Horizon et structure d’horizon dans la California Trilogy de James Benning

Yaniv Touati

01/03/2022

Plan de l'article :

  1. Le film et la trilogie à l’horizon du plan
  2. Horizon spatial et temporel des paysages

James Benning est un cinéaste documentaire américain fortement influencé par le cinéma structurel[1] des années 1960-1970. Son approche obéit en effet à des protocoles formels rigoureux qu’il applique, surtout à partir des années 1990, au paysage comme dans la California Trilogy composée des films El Valley Centro (1999), Los (2000) et Sogobi (2001). Formant un†e étude topographique de la Californie autour de la question de l’exploitation de l’eau, ces trois films sont chacun constitués de 35 plans fixes de paysages d’une durée de deux minutes trente. Cette rigueur formelle, établie par Benning, semble a priori limiter le paysage puisqu’elle le contraint par une durée mais aussi un cadre fixe qui empêche une vue d’ensemble du lieu comme pourrait l’offrir un mouvement panoramique par exemple. Étymologiquement, le terme « paysage » porte en lui cette idée de limite. Apparu au XVIe siècle, il dérive du latin pagus qui désigne « une borne fichée dans le sol[2] » et naît en effet d’un cadrage opéré par le regard. Toutefois, observe Eugenio Battisti :

L’art du paysage […] utilise des instruments optiques […] : perspectives, chambre obscure (camera oscura), modèles construits, études sur la lumière et les reflets, [...] analyse des couleurs […] [et ainsi] crée à l’intérieur de lui-même une tendance à détruire les limites topographiques, en élargissant jusqu’à une dimension cosmique la vision en profondeur et en étendue, en soulignant la variation de certains éléments (vent, nuages, eaux, brouillards, éclairages inhabituels) : il devient donc une métaphore de l’infini et fait passer le spectateur du plaisir qu’il éprouve à s’évader de son monde habituel ou à revoir ce qu’il connaît déjà à l’inquiétude qui naît du mystère et de l’inconnu[3].

Dans le prolongement de la peinture du paysage et en particulier des panoramas du XIXe siècle, l’image animée n’a eu aussi de cesse d’inventer des modes de représentations élargis du paysage, par des innovations liées aux formats d’image (Cinémascope, Panavision, etc.[4]), et aux mouvements de caméra (panoramique, travelling). À l’inverse de cette tendance pour l’extension des capacités visuelles du dispositif cinématographique, James Benning semble dans la California Trilogy chercher à limiter son cadre et ses possibilités de filmage. Il choisit en effet de conserver le ratio 1 :33 dû à la pellicule 35 mm – qui donne une forme carrée à l’image et caractérisait le format des films muets jusqu’à la fin des années 1920. Il prend ce faisant le contre-pied des formats panoramiques, utilisés par exemple dans une grande partie des westerns hollywoodiens tournés en Californie, et qui permettent d’inscrire les personnages dans de vastes paysages. De façon général, le cinéaste paraît emprunter aux dispositifs de tournage du cinéma des premiers temps, qui à la fin du XIXe siècle étaient liés aux contraintes matérielles d’une caméra lourde – et donc peu mobile – et d’une longueur de pellicule limitée déterminant la durée du film[5].

Plusieurs éléments, toutefois, viennent nuancer cette apparente limitation. En effet, on peut observer que les différents paysages qui composent la trilogie débordent constamment sur le hors-champ tout en convoquant d’autres temps et d’autres lieux. C'est dans une telle ouverture sur les espaces qui le bordent, que le paysagiste Michel Corajoud situe le caractère fondamental du paysage :

Dans le paysage, il n’y a pas de limite si dure, si close qu’elle ne se fissure et s’ouvre sur des espaces mitoyens. Il n’y a pas de discrimination véritable entre les différents lieux. Les éléments d’un paysage sont toujours caractérisés par leur faculté de débordement, par la diversité et la complexité des pactes qui les lient aux éléments voisins. Dans le paysage, il n’y a pas de contour franc, chaque surface et chaque forme vibrent et s’ouvrent sur le dehors ! Les choses du paysage ont une présence au-delà de leur surface[6].

En réduisant le champ, en limitant la durée et en refusant les mouvements de caméra, James Benning paraît aussi renouer avec cette ouverture inhérente aux paysages, qu’il décèle et met d’autant plus en lumière que le hors-champ – avec lequel les éléments dans le cadre communiquent – est élargi. En ce sens, son dispositif convoque la notion d’horizon en tant qu’il est, selon les termes du poète et théoricien Michel Collot[7], une « limite ouvrante et non une clôture[8] ». D’après le Littré, l’horizon est « une ligne circulaire, variable en chaque lieu, dont l’observateur est le centre, et où le ciel et la terre semblent se joindre[9] ». Si le mot grec « ὁρίζων » (horizõn) signifie « fixer des limites[10] », l’horizon qui borne en effet le champ visuel le maintient également ouvert sur un espace indéfini, attaché au mouvement de l’observateur. L’horizon est ainsi une chimère toujours susceptible d’être renouvelée et déplacée. C’est cette ambiguïté propre à la notion d’horizon qui amène Corajoud à lier cette dernière à « toutes ces lacunes, cette porosité, ces diverses déformations et évolutions [qui] tissent, pour un même site, des frontières diffuses, des lignes de partage qui frangent, se dérobent, se superposent pour parfois se confondre » et ainsi « à cet état particulier des limites qui font paysage ». Pour le père de la phénoménologie, Edmund Husserl, l’horizon « fait partie de la structure de l’expérience[11] ». Il parle ainsi d’une « structure d’horizon » (Horizontstruktur[12]), qui selon les termes de Collot – qui s’est tourné vers la phénoménologie pour élaborer son approche théorique « régit aussi bien la perception de l’espace (…) que la conscience intime du temps et la relation à autrui[13] ». Chaque chose perçue manifeste en effet pour la conscience un horizon spatial et temporel qui lie cette dernière aux faces cachées de l’objet. Michel Collot explique ainsi : « Toute intuition implique toujours plus que ce qui, en elle, est réellement ou actuellement donné ; c'est cet excédent que la phénoménologie nomme horizon[14] ».

