile Henry pour Breton[14], la bande à Bonnot pour Aragon), ils n’en tirent pas un intérêt immodéré pour les questions sociales ou pour un investissement politique. Au contraire : l’attitude pré-surréaliste tend à railler le patriotisme, le travail, la famille, les valeurs traditionnelles, en faisant d’une « disponibilité parfaite » à l’art, à l’amour et de la poésie[15] le seul critère essentiel pour appréhender l’existence ; ainsi le » mouvement flou » rejoint « la tradition anarchisante des milieux littéraires de la fin du xixe siècle[16] », représentée par l’antipatriotisme de Rémy de Gourmont ou l’indifférence politique de Mallarmé. Seuls surnagent des figures esthétisées, comme Germaine Berton, qui  concilie révolution, suicide, et amour[17].

On le voit, par leur affinité avec la littérature symboliste anarchisante, leur passé Dada, et leur individualisme contestataire, les futurs surréalistes semblent proches des dilettantes critiqués au début du siècle. Ainsi, du fait de leur fascination anti-bourgeoise et idéaliste pour la Révolution, la description critique issue de l’Encyclopédie anarchiste n’est pas sans rappeler l’attitude pré-surréaliste :

Lors de la période héroïque de l’anarchisme, de 1890 à 1894, la série des attentats perpétrés par des hommes d’une audace extraordinaire, agissant seuls, et revendiquant hautement devant les juges leurs responsabilités, eut le don d’enthousiasmer nombre de poètes, plus épris de la noble attitude des terroristes que de leurs objectifs de transformation sociale, et qui exaltèrent l’insurrection, moins par amour de la classe ouvrière que par haine des laideurs bourgeoises[18].

Cette même sensibilité transparaît dans l’exaltation de Germaine Berton : les futurs surréalistes la créditent de son geste ; ils lui offrent un bouquet avec le message : « À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n’avons pas pu faire. » Cependant, il n’y a pas de prise de position collective ; Breton va même, selon Marguerite Bonnet[19], jusqu’à voir dans un éventuel acquittement de Germaine Berton une diminution de la grandeur de son geste. Seul l’idéal esthétique du terrorisme (comme le geste absurde de Lafcadio, dans Les Caves du Vatican), les fascine[20]. Marguerite Bonnet conclut pertinemment : « On voit combien Breton est encore loin d’une prise de position politique qui raisonne en termes de rapports des forces et non dans l’absolu[21] ».

Si les membres de Littérature détestent la bourgeoisie et le patriotisme (témoin le procès Barrès), leur haine s’exerce tout autant contre les tenants de l’art engagé tel que Jules Romains (critiqué dans Littérature[22]), que contre le genre très rentable (et populaire) qu’est le roman à l’époque. Ils semblent, par leur provocation et leur théorie artistique, de jeunes bourgeois désœuvrés, pour qui la révolution ne se conçoit pas « sous sa forme sociale » (comme ils l’affirmeront en 1926), mais plutôt comme un « enthousiasme », un idéalisme peu fiable. Leur engagement semble alors manquer de fiabilité et de profondeur, comme si l’appétit de révolution n’était qu’un rejet de leur propre classe d’origine, la bourgeoisie.

Une progressive politisation et scientifisation de la création littéraire

En dépit de cet héritage, Aragon, Breton, Éluard et leurs amis laissent déjà deviner deux traits qui les distingueront de la figure traditionnelle du dilettante : le refus de la mondanité et l’exigence réelle de la révolution. Avant d’étudier l’attitude du surréalisme vis-à-vis du P.C., attitude qui consistera à essayer de paraître « sérieux », voyons les modalités de cette « radicalisation » épistémologique et politique de la création littéraire.

Si nous revenons aux cinq traits du dilettante énoncés supra, on constate que les surréalistes semblent les reprendre en les inversant : tout d’abord, le surréalisme fait figure de mouvement opposé à l’amour de l’art. Les surréalistes déclarent que leur mouvement n’est pas littéraire[23], qu’il s’oppose aux tenants habituels de l’art, et qu’il valorise même l’expérience en-dehors des canons artistiques habituels. Cette vision entraîne un effet de sérieux, ou du moins une démarcation par rapport au monde de l’art, qui n’est pas considéré comme important s’il n’apporte pas un enseignement spirituel et éthique. C’est cet esprit de sérieux et de destruction que salue Walter Benjamin dans son article célèbre de 1929[24] : il y crédite le surréalisme, par son exaltation du mal, d’une capacité à se « débarrasser du dilettantisme moralisateur », c’est-à-dire des artistes sympathisants de la cause révolutionnaire, qui ne vont pas jusqu’au refus de l’art et de la morale. L’amour proclamé du meurtre, le refus de la morale commune, l’exploration de la sexualité, se nourrissent d’un besoin profond de changer l’existence, projet ambitieux devant lequel l’art semble bien inutile.

Si le dilettante est un amateur plus ou moins éclairé, les surréalistes revendiquent une compétence scientifique, ainsi que le montre la célèbre définition du surréalisme comme « fonctionnement réel de la pensée ». La « bureaucratisation de l’inconscient[25] » qui s’en suit, s’accompagne d’une exhibition de signes de légitimité scientifique (Max Weber), celle-ci étant devenu l’aune de la compétence au début du xxe siècle[26]. Ceci a été étudié par Alain Chévrier : les surréalistes revendiquent la création d’un savoir véritable, qui ne soit pas déshumanisé, et utilisent les acquis de la psychiatrie en ce sens, en réutilisant les concepts d’écriture automatique, le vocabulaire philosophique le plus ardu, les rapprochements avec la physique expérimentale, la reprise de protocoles scientifiques. La littérature semble céder le pas face à la compétence scientifique. « Et n’essayez pas de m’offrir de la littérature en place de science », écrit Breton avant de présenter un texte de Freud[27]. Si Bourget, en dressant le portrait du dilettante, accusait la compétence scientifique de Renan d’être sans fermeté et profondeur[28], la situation a changé. Le scientifique, au début du xxe siècle, est un homme qui possède une réelle compétence. Les surréalistes s’approprient la phrase de Lautréamont : « La science que j’entreprends est une science distincte de la poésie[29]. » Comme le dit Jean-Marie Baude : « Laboratoire, salle d’opération sont les lieux mentaux de cette recherche. L’imagerie médicale apporte d’une façon générale une sorte de caution scientifique, et sert en particulier de faire-valoir à l’exigence morale en lui prêtant les apparences de l’objectivité[30] ». Sous cette « apparence d’objectivité », la révolution surréaliste, de littéraire, devient science.