En nous appuyant sur ce caractère ambigu de la notion d’horizon et sur la structure d’horizon telle qu’elle est définie par Husserl et analysée par Michel Collot, nous tenterons d’apporter quelques éléments de réflexion visant à mieux comprendre dans quelle mesure le dispositif formel établit par James Benning dans la California Trilogy, par les contraintes et les clôtures qu’il instaure, parvient, tel l’horizon qui a priori limite le paysage, à ouvrir ce dernier sur d’autres espaces et d’autres temps. Après avoir analysé de quelle manière James Benning renvoie par le montage chaque plan à d’autres plans à l’intérieur d’un même film et au sein de la trilogie, nous observerons, dans les plans eux-mêmes, comment chaque paysage peut être mis en relation avec des espaces et des temps qui excèdent les bords du cadre et la temporalité du film.

1. Le film et la trilogie à l’horizon du plan

 L’eau, comme motif et sujet, constitue le fil conducteur de la California Trilogy. Chacun des films s’ouvre et se termine sur un plan lié à l’eau, et présente différentes étapes de son parcours, à la fois comme élément naturel, et comme ressource qui contribue depuis les années 1930 au développement du sud de la Californie et de la baie de San Francisco par le biais d’aqueducs, de stations de pompage et de centrales électriques qui redistribuent l’eau des rivières du Nord de l’État.

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L’aqueduc de Los Angelas, premier plan de Los, James Benning, 2001

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Puerco Beach à Malibu, dernier plan de Los, James Benning, 2001

El Valley Centro, le premier film de la trilogie, est consacré à la Vallée Centrale de la Californie qui s’étend de la Sierra Nevada à la chaîne côtière et de laquelle provient une part importante de la production de nourriture aux États-Unis. Los, présente la ville de Los Angeles et sa région[15]. Enfin Sogobi, le troisième volet de la trilogie, s’intéresse à la Californie encore sauvage, et à ce qu’il reste de terres non exploitées après un siècle et demi de développement industriel. À travers ces trois sujets, Benning dépeint d’où vient l’eau, où elle va, mais également à qui son exploitation profite. Ainsi le générique de chaque film indique le nom de chaque site montré, mais également celui de son propriétaire, liant ainsi les terres aux grandes entreprises, banques, compagnies pétrolières ou de chemins de fer auxquelles elles appartiennent. Comme l’explique à ce sujet le cinéaste : « C’est une sorte de lecture politique du paysage lui-même à travers la propriété. C’est-à-dire qui fait le profit et qui fait le travail. Le travail est dans l’image et celui qui fait le profit apparaît dans les crédits[16]. » Un travail d’association est ainsi confié au spectateur, invité à se remémorer les plans du film à la lecture du générique.

En plus de ces regroupements thématiques que sont espaces urbains, agricoles et naturels, le thème de l’eau permet ainsi de faire tenir ensemble des paysages épars qui reflètent la variété des climats, des écosystèmes, des reliefs et des populations qui caractérisent la Californie. Pour favoriser cette cohérence, James Benning s’est efforcé de créer des ponts entre les trois films, à travers un système d’échos, « de références croisées[17] » selon ses termes, qui mettent en relation les plans d’un film à ceux d’autres films de la trilogie. On relève un plan d’avion, de train, de vache, de bateau, ou encore de panneau d’affichage dans les trois métrages – les panneaux des trois films allant même jusqu’à provenir de la même entreprise : « Outdoor Systems[18] ».

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Image extraite de Los, James Benning, 2001

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Image extraite de El Valley Centro, James Benning, 1999

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Image extraite de Sogobi, James Benning, 2001

Ce système d’échos permet ainsi, tout en renvoyant l’espace exploité à l’espace sauvage et inversement, de créer du sens et de formuler un discours commun sur une région donnée. Si dans ce discours une importance est donc accordée à l’exploitation de l’eau, on relève que d’autres types d’activités sont mis en avant dans la trilogie, qui parvient ainsi à donner une vue d’ensemble de la Californie. Des plans dans les trois films de sites pétroliers, notamment, évoquent l’importance de l’extraction de pétrole dans l’histoire du développement de l’État, et la manière dont cette entreprise affecte les paysages – Los Angeles abritant par exemple le plus grand champ pétrolier urbain des États-Unis. Cette façon de lier ensemble des paysages différents et éloignés dans le temps renvoie au sens premier de l’horizon qui, en limitant l’espace observé, permet de l’organiser en un « paysage cohérent[19] ». Il y aurait donc à ce niveau une correspondance entre la fonction de l’horizon et celle du montage. Celle de faire tenir ensemble, d’assembler. Le rapport de ce système de « références croisées » à l’horizon s’impose plus fortement encore lorsqu’on se réfère à la structure d’horizon de Husserl. En effet, celui-ci distingue deux horizons. Un horizon interne, d’une part, qui est fait de tous les points de vue que l'on peut adopter sur un objet. Il permet de connaître les aspects non visibles d’une chose perçue en les devinant ou en se les remémorant. Un horizon externe, d’autre part, qui nous intéresse particulièrement ici et qui, selon les mots de Collot, est « fait de tous les rapports que la chose entretient avec les autres objets qui l’entourent[20]». Il cite ainsi Husserl qui écrit : « les choses, les objets ne sont donnés par principe que de telle sorte que nous en ayons conscience comme de choses ou d’objets dans l’horizon du monde[21] ». De manière analogue à cette inscription par la conscience, des objets dans le monde, nous pouvons aussi envisager chaque plan comme inscrit dans la trilogie et donc comme étant sans cesse prolongé et complété par les autres plans. L’ensemble de la trilogie formerait ainsi un même horizon, ouvert lui-même sur le monde réel invoqué par les génériques de fin. La succession des plans constituée par le montage évoque ce faisant l’idée d’« emboitement des horizons[22] » formulée par Collot, et qui est selon lui à l’origine de la « sensation d’univers[23] » dont parle Paul Valéry pour caractériser l’expérience poétique. Cette impression de continuité, de prolongement des vues par d’autres vues, est enfin renforcée par une similarité de durée mais aussi de cadrage entre les plans, puisqu’ils sont composés de portions à peu près égales de ciel et de terre et inclinés de façon similaire, comme le remarque également Rachel Moore dans un article consacré à la trilogie[24].

À l’inverse de cette similarité entre les paysages, on observe aussi des phénomènes de ruptures entre les rythmes et les motifs dans l’enchaînement des plans, favorisés par des coupes franches. On peut en voir un exemple dès l’ouverture de la trilogie avec les deux premiers paysages d’El Valley Centro. Le premier présente le trou que forme le déversoir du Department of Water Ressource sur le Lac Berryessa. La couleur de l’eau qui s’y déverse tend vers le noir et son flux engendre un bruit sonore continu. Le plan suivant montre un verger d'amandiers dont les fleurs commencent à tomber, formant un tapis de couleur rose et blanc sur le sol. Il est accompagné du chant des oiseaux.

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Premier plan de El Valley Centro, James Benning, 1999

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Deuxième plan de El Valley Centro, James Benning, 1999

Dans cet exemple, la lenteur, la fragilité, l’ouverture, le calme et la douceur des tons viennent ainsi s’opposer au bruit, aux rochers qui encerclent le lac, à la violence du courant et à la noirceur de l’eau. Notre conscience toutefois ne passe pas ici d'un plan à l'autre de façon mécanique. En effet, au fil de ces premières deux minutes trente, le plan s’est progressivement inscrit dans la conscience du spectateur qui a pu développer un sentiment d’habitude face à ce lac noir et ce bruit continu. Un effet de surprise est alors suscité par le passage au plan suivant, auquel la conscience, dont l’horizon d’attente est ébranlé, agrège cette première image maintenue en mémoire qui se prolonge dans la suite du film et en affecte la perception. Sous ce prisme, cette vue de cerisiers paraît donc relever d’une construction mentale en tant que s’y projette la mémoire du spectateur – aussi liée à l’ensemble de la trilogie mais également au vécu et à la culture paysagère de ce dernier[25] – et l’impression de dissonance, de rupture, de discontinuité dans le montage, se présente comme une autre façon de lier les plans. Ce processus, qui maintient en mémoire l’instant passé et grâce auquel s’effectue ce « montage productif[26] », évoque l’analyse opérée par Husserl de la conscience du temps, qui en tant qu’expérience perceptive est donc également régie par la structure d’horizon[27]. Husserl distingue en effet, dans tout acte perceptif, un phénomène de rétention qui « garde présente la durée écoulée » et un phénomène de protention, qui selon les mots de Rudolf Bernet « anticipe la suite de la durée de l’objet[28] ». Le présent ou le maintenant – marqué d’après Stiegler par un phénomène d’attention[29] – est aussi « ce qui lie et noue ces différents fils du temps dans une trame continue[30] ». Enfin parmi les phénomènes de rétention, Husserl distingue les rétentions primaires qui correspondent à ce que la conscience retient du tout juste passé, et les rétentions secondaires qui sont d’anciennes rétentions primaires transformées en souvenir[31]. La conscience temporelle, en tant que vécu intentionnel, se dirige par ailleurs vers des objets temporels, dont le flux coïncide avec celui de la conscience humaine. Les objets temporels, que peuvent être par exemple un film ou une musique, permettent ainsi à Husserl de mettre en évidence les horizons temporels qui forment la vie de la conscience. Dans le champ du cinéma, cela implique donc une forme de correspondance entre la structure d’un film et la structure de la conscience et explique, pour Bernard Stiegler, que la conscience puisse être manipulée par le déroulement d’un film, et inversement que le cinéma puisse révéler une forme de vérité concernant la conscience qui serait « déjà cinématographiques dans ses principes[32] ». Comme tout objet temporel, les films de James Benning mettent également en jeu notre conscience du temps. Ainsi sur l’attention que ses paysages demandent aux spectateurs, s’applique un phénomène de rétention primaire – relatif à l’instant ou au plan qui précède – et de rétention secondaire – qui dépend de ce que la conscience de chaque spectateur, selon son niveau d’attention, aura retenu sur un temps plus long –, lui permettant de faire des liens entre différents plans à l’échelle de la trilogie. Toutefois, par sa rigueur formelle, l’impression de lenteur suscitée par les plans et les phénomènes de rupture que nous venons de décrire, la California Trilogy semble nous amener vers une plus grande réflexivité vis-à-vis de ces processus. Le temps du film assujetti aux contraintes matérielles se présente en effet comme un bloc stable et linéaire, qu’il s’agit d’investir et de s’approprier. Il favorise donc chez le spectateur une prise de conscience de la durée, de la dimension temporelle du film, de sa structure, et de l’effet provoqué par le plan et l’enchaînement des plans dans sa conscience.