Car les surréalistes vont surtout faire preuve d’un refus de l’indécision et de l’inconséquence. Comme l’a montré Jeanne-Marie Baude, le projet esthétique substitue à la morale traditionnelle une morale de l’engagement sur le long terme – c’est-à-dire un refus de la contradiction. On relève chez Breton le « souci exigeant d’hygiène morale réclamée, souvent avec violence, dans tous les domaines », ou encore la « volonté herculéenne de nettoyer ‘‘l’écurie littéraire[31]’’ ». Ce refus de l’indécision se manifeste par toute une série d’exclusions, dont il serait superflu de faire la recension ici (Artaud, Vitrac, Delteil, Desnos, etc.) : on peut cependant relire ces procès sous l’angle d’une lutte contre le dilettantisme, le changement d’étiquette sans conséquence. Breton reproche ainsi à Soupault sa capacité à se réclamer d’une étiquette sans l’assumer totalement, à suivre ses affinités au fil de l’eau, sans faire preuve d’exigence morale : il est ainsi accusé de distinguer « surréalisme et communisme », de séparer « la littérature » et « le reste de son activité ». Le reproche véritable, derrière ces critiques, est de rester dans le domaine artistique, que l’on peut donc saisir en dilettante, en « papillonnant » : dans ce système, il n’est pas très grave de s’engager au P.C. tout en travaillant dans des maisons d’édition bourgeoises. D’où les accusations d’» activité littéraire désordonnée, activité surréaliste réduite et opportuniste, activité révolutionnaire absente[32] ».

En dépit de ces déclarations, les surréalistes ne parviennent pas réellement à éloigner leur démon intérieur. Ils conservent du dilettantisme deux caractéristiques : l’indolence contemplative et l’indisposition aux tâches prolongées et rebutantes. C’est du moins ce que laissent deviner les notes prises par les surréalistes au jour le jour lors de la création d’un Bureau de recherches surréalistes, au 15 rue de Grenelle en octobre 1924. Les surréalistes espèrent, par cette « centrale » (selon leurs termes), donner un tour plus systématique et rigoureux à leur ambition. Le manque de travail, les absences, parsèment la vie de la Centrale, qui retardent la publication des premiers numéros de La Révolution surréaliste ; le mouvement littéraire peine à se transformer complètement en mouvement révolutionnaire – ce qui entraîne, naturellement, de l’aveu même de Breton, le besoin d’adhérer au P.C. Pierre Naville évoque ainsi les risques qui menaçaient la revue, et qu’Artaud n’a écartés que difficilement :

En peu de temps, nous convînmes qu’Artaud apportait beaucoup de ce qui manquait assez gravement aux ouvertures du Manifeste du surréalisme que Breton venait d’écrire et de publier : l’attaque furieuse des institutions, mœurs, politiques, où la société cristallise ses contraintes malfaisantes. [...] Il était le premier à désigner l’adversaire, en un moment où trop de jeunes se contentaient de renvoyer dos à dos des adversaires, curieux et amis, un peu trop souvent au profit d’un dilettantisme du scandale (nous soulignons) qui pouvait mener loin[33].

Néanmoins l’histoire du groupe, jusqu’en 1926, est une suite d’efforts plus ou moins aboutis pour davantage d’homogénéité et de solidité. L’adhésion au P.C. permet, de fait, de rompre avec l’accusation d’inconséquence et de non-engagement. Cette adhésion aboutit après un rapprochement progressif, étudié entre autres par Guillaume Bridet ou Jean-Pierre Plisson[34]. On ne fera donc pas ici l’histoire de ce rapprochement, si ce n’est en rappelant que les premiers liens se font au sujet de la guerre du Maroc (par le tract La Révolution d’abord et toujours ! signé en août 1925 avec le groupe Clarté, en protestation contre la guerre du Riff) et, symboliquement, par le rapprochement avec Clarté, revue elle aussi révolutionnaire et intellectuelle, à partir de décembre de la même année. Fin 1926, les membres de Clarté et de La Révolution surréaliste se regroupent pour évoquer la possibilité d’une revue commune, La Guerre civile. Symptomatiquement, les débats avec le groupe de Clarté révèlent un réel désir de devenir des partisans exigeants, disciplinés, investis, et prêts à de grandes concessions. Les surréalistes se livrent à l’exercice de l’autocritique, à l’examen des activités et des buts de l’entreprise politique. Ils se disent prêts à se soumettre à la discipline du parti, en promettant d’» éduquer certaines volontés révolutionnaires à commencer par les [leurs][35] ». Ces discussions reprennent les étapes-clés de la formation du communiste, étudiées par Nicolas Woerth en consultant les archives des cellules de Smolensk[36] : l’entrée dans le Parti se fait sur des critères d’obéissance, de bonne volonté, de contrition et d’organisation ; toutes ces exigences visent à être « digne du nom de communiste ». Breton semble évoquer (ou imiter) cette méthode lorsqu’il propose un système de sanction des retards : » 2F par quart d’heure absence totale 20F. Trois absences consécutives = exclusion »[37]. Sont négociés aussi le nombre d’articles que les jeunes intellectuels devront publier dans les revues du groupe allié et les moyens que les membres pourront employer pour faire valoir leurs idées (publicité, déclaration commune, utilisation (ou non) du terme de « surréaliste », etc.). Les surréalistes revendiquent, en contrepartie de leur participation, la tâche (très prestigieuse) de « faire converger toutes les forces intellectuelles disponibles vers l’idée de Révolution. C’est là, spécifiquement, notre tâche de propagande ; elle consistera particulièrement à établir la nécessité de l’issue révolutionnaire[38] » – ce qui ferait d’eux rien de moins que les chefs de la propagande soviétique (!). Par là, le groupe obtient un blanc-seing révolutionnaire : il peut se livrer à sa tâche essentielle de propagande (une dimension essentielle des comités communistes), en échange d’une discipline qui pour l’instant semble lui faire défaut.

Surréalistes et communistes : une infortune continue

Le rapprochement avec le Parti communiste ne s’opère pas sans heurt : il mène, après plusieurs conflits (Légitime défense, Congrès de Kharkov, Misère de la poésie, affaire de l’A.E.A.R) à la rupture. Le surréalisme, loin de se départir de ses tendances profondes, est entré en conflit avec un mouvement révolutionnaire qui avait fait de la discipline et de l’absence de liberté critique interne des éléments essentiels de son organisation. L’histoire de cette « infortune continue » se lit dans les positionnements idéologiques et les comportements des deux parties présentes.