2. Horizon spatial et temporel des paysages

À travers l’analyse du leitmotiv de l’eau, du système de « références croisées » instauré par le cinéaste et de la persistance des plans dans la conscience du spectateur, apparaît ainsi la manière dont James Benning crée, par le montage, de l’unité au sein de la trilogie et entre différents plans, formant ainsi un tout cohérent, insérant tous les paysages dans un même flux, sur une même ligne d’horizon. Il s’agit à présent d’interroger les plans pris individuellement, pour eux-mêmes, en se demandant comment ils excèdent les bords du cadre sans nécessairement se trouver en lien avec d’autres plans.

Deux vues apparaissent comme exemplaires de cette ouverture de l’image sur le hors-champ : la première, issue de Los, présente un pont vu de profil au-dessus de la rivière de Los Angeles et sur lequel passent des voitures dans les deux sens. L’avant-plan est occupé par la rivière, divisée en quatre couloirs par des murets en béton. Elle s’étend dans la profondeur, passant ainsi sous le pont jusqu’à disparaître à l’arrière-plan. L’autre paysage est extrait d’El Valley Centro. Il montre le passage d’un avion épandeur pulvérisant des pesticides au-dessus d’un champ labouré.

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Image extraite de Los, James Benning, 2001

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Image extraite de El Valley Centro, James Benning, 1999

Dans ces deux vues, on peut de plus relever une prolongation des éléments hors des bords du cadre, qu’il s’agisse dans le premier plan des voitures qui poursuivent leur trajet à droite et à gauche du pont dont il manque une partie, ou de l’eau qui s’étend derrière la caméra et au loin derrière l’horizon ; et dans le deuxième plan de l’avion qui est d’abord derrière la caméra puis qui entre dans le champ, pour disparaître au loin, avant de revenir à nouveau dans le champ visuel et repasser derrière la caméra. Ces espaces hors-champ, se manifestent également grâce au son, qui par exemple pour le second paysage prolonge le passage de l’avion et indique sa distance vis-à-vis de la caméra – le son s’amenuisant à mesure que l’avion s’en éloigne et augmentant au fur et à mesure qu’il s’en approche. On relève ainsi différents espaces, dans lesquels les éléments par leurs tailles et surtout par leurs mouvements débordent du plan. À gauche et à droite du cadre, mais également derrière la ligne d’horizon de laquelle disparaissent et apparaissent des éléments, et derrière la caméra. Par ce débordement des éléments et donc ce prolongement de l’espace dans le hors-champ, favorisé par le format carré de l’image, les plans de la trilogie invitent ainsi à imaginer les faces cachées du paysage, dont la face qui se trouve derrière la ligne d’horizon. Dans La Pensée-Paysage, Michel Collot lie le rôle de l’horizon à celui des blancs et des silences dans la poésie moderne et chinoise qui selon lui « constituent autant d’espaces vides, qui ne donnent rien à voir ou à lire, et tout à imaginer[33] ». Ces faces non directement visibles, mais que la conscience pressent, constituent par ailleurs l’horizon interne des objets décrit par Husserl : « le côté vu (d’une chose), n’est côté que dans la mesure où il y’a des côtés non vus qui sont anticipés et comme tels déterminent le sens[34] ». On comprend mieux le choix d’une caméra fixe, qui en empêchant la vue de l’ensemble du lieu, semble susciter l’activité perceptive et imaginante du spectateur. Cette fixité rend enfin sensible l’absence du cinéaste et le dialogue que son retrait permet d’instaurer entre l’appareillage cinématographique et le paysage. Elle crée ainsi un espace d’investissement subjectif du plan par le spectateur, lui permettant de nouer une relation personnelle avec les lieux filmés. Dans un entretien accordé à Ricardo Matos Cabo, Cyril Neyrat et Antoine Thirion, James Benning dit à ce propos :

La caméra, elle n’a pas d’esprit. Elle ne fait qu’enregistrer. Mais lorsque l’image est projetée, le public doit se faire sa propre interprétation, toujours différente en ce qu’elle naît d’un passé et d’une manière d’observer différentes. […] J’aime qu’un film soit capable de construire cette situation où devant une image cinquante personnes différentes auront cinquante réactions différentes[35].

Si la neutralité du regard instituée par Benning favorise ainsi la subjectivité de chaque spectateur, la ligne d’horizon est aussi dans le paysage, ce qui relie ces différents points de vue en créant de l’intersubjectivité. Comme le note Céline Flécheux :

L’horizon ne témoigne pas seulement de ma seule subjectivité ; il est aussi perçu par tous. Lorsqu’un groupe de personnes stationne face à un point de vue panoramique, chacune d’elles contemple grosso modo le même horizon, même si elles le regardent depuis leur propre point de vue, situé à des hauteurs quelques peu différentes. Ces personnes ne communiquent pas sur une chose, une objectité, mais sur quelque chose qui n’a d’existence qu’intersubjective. L’horizon recueille ainsi les subjectivités plurielles ; il est le dépositaire de “la connexion des hommes vivants ensemble, écrit Husserl, qui se soucie constamment de déceler, sous l’horizon, “l’unité d’une diversité ouvertement infinie d’expériences[36].