L’appréhension de la révolution, chez les surréalistes, reconduit des attentes libertaires anarchistes. Cette dissimilarité entre la vision idéalisée de la Révolution et sa manifestation réelle était déjà pressentie par Breton et Thirion. Le récit que fait Breton de sa participation à une cellule communiste dans Le Second Manifeste du surréalisme est ainsi édifiant, et montre bien l’impasse stratégique du mouvement. En effet, en racontant ses mésaventures au P.C., Breton pointe trois sujets de discorde : le soupçon continuel[39], le refus de voir le surréalisme comme mouvement autonome, et sa revendication du droit de s’attaquer à des enjeux existentiels :

Je ne vois vraiment pas, n’en déplaise à quelques révolutionnaires d’esprit borné, pourquoi nous nous abstiendrions de soulever, pourvu que nous les envisagions sous le même angle que celui sous lequel ils envisagent – et nous aussi – la révolution : les problèmes de l’amour, du rêve, de la folie, de l’art et de la religion[40]

En ce sens, pour Breton, l’attitude du P.C. est outrageante. Loin de respecter le pacte tacite, le parti met en doute la qualité de l’activité surréaliste ; il la considère même comme « un passe-temps intellectuel comme un autre ». Désaveu suprême, car Breton, en s’engageant, croyait avoir écarté définitivement de telles accusations.

Même constat de la part de Thirion. Dans Révolutionnaires sans révolution, il évoque la différence trop grande entre les attentes du P.C. et l’attitude des surréalistes :

Les surréalistes de 1926-1927 avaient tout ce qu’il fallait pour choquer ou blesser le peuple des cellules. Les surréalistes étaient de jeunes bourgeois qui n’avaient eu de rapports avec les ouvriers que dans l’armée, sauf quand ils avaient eu besoin des services du peintre ou du plombier.
Les surréalistes étaient trop bien vêtus, ils étaient trop nerveux et ils parlaient une langue difficile à comprendre. Fallait-il rédiger un tract ! L’intellectuel y introduisait un ton ou des mots qui n’avaient pas cours dans les usines. Et puis c’était quoi, le surréalisme ? Il suffisait de montrer un seul numéro de La Révolution surréaliste pour que la méfiance s’installât dans l’esprit de presque tous les militants. Essayer de défendre le surréalisme cela faisait naître de redoutables conflits affectifs.
L’homme tient d’abord à ses habitudes de voir et d’entendre. Les adhérents du Parti communiste, en 1927, collaient des affiches antimilitaristes ; peut-être certains d’entre eux eussent-ils été capables de sacrifier leur vie pour la révolution prolétarienne, mais ils réprouvaient les blasphèmes et l’érotisme. Pour eux, la vie familiale, l’art des billets de banque, le film à épisodes, la pudeur étaient aussi sacrés que les couplets de L’Internationale
[41].

Dans ces textes assez lucides, les surréalistes mesurent bien l’écart entre leur mode de vie et les habitudes des ouvriers. La lecture des archives des cellules communistes révèle la différence profonde entre les deux mouvements et l’erreur des surréalistes : discipline et conservatisme des mœurs sont des obstacles à l’intégration de Breton et de Thirion, alors même qu’ils sont les prérequis de l’appartenance au parti. L’obsession qui traverse les archives des cellules de Smolensk est celle de la bonne santé (refus de l’alcool), de la respectabilité (fidélité, travail à l’usine), et de l’obéissance aux dogmes du parti, majoritairement de la part d’ouvriers. Les très longs interrogatoires (une « enquête tatillonne et policière », selon Werth[42]), sont presque le signe d’un « biopouvoir[43] ». Il est possible de considérer que Breton et Thirion, au fond, n’ont pas souffert d’un traitement défavorable. En revanche, le caractère répressif des mesures imposées à chaque nouveau membre soulève naturellement des résistances plus fortes chez un ancien bohème : la revendication d’une vie libre était justement très répréhensible chez les cadres du P.C.[44]. En s’étonnant de ne pouvoir discuter de « l’amour, du rêve », Breton demande justement ce que le Parti ne peut tolérer.

Les revendications surréalistes sont incompatibles avec l’adhésion au Parti communiste : d’un simple point de vue doctrinal, ce sont des preuves d’inconséquence ; on relèvera par exemple l’aveu de Breton de ne pas pouvoir produire un rapport, ce qui vaudrait une exclusion pour tout membre de cellule ; le désir d’aborder des sujets interdits par le parti (amour, rêve, folie, art, sexualité), quand le parti était dans un rapport de « guerre » (Foucault) contre une partie de la société ; le besoin de liberté intellectuelle, proprement étranger au système des cellules communistes touchées par un double phénomène de bureaucratisation (Marc Ferro[45]) du commandement et des cellules (« à la base »). On conçoit que les surréalistes ne pouvaient se plier à cette « bureaucratisation » qu’avec difficulté : or cette divergence les fait tomber sous l’accusation de dilettantisme.  » Peu enclins aux tâches rebutantes », ils paraissent plus prompts à « l’indolence contemplative » qu’à la révolution active, pour reprendre les termes de l’Encyclopédie anarchiste.

Pierre Naville était plus proche des positions communistes, comme le montre sa brochure La Révolution et les intellectuels. Membre du P.C. depuis 1925, il sut quant à lui se plier aux exigences disciplinaires du parti. En 1977 il fera l’éloge « de cette activité » (tracter et militer dans une cellule d’usine), dont il garde « un souvenir enchanté » : » J’avais trouvé là, sur le terrain d’une participation immédiate, quelque chose qui participait d’un rêve et d’un devoir[46]  ». Selon lui, les activités surréalistes comme la peinture, la poésie et les jeux étaient « quelquefois [révélatrices] de l’ennui plutôt que d’autre chose, ou tout au moins d’une manipulation du hasard objectif qui [lui] paraissait un peu trop confiné au domaine des arts et des passades quotidiennes[47] ». Naville, en opposant cet « obstacle matériel » aux « passades quotidiennes » du monde de l’art, énonce ici le point de vue d’un communiste sceptique quant aux avant-gardes et aux « affaires de l’édition[48] ».

Le deuxième motif de rupture est d’ordre stratégique. Si, jusqu’ici, les modalités de la rupture entre communistes et surréalistes ont été étudiées, les raisons en sont restées obscures, le parti-pris ayant été souvent de reprendre le point de vue surréaliste – les surréalistes eux-mêmes s’étant volontiers livrés à la réécriture de ces événements. Or, la ligne dure du communisme empêchait la stratégie mise en place par les surréalistes pour deux raisons : elle est inefficace politiquement, et à terme fractionnelle (Lénine voulant dire par là qu’elle risque de diviser le Parti en fractions, et donc de l’affaiblir). À cette époque, deux célèbres textes de Lénine, Que Faire ?[49], et La Maladie infantile du communisme : le « gauchisme »[50] orientent durablement la politique du P.C. Les revendications doctrinales du P.C., en 1927, sont toujours sur une stratégie de conquête et de mobilisation de tous les atouts nécessaires pour obtenir la mainmise sur la situation politique. À ce sujet, Marc Ferro explique que l’état mental du P.C. a été fixé dès 1918, à l’issue de la liquidation des Soviets et de la victoire du parti bolchévik par extermination des alternatives réformatrices[51]. En ce sens, Que faire ? est un appel à une organisation forte : il s’oppose sans concession au concept de « liberté critique », lequel serait à l’origine d’un éclatement de la force révolutionnaire et d’un manque de discipline. Dans La Maladie infantile du communisme : (le « gauchisme »), Lénine vise particulièrement la tendance des mouvements révolutionnaires à refuser de s’allier avec des syndicats préexistants au nom de la pureté idéologique (décision estimable mais néfaste sur le plan stratégique). De plus, le P.C. promeut une utilisation instrumentale de l’art, un refus des « ismes » et un attachement à l’art réaliste[52], estimé plus capable que les avant-gardes « d’instruire les masses ».