Cette façon d’intégrer le spectateur à l’œuvre est enfin particulièrement saillante lorsque l’avion passe derrière la caméra, comme s’il passait derrière l’écran et ainsi brisait la frontière qui sépare les spectateurs du paysage[37]. Comme le remarque Silke Panse dans un entretien avec James Benning, ce plan indique « que le cinéaste et le spectateur ne sont pas séparés de ce qu’ils regardent[38]». Cette démarche favorise ainsi l’éclosion de ce que François Cheng ou Michel Collot nomment un « sentiment-paysage », du chinois « qing-jing », qu’exprime notamment la poésie chinoise et qui, selon Collot, « n’appartient ni au sujet ni à l’objet […] [mais] naît de leur rencontre et de leur interaction[39] ». Les différentes parties qui entourent la caméra sont de ce fait rendues sensibles, renvoyant au caractère circulaire et englobant de la ligne d’horizon qui n’implique pas seulement le regard mais le corps dans son entier. La caméra et le spectateur ne se tiennent plus seulement face au paysage, mais sont immergés en son sein.

Les contraintes temporelles du film favorisent en outre ces interactions du paysage avec le hors-champ. En effet, le choix opéré par Benning d’une même durée pour tous les plans, en même temps qu’il crée une équivalence qui renforce son système de « références croisées », offre à différents objets la possibilité d’intervenir dans le plan et de le bouleverser, introduisant ainsi une forte part d’incertitude. Un exemple contraire à ce système serait son film RR (2007), qui présente trente-sept passages de trains à travers les États-Unis. Dans RR, la durée des plans est déterminée par la longueur et la vitesse des trains qui passent – le plan s’arrêtant lorsque le train a entièrement quitté le champ. Dans la California Trilogy, à l’inverse, les plans, à durée fixe, peuvent se poursuivre après le passage d’une voiture ou d’un bateau, et laisser par exemple un nuage poursuivre sa course. Les paysages de ces films sont ce faisant constitués d’une multitude d’objets qui, sur différents espaces (ciel, terre, mer) et selon différents rythmes, se confrontent et se superposent comme des strates, des couches qu’il s’agit là aussi de faire tenir ensemble. Une définition cette fois géologique de l’horizon nous renvoie à cette stratification. En pédologie, le domaine de l’étude scientifique des sols, l’horizon en effet, est une « couche du sol plus ou moins épaisse et sensiblement parallèle à la surface[40] » – l’ensemble des horizons d’un sol permettant d’en déterminer le profil. On retrouve dans certains plans, comme celui issu de Sogobi, présentant sur la gauche du cadre une colline de pierres noires qui surplombe une étendue désertique parsemée de végétation sur la droite, ce même lien à la géologie, à l’idée de strates qui s’agrègent dans le temps. Des dessins rupestres gravés sur trois de ces pierres font également référence aux traces de la culture amérindienne dans la région

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Image extraite de Sogobi, James Benning, 2001

Ce plan manifeste, de façon générale, l’approche de James Benning dans un grand nombre de ses œuvres, qui consiste à mêler et invoquer différents temps au sein d’un même plan ou un même film : temps historique, géologique, cosmique, biographique. La trilogie entière convoque l’histoire de la Californie et de la spoliation par les exploitations agricoles de l’Owens Valley, la source historique de l’approvisionnement en eau, grâce à des systèmes d’irrigation construits avec des fonds publics, tout en montrant dans Sogobi ce qu’était ou a pu être la région avant son industrialisation. Les plans présentant des roches ou des océans peuvent ainsi renvoyer à des périodes plus reculés et à des processus lents, qui s’inscrivent sur une autre échelle temporelle. Au sein des plans, cette superposition des temps passe également par la confrontation des rythmes des éléments dont les variations changent notre perception de la durée. Pour confronter ces différents rythmes, James Benning se sert des axes horizontal et vertical du paysage qui lui permettent de rendre compte de deux types de temps. Le temps chronos, objectif, physique, symbolisé par l’horloge, et le temps vécu, imprévisible, subjectif, aussi appelé tempus. Yvette Biro observe ainsi que « le temps, et plus particulièrement le temps à l’échelle humaine, est tout sauf linéaire. Son extension est loin d’être simplement horizontale. Sa structure est par nature multidimensionnelle, et ni sa profondeur, ni sa stratification ne se plient à une quantification[41] ». Le plan consacré à la rivière de Los Angeles que nous avons analysé semble caractéristique de cet usage. Sur l’axe horizontal, on relève une temporalité linéaire, continue, mesurable et régulière. Les voitures passent sur le pont, sans que rien ne les arrête. Le rythme de l’eau sous le pont, au contraire, est beaucoup plus difficile à cerner. L’eau qui s’étale en profondeur dans le plan paraît se mouvoir très lentement sur le couloir central et celui de gauche. Elle est enfin soumise au courant dans la troisième rangée, à droite du cadre. Par ailleurs le mouvement n’y devient perceptible que progressivement, au fur et à mesure que l’eau s’approche de la caméra. Elle disparaît enfin, une fois passée le pont à l’arrière-plan. On observe un phénomène de perception similaire lors du dernier plan de Los, montrant l’océan Pacifique filmé depuis Puerco Beach, à Malibu. Dans ce plan, le ciel et la terre semblent se rejoindre sur une ligne d’horizon saturée par la brume, ou sur ce que l’on appelle en météorologie maritime un horizon « gras[42] ». Aussi, du fait du brouillard, mais également de la distance, seules les vagues s’approchant de la caméra semblent se mouvoir, l’étendue d’eau à l’arrière-plan paraissant statique. Dans la profondeur, la perception affirme ainsi la relativité du mouvement, toujours relié à un point de vue comme l’horizon qui est sans cesse recomposé à mesure que l’on se déplace. Alors le temps n’apparaît pas linéaire, objectif et mesurable, mais proprement phénoménologique en tant qu’il n’est constitué que par l’activité perceptive. En effet « la confusion des lointains[43] » – pour reprendre une expression de Merleau-Ponty – empêche de voir la houle qui se forme au large sous l’effet du vent et qui deviendra une vague en s’approchant de la côte. Les vagues semblent alors se former en un présent continu, s’écrasant sur le rivage avec leur horizon de passé derrières elles, qui perd en clarté à mesure que le regard se porte au loin. Comme les vagues prennent forme à une certaine distance de la caméra – à peu près au centre de l’image sur sa hauteur –, nous percevons cependant leur écume arriver jusqu’à nous. Nous anticipons ainsi le mouvement de l’eau qui viendra remplacer celle déjà sur la plage, elle-même emportée par le flot de retour qui la ramène dans l’océan. Il est ainsi possible d’envisager ce plan situé quelque part au centre de la trilogie, comme une métaphore du temps, à mettre en lien avec l’interrogation constante de James Benning à son égard, et dont le paysage est selon lui fonction. Ces vagues, dont le roulement se répète entre un arrière-plan indistinct et un avant-plan vers lequel elles viennent et disparaissent, sont en effet à l’image de ce qu’est le présent pour la perception, entre apparition et déclin, et comme le décrit Michel Collot « foyer de convergence des perspectives temporelles, mais aussi échappée hors de l’ordre du temps[44] ». L’absence de repères temporels dans la profondeur relie en effet le présent des vagues à l’infini sur lequel ouvre la ligne d’horizon. Ce plan invite enfin à ouvrir une réflexion sur la mémoire et l’oubli dans la trilogie. Sur ce qu’il reste d’une histoire marquée par la colonisation, la spoliation et l’exploitation des terres par les grandes compagnies agricoles et ferroviaires, les mouvements de migrations, les conflits raciaux, les catastrophes naturelles et sur laquelle s’est construite la puissance californienne. Il semble que l’effort de mémoire que Benning demande au spectateur, en le sollicitant pour lier chaque plan aux autres plans de la trilogie, ainsi qu’au générique de fin, est au cœur de ce questionnement sur le paysage et ce dont il constitue la trace.

Conclusion

L’horizon, et la structure d’horizon comme structure de l’expérience, au regard du dispositif formel mis en place par Benning dans la California Trilogy, permet de penser comment les éléments épars se trouvent unifiés en un ensemble cohérent et comment les plans des films sont maintenus ouverts sur d’autres espaces et d’autres temps. Les limites liées au cadre et à la durée créent ainsi de l’ordre, en même temps qu’elles favorisent le dévoilement d’un désordre inhérent au paysage et à la nature, comme l'horizon qui, s’il borne et structure le paysage, le maintient également ouvert sur d’autres espaces et d’autres organisations possibles. L’ordre et l’unité sont créés par le leitmotiv de l’eau, un système de « références croisées » entre les films et une persistance des plans dans la conscience du spectateur, favorisée par une durée longue et un rythme lent, qui interrogent notre propre rapport au temps. Cette durée révèle le temps du paysage dans sa complexité, dans ses strates, en laissant différents éléments habiter, entrer ou quitter le champ selon différentes vitesses et trajectoires. Le temps apparaît alors avec les digressions, les ruptures et les repos qui caractérisent selon Yvette Biro « le temps authentiquement vivant[45] », en créant des variations dans notre rapport temporel au film. Enfin les blancs, les vides, laissés par une caméra qui se refuse à tout montrer, laissent au spectateur des espaces à investir, à imaginer, à pressentir, pour compléter le paysage, le resituer dans un contexte plus large, le lier à son propre vécu et combler l’absence du cinéaste, qui semble laisser la caméra et le paysage en tête-à-tête pour n’être finalement qu’un spectateur parmi d’autres, face au même horizon. Plusieurs horizons se font donc jour dans la California Trilogy : horizon temporel et spatial, horizons des plans ouverts sur le film et la trilogie, horizon de notre conscience enfin ouvert sur le monde et d’autres consciences. On peut dès lors parler avec Michel Collot d’un véritable « jeu de renvois d’horizon en horizon[46] » et envisager la California Trilogy comme une réflexion sur le paysage comme lieu d’interrelation entre objet et sujet, estompant les limites entre le dedans et le dehors, Moi et l’Autre.


Bibliographie :

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[1] Le cinéma structurel est un courant du cinéma expérimental apparut en Amérique du Nord dans les années 1960. Il regroupe des cinéastes tels que Michael Snow, George Landow, Hollis Frampton, Paul Sharits, Tony Conrad, Ernie Gehr ou Joyce Wieland. Il a été théorisé par Paul Adams Sitney pour parler d’un cinéma « dans lequel la forme d’ensemble, prédéterminée et simplifiée, constitue l’impression principale produite par le film. » (Paul Adams Sitney, Le Cinéma visionnaire, l’avant-garde américaine, 1943-2000, Paris, Expérimental, 2002, p. 329).

[2] « Le paysan, la paix et le bernard-l’ermite », Académie française, 2017. Disponible en ligne sur : https://www.academie-francaise.fr/le-paysan-la-paix-et-le-bernard-lermite [consulté le 15/09/2021].