Dès lors, l’attitude des surréalistes devient celle de littérateurs dilettantes. Outre que leur activité relève uniquement de la « révolution de l’esprit » bien étrangère aux communistes[53], ils sont coupables d’activité fractionnelle : en critiquant dès leur arrivée Barbusse et les avant-gardes installées, et en critiquant le P.C. lui-même, ils font courir au Parti le risque d’être divisé. Leur manque de discipline les fait apparaître comme des « révolutionnaires de café » idéalistes, plus dangereux qu’utiles au parti qui cherche à éviter de telles passes d’armes[54]. D’autre part, les surréalistes, en critiquant Barbusse et les sympathisants du P.C. (Romain Rolland, par exemple, est visé à travers le terme « d’esprit européen »[55] lors d’une réunion du groupe surréaliste avec celui de Clarté) font preuve de pureté militante. Le P.C., comme le rappelle Jean-Pierre Plisson[56], se réjouit fortement de la présence d’intellectuels prestigieux. En rétrécissant la politique culturelle à sa propre action (en appliquant de ce fait un procédé de concurrence propre au champ littéraire), le surréalisme diminuerait le prestige du P.C. Pour finir, la conception surréaliste de la littérature s’oppose aux desseins du parti, qui conçoit l’art d’un point de vue instructif et militant : l’art doit être une extension de la formation du citoyen, rien d’autre. Comme le note Nicolas Werth : « Politique, la révolution culturelle est, à terme, révolution économique, puisqu’un de ses buts est de changer l’attitude des masses vis-à-vis du travail[57]. » Les surréalistes doivent avoir conscience d’une telle lacune révolutionnaire, puisqu’ils esquissent régulièrement la création d’une collection antireligieuse, un programme de littérature à l’usage des masses, des happenings politiques – mais les projets tournent court, et les happenings surréalistes, confidentiels et plutôt proches des manifestations de l’avant-garde, sont bien loin des objectifs du P.C.

Pour finir, comme le rappelle Florian Mahot Boudias au sujet de Misère de la poésie[58], la position surréaliste conduit à ne jamais sacrifier la vocation artistique à l’impératif politique ; les surréalistes revendiquent constamment le droit à exercer une activité révolutionnaire à côté de leur activité artistique, ce qui conduit à un paradoxe que Misère de la poésie finit par dévoiler. En effet, lorsque, le 16 janvier 1932, Aragon est poursuivi en justice pour « excitation de militaires à la désobéissance » suite à la publication de son poème « Front Rouge », Breton, en exigeant une indépendance juridique de la poésie, vient détruire le crédit révolutionnaire durement conquis du surréalisme. Ceci est tout de suite remarqué par L’Humanité, selon qui la défense bretonienne s’applique » pour les poètes et pour les poètes seulement », mais surtout consiste à se battre essentiellement sur le front artistique au lieu de « défendre le contenu du poème ». Pour l’organe du P.C, le « révolutionnarisme [des surréalistes] n’est que verbal[59] ».

On peut ainsi faire l’hypothèse que le communisme et sa discipline furent pris comme des remèdes aux accusations de dilettantisme du surréalisme (de là, sans doute, l’appréhension très idéaliste, voire « littéraire » du communisme chez les surréalistes, comme l’explique Victor Crastre[60]), et eussent dû, pour Breton (non sans douleur, il est vrai), protéger le groupe d’une dilution artistique. En refusant de se plier au principe de réalité et à la discipline d’un parti, le surréalisme a cependant repris bien malgré lui les figures du dilettante révolutionnaire.

« Savoir aimer suffit » : le surréalisme, un dilettantisme sérieux ?

On émettra pour finir l’hypothèse que le surréalisme, après la rupture avec le Parti communiste, a pu proposer une autre manière d’écarter le péril « dilettante », en en proposant une incarnation plus conséquente.

On étudiera pour cela ces trois aspects : tout d’abord, la figuration de l’existence de l’amateur comme principe même d’une vie éthique, menée par une constante recherche de l’éblouissement poétique ; deuxièmement, la revendication d’une compétence qui échappe au regard universitaire ; enfin, un amour de l’art transformé en artification, qui fait de tout objet un objet potentiellement esthétique, et mène le surréalisme à la recherche de passions conjuguant révolution, art et investissement personnel.

Le titre de dilettante, une fois ôté sa part antirévolutionnaire, pourrait s’appliquer au surréalisme, en ce qu’il valorise une vie dédiée à l’art. La figuration de l’homme nouveau, dans le surréalisme, prend la forme d’une attention, d’une « attente de l’énigme », qui rend chaque objet susceptible d’être un objet esthétique. En ceci, la vie surréaliste, loin d’être une « révolution permanente » ressemble plutôt à une recherche de l’extase momentanée. Loin de proposer réellement une « construction », ou un projet humain à long terme, le mouvement leur substitue la recherche de la beauté convulsive, entrevue soudainement, et même sollicitée, par l’œil du surréaliste. Cette figuration de la vie comme collecte de moments artistiques est mise en avant dans Le Paysan de Paris, où Aragon transfigure en œuvre mythologique le passage de l’Opéra. L’Amour fou contient une célèbre scène d’» attention » à la merveille ; Breton, en compagnie de Giacometti, est frappé par une découverte inattendue :

À quelques boutiques de là, un choix presque aussi électif se porta pour moi sur une grande cuiller en bois, d’exécution paysanne, mais assez belle, me sembla-t-il, assez hardie de forme, dont le manche, lorsqu’elle reposait sur sa partie convexe, s’élevait de la hauteur d’un petit soulier faisant corps avec elle. Je l’emportai aussitôt. Nous débattions le sens qu’il convient d’attacher, si minimes puissent-elles paraître, à de telles trouvailles.

Les deux objets, qu’on nous avait remis non enveloppés, dont nous ignorions l’existence quelques minutes plus tôt et qui nous imposaient avec eux ce contact sensoriel anormalement prolongé, nous ramenaient sans cesse à la considération de leur existence concrète, nous livraient aussi certains prolongements, très inattendus, de leur vie.(…) La trouvaille d’objet remplit ici rigoureusement le même office que le rêve, en ce sens qu’elle libère l’individu de scrupules affectifs paralysants, le réconforte et lui fait comprendre que l’obstacle qu’il pouvait croire insurmontable est franchi[61].