[3] Eugenio Battisti, « PAYSAGE, peinture », Encyclopædia Universalis. Disponible en ligne sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/paysage-peinture/ [consulté le 15/09/2021].

[4] Sur les formats d’image voir notamment « Les différents formats d’image au cinéma », CNC, 2021. Disponible en ligne sur : https://www.cnc.fr/cinema/actualites/les-differents-formats-dimage-au-cinema_1106023 [consulté le 15/09/2021].

[5] Dans une interview accordée à Scott MacDonald, il explique notamment : “My rolls are bigger than the ones the Lumières used, but the idea is the same. A standard 100-foot roll of 16mm film is two minutes 47 seconds, so I cut each shot to two-and-a-half minutes so I could have enough leeway, once I cut the heads and tails off, to be able to adjust the timing of the shot.” : « Mes rouleaux sont plus grands que ceux qu'utilisaient les Lumière, mais l'idée est la même. Un rouleau standard de 100 pieds de film 16mm dure 2 minutes 47 secondes, donc j'ai coupé chaque plan à 2 minutes 30 pour avoir une marge de manœuvre assez grande [...] et pouvoir ainsi ajuster le temps de la prise de vue. », notre traduction. James Benning dans Scott Macdonald, « Exploring the New West: An Interview with James Benning », Film Quarterly, Volume 58, numéro 3, 2005, Oakland, University of California Press, p. 13.

[6] Michel Corajoud, « Les neuf conduites nécessaires pour une propédeutique pour un apprentissage du projet sur le paysage » dans Jean-Luc Brisson (dir.), Le Jardinier, l’Artiste et l’Ingénieur, Besançon, éditions de l’Imprimeur, 2000.  Pour penser cette ouverture du paysage sur « le dehors », Corajoud a par ailleurs mis la notion d'horizon au centre de sa réflexion. Voir à ce sujet Michel Corajoud, « L’Horizon », Interview pour la revue Face, 2004. Disponible en ligne sur : http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/01a-horizon.htm [consulté le 02/12/2021].

[7] Michel Collot est, entre autres, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle et co-fondateur de l'Association « Horizon paysage ». À contre-courant de l’approche formaliste et structuraliste reposant sur l’idée d’une « clôture de texte », Collot cherche à restituer l’œuvre « dans son horizon », selon la formulation de Nasrine Khattate (« Le concept de structure d’horizon : un nouvel espace théorique pour penser la poésie », Plume, première année, numéro 1, printemps-été 2005, p. 103). Il écrit notamment : « l’écriture poétique, loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors. Mais cet horizon renvoie aussi, très souvent, par le jeu de la métaphore, à l’espace intérieur de la conscience poétique, et à l’espace du texte lui-même » (Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 6).

[8] Michel Collot, La Pensée-Paysage, Paris, Actes Sud, 2011, p. 94.  

[9] « Horizon », Le Nouveau Petit Littré, Paris, Garnier, 2005, p. 405.  

[10] Voir aussi « Horizon » dans Bernard Sergent, Notre grec de tous les jours : Petit dictionnaire pour un usage quotidien, Paris, Imago, 2017.

[11] Edmund Husserl, Expérience et Jugement, traduit de l'allemand par Denise Souche-Dagues, Paris, Presses universitaires de France, « Épimethée », 1970, p. 35. [Erfahrung und Urteil, 1939]

[12] Voir notamment dans Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, traduit de l’allemand par Paul Ricœur, Paris, Gallimard, 1950. [Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen, 1913].

[13] Michel Collot, op. cit. p. 93.   

[14] Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, op.cit., p. 15.

[15] “[…] from the San Diego County line to Val Verde”, James Benning, cité par Jonathan Rosenbaum dans Jonathan Rosenbaum, « James Benning’s CALIFORNIA TRILOGY », Chicago Reader, 2002. Disponible en ligne sur : https://jonathanrosenbaum.net/2019/12/california-trilogy/ [consulté le 15/09/2021].

[16] “It’s kind of a political reading of landscape itself through ownership, in other words, who makes the profit and who does the hard work. The hard work is in the image and who makes the profit shows up in the credits.”James Benning dans Silke Panse, « Land as Protagonist – An Interview with James Benning » dans Anat Pick et Guinevere Narraway (dir.), Screening Nature: Cinema beyond the Human, Berghahn Books, 2013, p. 61. Notre traduction.

[17] “cross-references”, voir les propos de James Benning dans Scott Macdonald, op.cit., p.15. Notre traduction.

[18] Ibid.

[19] « L’horizon ne procure qu’une vue partielle du pays observé mais, du fait même de cette limitation, il permet d’en avoir une vision d’ensemble, qui l’organise en un paysage cohérent. », Michel Collot, L’horizon comme structure anthropologique de la perception humaine, essai publié sur Fabula, 2019. Disponible en ligne sur : https://www.fabula.org/atelier.php?Horizon_structure [consulté le 15/09/2021].

[20] Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, op. cit., p. 19.

[21] Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976, p. 163. Cité par Michel Collot, ibid., p. 20.

[22] Michel Collot, op.cit. p. 21.

[23] Paul Valéry, « Propos sur la poésie », dans Album de Vers Anciens: suivi de Propos sur la Poésie, Perpignan, Alicia Editions, 2019, p. 79.

[24] Rachel Moore, « James Benning’s California Trilogy: A Lesson in Natural History », Afterall: A Journal of Art, Context and Enquiry, numéro 8, 2003, p. 34-42.

[25] Selon des théoriciens tels qu’Anne Cauquelin, Alain Roger ou Augustin Berque, la reconnaissance d’un paysage est en effet toujours relative à l’existence de représentations paysagères. Apparue à la Renaissance, la peinture de paysage nous aurait ainsi appris à percevoir des paysages réels. Alain Roger nomme notamment cette intervention de l’art dans la constitution du paysage par le regard « artialisation ». En ce sens, tout paysage serait une forme de projection mentale. Voir notamment : Alain Roger, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 1997.

[26] Sur la notion de « montage productif » voir Laurence Moinereau, « Montage productif et effet Koulechov » dans Initiation au vocabulaire de l’analyse filmique d’après un cours de Laurence Moinereau. Séance 9 : effets de montage, Upopi.Ciclic, Disponible en ligne sur : http://www.centreimages.fr/vocabulaire/s9/Seance9ConceptionsDuMontage.pdf [consulté le 15/09/2021].

[27] « L’objet est vu de tous temps comme il est vu de toutes parts et par le même moyen, qui est la structure d’horizon. », Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p. 83.

[28] Rudolf Bernet, « Origine du temps et temps originaire chez Husserl et Heidegger », Revue Philosophique de Louvain, quatrième série, tome 85, numéro 68, 1987, p. 504.

[29] « L’attention est par excellence la modalité de la conscience : « être conscient » c’est être attentif. L’attention est ce qui constitue les objets de la conscience, même si toute conscience n’est pas attentive – toute attention étant évidemment consciente. La vie de l’attention se situe entre les rétentions (la mémoire) et les protentions (le projet, l’attente, le désir) qu’elle lie en étant ouverte à ce qui advient dans le « maintenant » depuis ce qu’elle retient de ce qui est advenu (rétention) et en attente de ce qui est en train d’advenir (protention). » dans « Attention, Rétention, Protention », Ars Industrialis. Disponible en ligne sur : https://arsindustrialis.org/attention [consulté le 15/09/2021].

[30] Rudolf Bernet, art.cit.

[31] Sur la notion de souvenir chez Edmund Husserl, voir Marie-Loup Eustache, « Le concept de rétention chez E. Husserl : une mémoire constitutive aux sources de la mémoire de travail », Revue de Neuropsychologie, Volume 1, numéro 4, 2009. Disponible en ligne sur : https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2009-4-page-321.htm [consulté le 07/12/2021].

[32] Bernard Stiegler, La Technique et le Temps 3. Le temps du cinéma et la question du mal-être, Paris, Éditions Galilée, 2001, p. 41.

[33] Michel Collot, La Pensée-Paysage, op.cit. p.99.

[34] Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, op.cit. p. 169-170.

[35] James Benning, dans Ricardo Matos Cabo, Cyril Neyrat et Antoine Thirion, « Outsider. Entretien avec James Benning », Vertigo, 2009, Volume 2, numéro 36, p. 88.

[36] Céline Flécheux, L’horizon. Des traités de perspective au land art, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Æsthetica », 2009, p. 222.

[37] Ce plan n’est pas sans évoquer une célèbre scène du film d’Alfred Hitchcock La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959) – dans laquelle Roger Tornhill, joué par Cary Grant, se trouve attaqué par un avion épandeur comme en référence à Hollywood et à son industrie cinématographique, marque du rayonnement culturel de la Californie.

[38] Silke Panse, op.cit., p. 64.

[39] Michel Collot, op.cit., p. 31.

[40] « Horizon », Larousse. En ligne sur : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/horizon/40381[consulté le 15/09/2021].

[41] Yvette Biro, Le Temps au cinéma. Le calme et la tempête, traduit de l’anglais par Catherine Fay et Thierry Loisel, Lyon, Aléas, 2007, p. 53. [Turbulence and Flow : The Rhythmic Design].

[42] Voir aussi, sur le sujet de « l’horizon embrumé » dans l’art, l’article de AgdG : « Un jour en ma présence, un mage retira l’horizon tout autour de moiLa ligne d’horizon dans l’art », L’influx, 2016. Disponible en ligne sur : https://www.linflux.com/art/un-jour-en-ma-presence-un-mage-retira-lhorizon-tout-autour-de-moi/ [consulté le 15/09/2021].

[43] « La perspective temporelle, la confusion des lointains, cette sorte de « ratatinement » du passé dont la limite est l’oubli, ne sont pas des accidents de la mémoire, n’expriment pas la dégradation dans l’existence empirique d’une conscience du temps en principe totale, ils en expriment l’ambiguïté initiale : retenir, c’est tenir, mais à distance », Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op.cit., p. 483-484.

[44]Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, op.cit , p. 52.

[45] Yvette Biro, Le Temps au cinéma. Le calme et la tempête, op. cit., p. 40, « La complexité est construite sur une combinaison élégante d’éléments de différentes sortes et situés à des niveaux différents. Si l’on applique ce principe à la temporalité du film, cela signifie qu’il n’est plus possible de construire une action ni même l’ensemble de l’intrigue ou de la logique des images sur un pur continuum déterministe ou sur la relation de cause à effet qui ne connaissant que la rigueur inébranlable de l’uniformité. Le temps doit plutôt faire place à la digression, à la rupture, au repos – voire être laissé au point mort, au bénéfice de la réplétion de variations, de manière à le rendre authentiquement vivant. C’est à ces moments-là que la perturbation se produit, venant briser la régularité de l’écoulement du temps ».

[46] Michel Collot, op.cit., p. 20.

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ISSN  2534-6431