Dans cette scène, la découverte amateure d’un objet aux « puces » prend la forme d’un discours moral. L’appréciation de la « trouvaille » (mot qui obsède Breton, au point qu’il l’utilise dans Les Vases communicants au sujet de l’œuvre de Freud) permet de résoudre un conflit intérieur : l’indécision affective, la recherche de « chaussure à son pied » (c’est-à-dire la recherche d’une amante). C’est à ce titre qu’elle est rapprochée du rêve, lequel opère chez Breton la résolution des conflits du moi[62]. Dotée même d’énergie vitale, capable de « réconforter », la recherche de la trouvaille devient l’horizon indépassable de la jouissance et de la consolation devant le monde qui se refuse à la satisfaction du moi. Cette vision de l’existence est la conséquence logique du système moral bohème anticapitaliste : comme l’a montré Jérôme Thélot, Nadja esquisse un mode de vie très étranger à celui de Nadja elle-même, qui reste assez conservatrice[63] ; Breton affirme plusieurs fois le refus du travail, l’intérêt de l’errance, ses passions bibliophiliques, et ne met pas en scène son travail réel d’écrivain. Cette errance attentive résume le système du surréalisme : l’investissement personnel, ce que l’Encyclopédie anarchiste nomme la « passion », vient justifier cette quête mythologique de l’éblouissement « profane ».

L’appréhension de l’œuvre d’art, chez les surréalistes est amateure, irrationnelle, et raidie d’énergie morale : elle n’est pas discursive, discutable ; elle est un goût qu’on impose (comme l’a noté Jean-Michel Rabaté[64]). Le fait même de chercher à connaître mieux l’œuvre fait partie d’un processus de rationalisation de cette première appréhension esthétique, d’approfondissement et de justification de l’émerveillement – on peut parler d’un certain dilettantisme savant en voyant Breton utiliser un savoir précis pour justifier sa propre vision du rêve dans Les Vases communicants, mais sans tirer de conclusions de son livre. La connaissance amateure est garante d’un œil infaillible, qui distingue le vrai du faux. Breton fait preuve de cette expertise en décelant sans aucune source la fausseté du poème attribué à Rimbaud, La Chasse spirituelle, lequel avait été forgé par Akakia-Viala et Nicolas Bataille. S’opposant doublement au savoir universitaire désincarné et au collectionneur sans passion, Flagrant délit fait la part belle à une intelligence amateure et affective :

N’en déplaise aux analystes forcenés, ceux qui sont doués de ces yeux savent que toute spéculation autour d’une œuvre est plus ou moins stérile, du moment qu’elle ne nous livre rien de l’essentiel : à savoir le secret de la puissance d’attraction que cette œuvre exerce[65].

C’est que selon Breton cette appréhension affective est plus efficace qu’une connaissance d’universitaire ou de collectionneur. Critiquant une édition fautive de Germain Nouveau (elle comporte des versions erronées de certains vers et invente des titres de poèmes) dans la note très courte de Médium nommée « Savoir aimer suffit » (presque un programme), il avance qu’une vision proprement personnelle, en rendant « sensible » les caractéristiques d’une œuvre, empêche de faire une seule erreur.

Savoir aimer : constatons-le une fois de plus, voilà ce qui importe en poésie avant de vouloir connaître, à plus forte raison de prétendre à faire connaître. Si le préfacier d’un tel ouvrage avait aimé ce dont il parle, il eût commencé par ne pas donner dans ce lugubre panneau[66].

Faute d’avoir « aimé », le préfacier se trompe sur la valeur de l’œuvre ; la présentation de Germain Nouveau, non contente d’être fautive, brise la réception. L’éblouissement amateur, à l’inverse, est crédité d’une double capacité. Il peut deviner l’erreur par sa sensibilité et son goût exercé (ce que Breton vient de prouver dans le cas du « faux Rimbaud »), et il dispose d’un amour sincère, seule garantie de sa transmission. La connaissance désincarnée, démembrée, sans affection, au contraire manque la part véritable :

La vertu d’une œuvre ne se manifeste que très secondairement dans les plus ou moins savantes exégèses auxquelles elle donne lieu, elle réside avant tout dans l’adhésion passionnée qu’en nombre sans cesse croissant lui marquent d’emblée les jeunes esprits. Ce qui compte selon moi, et rien d’autre, c’est cet instant décisif de l’approche où la vie, telle qu’elle s’était conçue jusque-là, change de sens, s’éclaire brusquement d’un nouveau jour. […] Au départ il ne s’agit pas de comprendre mais bien d’aimer[67].

Conception esthétique qui se double, on le voit, d’une vision éthique, en ouvrant à « l’instant décisif de l’approche où la vie (…) change de sens, s’éclaire brusquement d’un nouveau jour », c’est-à-dire la rencontre de l’œuvre, en engageant un réseau de sens et d’investissement éthique, change la conduite de l’existence.

Il reste maintenant à définir le goût surréaliste, qui mêle la passion, la révolution, et l’engagement individuel. De nombreuses études sur le goût surréaliste ont été proposées (comme celle de Didier Ottinger[68]), qui toutes ont isolé la tendance du surréalisme à l’irrationnel, au fragment[69], au document vivant. Nous nous proposons une autre approche, qui relève plutôt d’un travail amateur du goût, d’une » artification » du monde par le langage. Le regard surréaliste se penche sur le monde à la recherche de la merveille, et entreprend de trouver les critères qui permettent d’expliquer cet attachement. La notion d’artification provient des travaux de Nathalie Heinich[70] décrivant les trois critères par lesquels un objet peut intégrer le patrimoine national : beauté, authenticité et exemplarité. Un objet mérite sa place s’il est riche esthétiquement, remarquable par son authenticité (il n’est pas un « faux »), ou s’il est exemplaire (il « représente » les autres objets). Si l’on essaie maintenant de définir les trois caractéristiques de l’objet surréaliste, on peut reprendre, en les modifiant quelque peu, ces trois critères : ravissement esthétique (c’est la « beauté convulsive »), authenticité (le critère est décisif, comme le montrent les querelles surréalistes sur l’authenticité d’informations sur Lautréamont, Artaud, Rimbaud, etc.), et enfin caractère « dialectique », propice à être repris dans un raisonnement. C’est le cas, par exemple, de la présentation de Flora Tristan dans Le Surréalisme, même. Ce texte est d’autant plus intéressant que les lettres évoquées, et dont la transcription est donnée dans le même numéro, appartiennent à Breton. C’est donc presque en collectionneur que Breton introduit les lettres :

Il n’est peut-être pas de destinée féminine qui, au firmament de l’esprit, laisse un sillage à la fois aussi long et aussi lumineux que celle de Flora Tristan (1803-1844). [...]
On touche par elle au cœur du romantisme français ; elle apparaît comme la floraison même de son rameau social. Nous saluons en Flora Tristan celle qui dit que « la femme réfléchit la lumière divine », celle, aussi, qui, quatre ans avant le Manifeste communiste, a préconisé l’organisation autonome du prolétariat et s’est vouée corps et âme à la réalisation de l’union universelle des ouvriers et des ouvrières.
De si hauts titres ne sauraient, pour autant épuiser le rayonnement d’une telle personnalité et, moins encore, expliquer la séduction qu’elle exerce. Aux alentours de 1840, Flora Tristan, de par son prestige et son dynamisme, se tient à un plus vaste carrefour de lueurs. Si, en effet, sa pensée est en contact permanent avec celle de Charles Fourier et des saint-simoniens, telles des lettres ici recueillies la montrent assez intimement préoccupée d’un Ganneau pour chercher tout ensemble à le secourir … et à l’offenser. [...] « Elle était admirablement jolie, dit Jules Janin, si ces deux mots admirable et jolie peuvent aller de compagnie … Rien qu’à la voir, l’œil brillant, repliée dans son fauteuil, comme une couleuvre au soleil, vous eussiez deviné qu’elle appartenait aux lointaines origines, qu’elle était la fille des rayons et des ombres
[71]. »

Les trois critères énoncés sont bien présents ici : la beauté des lettres, via la « fraîcheur désirable », l’authenticité par l’accumulation des détails biographiques, et l’exemplarité, car Floran Tristan est représentative d’une politique utopiste, dans la lignée de Fourier. C’est bien en amateur éclairé et intéressé que Breton présente sa « trouvaille » esthétique, en la dotant d’une forte charge intellectuelle et révolutionnaire ; la présentation reste dans le domaine non-explicatif, et cède volontiers le pas à des effets stylistiques proches du poème en prose (phrases longues, vocabulaire mélioratif, ton épidictique, hypotypose finale, métaphore du « firmament de l’esprit »). « L’artification » opérée sur des éléments qui relèvent de la bibliophilie, ou de la collection d’amateurs, fait de la recherche et de l’érudition libre une manière de naviguer dans le monde, d’y trouver des symboles, et de s’insérer dans le débat politique (ici, par la création d’une figure exemplaire opposée au Parti communiste, symbole d’une « troisième voie »).

Conclusion : des dilettantes malgré eux

Au terme de cette recherche, il apparaît que le surréalisme, après une tentative de « raidissement » entre 1927 et 1932, a retrouvé sa nature anarchiste profonde. Cependant, loin de se cantonner au dilettantisme révolutionnaire, il a fait du dilettantisme une force, en érigeant l’émotion et la subjectivité (politique et esthétique) comme principe même d’une vision du monde. Il importe cependant de préciser que le groupe surréaliste n’en a pas perdu pour autant sa force subversive, comme l’atteste sa prise de position après la Seconde Guerre mondiale dans différentes affaires (protestation contre la politique stalinienne, soutien de l’insurrection de Prague, rédaction de la Déclaration des 121). Les mouvements qui le suivront, tels que le situationnisme et le lettrisme, critiqueront son ambiguïté anarchiste, et mettront un point d’honneur, comme l’a montré Alexandre Trudel[72], à enterrer pour de bon le « dilettantisme », au profit d’une « révolution du quotidien ». Debord se fera un malin plaisir de démontrer l’inconséquence politique des surréalistes, et de les ravaler au rang d’idéalistes, en abandonnant en surface la question artistique, jugée récupérable par le capitalisme : « Le succès même du surréalisme est pour beaucoup dans le fait que l’idéologie de cette société, dans sa face la plus moderne, a renoncé à une stricte hiérarchie de valeurs factices, mais se sert à son tour ouvertement de l’irrationnel, et des survivances surréalistes par la même occasion[73]. » La transformation artistique du quotidien, chez les situationnistes, délaisse le « merveilleux », l’œuvre d’art, la recherche de la trouvaille pouvant être transformés en outil de « brainstorming », ou d’objets capitalistes. Oubliant les rivages de l’œuvre d’art, les situationnistes pratiquent l’errance, l’étude stratégique des moyens de lutte, la pratique de la philosophie. Il n’est donc pas étonnant de voir Guy Debord revendiquer le Cardinal de Retz ou Clausewitz (authentiques hommes de combat) comme figures tutélaires, là où Breton était plus enclin à citer, au seuil même de la mort, Lautréamont et Rimbaud. Le situationnisme opère ainsi un double mouvement de refus de la récupération artistique (le statut d’intellectuel ou d’écrivain) et d’élaboration plus rigoureuse de la stratégie révolutionnaire – avec l’espoir de transformer « l’amère victoire du surréalisme » en « guerre situationniste ».

Faut-il voir, comme Jean Clair[74], dans les velléités révolutionnaires du surréalisme une illusion narcissique et proto-fasciste ? Un cruel jeu de dupes, comme l’avance Kundera[75] ? Au-delà des questions de l’efficacité politique de l’avant-garde littéraire, on peut noter le surprenant radoucissement de Guy Debord à la fin de sa vie. Retiré de la lutte politique, ayant fait acte dans les Commentaires de l’échec du situationnisme, celui-ci se replie dans la littérature : le travail de la langue, l’écriture des mémoires, le plaisir esthète comblent l’existence dans un monde en butte aux aspirations révolutionnaires, attitude qui n’est pas, ironiquement, sans un soupçon de dilettantisme…

 

[1]Les surréalistes font ici allusion à la « littérature prolétarienne », courant esthétique né en 1913 avec le manifeste de Marcel Martinet L’art prolétarien. L’art prolétarien s’efforce de décrire les conditions de vie du prolétariat en prêtant exclusivement la plume aux premiers concernés. Il privilégie donc le récit et l’autobiographie. Breton et Aragon n’auront de cesse de critiquer cette forme d’art qu’ils jugeront toujours insuffisante d’un point de vue esthétique.

[2] Archives du surréalisme 2, Vers l’action politique : de La Révolution d’abord et toujours ! (juillet 1925) au projet de La Guerre civile (avril 1926), éd. Marguerite Bonnet, Paris, France, Gallimard, 1988, p. 65.

[3]Paul Bourget, « Du Dilettantisme », Essais de psychologie contemporaine, Paris, Lemerre, 1883.

[4]Jean Marestan, « Dilettantisme », in Encyclopédie anarchiste, Paris, France, La Librairie internationale, 1934. Disponible en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Encyclop%C3%A9die_anarchiste/D%C3%A9votion_-_Dime (nous soulignons).

[5]Archives du surréalisme 2. Vers l’action politique, op. cit., p. 32.

[6]Victor Crastre, Le drame du surréalisme, Paris, Les Éditions du Temps, 1963, p. 74.

[7]André Breton « Manifeste dada », in Littérature, n°13, mai 1920, p. 16

[8]Ainsi Victor Crastre, dans Le drame du surréalisme, op. cit., p. 16, rappelle que le surréalisme était issu de la « tradition de la révolte essentiellement individualiste qui, de Rousseau et de Sade, aboutissait aux vaticinations de Dada et aux rêves du surréalisme ? », bien opposé à « la publication d’enquêtes agricoles ou de pamphlets contre les prix littéraires » qui étaient la stratégie du P.C.

[9]Mark Polizzotti, André Breton, traduit par Jean-François Sené. Paris, France, Gallimard, 1999, p. 166.

[10]Michel Sanouillet, Dada à Paris [1965], Paris, J-J. Pauvert, 2015 [version numérique] : « Mais la raison fondamentale de l’apolitisme des dadaïstes réside dans la conception même qu’ils se faisaient de leur insoumission : celle-ci leur était totale et absolue. Elle se situait sur un plan qu’il n’est point téméraire d’appeler métaphysique. » (la citation se trouve au chapitre XXIV, « Conclusion et Bilan »).

[11] Norbert Bandier, Sociologie du surréalisme, La Dispute, 1999.

[12]Carole Reynaud-Paligot. « Histoire politique du mouvement surréaliste (1919-1969) », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n°13, 4 octobre 1994. https://doi.org/10.4000/ccrh.2718

[13] Dans son adolescence, Breton déclare à Théodore Fraenkel s’être rendu à une manifestation de la C.G.T., le 16 mars 1913. Il est aussi un lecteur assidu de revues anarchistes : Le Libertaire, L’Action d’Art. Breton rappellera dans Arcane 17 le fort effet que fit sur lui le « drapeau rouge », entrevu lors d’une manifestation à dix-sept dans, ainsi que la devise : « Ni Dieu, ni maître ». (voir Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de l’aventure surréaliste, Corti, 1975, p. 50-52.)

[14] Voir Bonnet, ibid.

[15]André Breton, « Clairement », in Œuvres complètes, t. I, éd. Marguerite Bonnet (dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 266.

[16] Carole Reynaud-Paligot, op. cit.

[17] Cf Marguerite Bonnet, André Breton : naissance…, p. 270.

[18] Jean Marestan, « Dilettantisme », op. cit. Nous soulignons.

[19] Bonnet, André Breton, naissance…p. 270-271.

[20] Il n’est d’ailleurs pas étonnant que lorsque Breton sent la puissance subversive du surréalisme attaquée, en 1929, il définisse le fait de tirer au revolver en pleine rue au hasard comme l’acte le plus surréaliste qui soit. (voir Second manifeste du surréalisme).

[21] Bonnet, ibid, p. 271.

[22]Philippe Soupault, « Un bon mouvement : l'école de technique poétique », in Littérature, nouvelle série, n°1, mars 1922.

[23]Voir la déclaration manuscrite du groupe en mars 1925, que l’on peut lire sur le site andrebreton.fr : https://cms.andrebreton.fr/fr/work/56600100395110 (image 3).

[24] « Le surréalisme en 1929 », repris in Walter Benjamin, Le surréalisme : et autres textes, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Paris, Payot & Rivages, 2018.

[25]Sven Spieker, « La bureaucratie de l'inconscient : le début du surréalisme dans le bureau », in Asholt, Wolfgang et Hans T. Siepe (dir), Surréalisme et politique - politique du surréalisme, New York, Rodopi, 2007.

[26]Weber, Le Savant et le politique. Sur le déploiement de la méthode scientifique comme paradigme : Anouk Barberousse, Max Kistler, Pascal Ludwig, La philosophie des sciences au XXe siècle, Paris, Flammarion, « Champs Université », 2000.

[27]Cité par Henri Béhar, in Mélusine, n°28, L’Âge d’Homme, 2007, p. 10.

[28]« Disons que le dilettantisme est une disposition d'esprit assurément rare et peut-être dangereuse ; mais n'en est-il pas des dangers sociaux comme de la fièvre qui consume le sang d'un malade ? », Paul Bourget, « Du dilettantisme », op. cit.

[29] Isidore Ducasse, Poésies [1870] in Littérature, n°3, mars 1919, p. 19.

[30]Jeanne-Marie Baude, « Culpabilité et valeurs morales selon André Breton » in Henri Béhar (dir.), Mélusine, n°8, 1986, p. 20.

[31]Jeanne-Marie Baude, ibid.

[32]Archives du surréalisme, t. 3, p. 52-69.

[33]Pierre Naville, Le Temps du surréel, Galilée, 1977, p. 306.

[34]Guillaume Bridet, « Tensions entre les avant-gardes : le surréalisme et le Parti communiste », Itinéraires [En ligne], 2011-4 | 2011, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 25 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/1366  ; DOI : https://doi.org/10.4000/itineraires.1366, et : Jean-Pierre Plisson, André Breton : le fil rouge des enchantements, Montreuil, Éditions du Travail, 2018.

[35]Marguerite Bonnet (dir.), Adhérer au Parti communiste ? (septembre-décembre 1926), Paris, Gallimard, 1992.

[36]Nicolas Werth, Être communiste en U.R.S.S. sous Staline [1981], Paris, Gallimard, « Foliopoche », 2017.

[37]Réunion du 26 octobre 1925, Vers l’action politique, p. 65.

[38]23 octobre 1926, ibid.

[39]« Au cours de trois interrogatoires de plusieurs heures, j’ai dû défendre le surréalisme de l’accusation puérile d’être dans son essence un mouvement politique d’orientation nettement anti-communiste et contre-révolutionnaire. De procès foncier de mes idées, inutile de dire que, de la part de ceux qui me jugeaient, je n’avais pas à en attendre. Si vous êtes marxiste, braillait vers cette époque Michel Marty à l’adresse de l’un de nous, vous n’avez pas besoin d’être surréaliste. » André Breton, Second manifeste du surréalisme, in Œuvres complètes, t. I, éd. cit., p. 795.

[40]Ibid., p. 793.

[41]André Thirion. Révolutionnaires sans révolution, Paris, R. Laffont, 1972, p. 124-125.

[42] Nicolas Werth, Le cimetière de l’espérance. Essais sur l'histoire de l'Union soviétique, 1914-1991, Paris, Perrin, « Tempus », 2019. Voir en particulier le chapitre « Chapitre 10. URSS : être communiste sous Staline », p. 193-213 : « Cet examen [l’enquête de passage] devient de plus en plus difficile, et prend, à partir des années trente, un caractère d’enquête tatillonne et policière, où tous les détails de la vie privée du postulant sont épluchés. »

[43]Michel Foucault, « Il faut défendre la société », éd. François Ewald, Mauro Bertani, Alessandro Fontana, Paris, Gallimard /Seuil, 1997. Voir en particulier le cours du 16 mars 1976 consacré au biopouvoir soviétique, p. 213-235.

[44]Par exemple, in Nicolas Werth, Le cimetière de l’espérance, op. cit. : critique de l’alcoolisme (p. 47), autocritique (p. 51).

[45]Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique : les mécanismes d’une subversion, Paris, Gallimard, 2017. Dans cet ouvrage classique de l’histoire de la Révolution russe, Ferro étudie le mouvement de bureaucratisation progressive de la société russe en 1917. À rebours de la thèse de la prise de pouvoir par les soviets, Ferro remarque que le désir d’auto-surveillance, de moralisation et de dictature venait des classes populaires elles-mêmes. Dès les premiers jours de la Révolution, c’est l’ensemble de la société russe qui fait de chaque moment du quotidien l’objet de la bureaucratie et du contrôle étatique.

[46]Pierre Naville, Le temps du surréel, op. cit., p. 336.

[47]Ibid.

[48]Ibid.

[49]Lénine, Que faire ? Édité par Jean-Jacques Marie. Paris, Seuil, 1966.

[50]Lénine, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), Paris, Éditions sociales, 1970.

[51]Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, op. cit.

[52]« — Vous savez, je ne suis pas calé en art, dit Lénine – ayant vraisemblablement oublié son article 1et la phrase de Karl Marx – l’art c’est pour moi... quelque chose comme un appendice intellectuel, et lorsque son rôle de propagande, qui nous est indispensable, sera accompli, nous le couperons – clac-clac ! À cause de son inutilité. » Iouri Annenkov, « Peinture et révolution : propos de Lénine et de Trotsky sur l’art pictural d’après les souvenirs d’un portraitiste officiel », Labyrinthe [En ligne], n°6, 2000. URL : http://journals.openedition.org/labyrinthe/408

[53]« Selon eux [les surréalistes], le mouvement devait s’exprimer dans des œuvres à large audience ; il devait aussi rester étranger à toutes considérations politiques ou sociales : ce qui l’entraînait à demeurer à l’écart de tout ce qui se tentait dans le monde pour assurer la libération de l’homme. ("Et puis la barbe avec la Révolution !", se serait un jour écrié Roger Vitrac.) » (Victor Crastre, Le drame du surréalisme, op. cit., p. 27.)

[54] Comme le soulignaient Claude Prévost et Danielle Tartakoswki : au P.C. » on n’acceptait en fait l’intellectuel que dans la mesure où il se niait en tant que tel » (« Les intellectuels et le PCF - 1920-1940 », Cahiers d’histoire de l’institut Maurice Thorez, n°15, 1er trimestre 1976, p. 48-49.)

[55] Archives du surréalisme 2, Vers l’action politique : de La Révolution d’abord et toujours ! (juillet 1925) au projet de La Guerre civile (avril 1926), éd. Marguerite Bonnet, Paris, France, Gallimard, 1988, p. 65.

[56]Jean-Pierre Plisson, Le Fil rouge des enchantements, op. cit.

[57] Nicolas Werth, Le cimetière de l’espérance, op. cit., p. 137.

[58]Florian Mahot Boudias, « Politique de l’illisibilité : André Breton face à Aragon dans Misère de la Poésie (1932) », dans Fabula-LhT, n° 16, « Crises de lisibilité », dir. Jan Baetens et Éric Trudel, janvier 2016, URL : http://www.fabula.org/lht/16/mahot-boudias.html

[59]Anonyme, « L’inculpation d’Aragon », l’Humanité, 9 mars 1932, cité par Gwenn Riou, « Un rendez-vous raté : communistes et surréalistes dans les années 1930 », Marges, n°26, 2018, en ligne : http://journals.openedition.org/marges/1360 ; note 45.

[60]« Les surréalistes, en 1924, ignoraient tout des contingences politiques ; ils n’avaient aucune expérience de stratégie ou de tactique révolutionnaire ; ils ignoraient le marxisme… La Révolution n’était pour eux qu’une entité philosophique doublée d’une image poétique. La Révolution, à leur sens, pouvait vaincre n’importe où et n’importe quand par un miracle de la volonté de l’homme. » (Victor Crastre, Le drame du surréalisme, op. cit., p. 49).

[61]André Breton, L’Amour fou, in Œuvres complètes, t. II, éd. cit., p. 700.

[62]À ce sujet : « Écrire et réaliser une nouvelle Science des rêves ? À propos des lectures onirologiques d’André Breton dans Les vases communicants », in La « pensée-Breton », éd. Chénieux-Gendron, Blœdé, Caye, Colin-Picon, L’œil d’or, 2021, p. 45-61.

[63] Jérôme Thélot, « Nadja, violence et morale », in Michel Murat (dir.), André Breton, Paris, Cahiers de L’Herne, 1998, p. 283-298.

[64]Jean-Michel Rabaté, « "Ou ne sera pas"… André Breton et la beauté convulsive », Pleine Marge, n°13, 1991.

[65]André Breton, » Flagrant délit » (1952), in Œuvres complètes, t. III., éd. cit., p. 793-794.

[66]André Breton, » Savoir aimer suffit » (1952), in Œuvres complètes, t. III., éd. cit., p. 1103.

[67]Ibid.

[68]Didier Ottinger, Surréalisme et mythologie moderne : les voies du labyrinthe d’Ariane à Fantômas, Paris, Gallimard, 2002.

[69] Pierre-Henri Kleiber, « Le surréalisme en anthologie : un chant du cygne ? », dans : Corinne Blanchaud (dir.), Pour la poésie. Poètes de langue française (XXe-XXIe siècle), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, « Littérature Hors Frontière », 2016, p. 409-420. En ligne : https://www.cairn.info/pour-la-poesie--9782842924560-page-409.htm

[70]Nathalie Heinich et Roberta Shapiro, De l’artification : enquêtes sur le passage à l’art, Paris, Éd. de l’EHESS, 2012. En particulier : « L’inventaire, un patrimoine en voie de désartification ? » (p. 193-210).

[71]André Breton, « Flora Tristan », in Œuvres complètes, t. IV, éd. cit., p. 966-967.

[72]Alexandre Trudel, « Des surréalistes aux situationnistes », COnTEXTES [En ligne], n°6, 2009, mis en ligne le 25 septembre 2009, consulté le 26 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/contextes/4421

[73]Guy Debord, Rapport sur la construction des situations [1957], Paris, Mille et une nuits, 2000.

[74] Jean Clair, Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes : contribution à une histoire de l'insensé, Paris, Mille et une nuits, 2003.

[75] Milan Kundera, La Vie est ailleurs, [1969], Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1973.

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