Présence et usages des imaginaires sériels dans les fanzines de metal français (1985-1990)

Sixtine Audebert

01/03/2022

Plan de l'article :

  1. L’imaginaire sériel dans les fanzines
  2. La communication sous-culturelle : l’usage des références à la culture populaire contemporaine dans les fanzines de metal
  3. Le fanzine metal, une esthétique de « chambre » de garçon adolescent : l’exemple du fanzine français Possessed by Speed (1987)

Dans les années 1980, par un concours de circonstances médiatiques favorables, la scène musicale metal émerge en France[1]. La multiplication des fanzines, petites productions amatrices réalisées par les fans sur le modèle de la presse musicale internationale, soutient la structuration du champ en cours[2]. Ces journaux principalement informatifs intègrent dans leurs graphismes les codes de la culture metal, jouant avec les imaginaires médiatiques contemporains. Imposée par les grands groupes de l’aire anglo-saxonne tant dans les visuels, les textes et les noms de groupe que dans les looks, cette esthétique dialogue de manière conflictuelle avec la morale des parents, faisant du metal une sous-culture mettant fortement en scène la rupture générationnelle et plus largement les transformations sociales de la France au cours de cette période.

En effet, les acteurs à l’origine du milieu metal – musiciens, créateurs de label, auteurs de magazines et de fanzines, fans – sont issus d’une même génération sociale[3]. Principalement de sexe masculin, ils sont nés à la fin des années 1960 ou au début des années 1970 et sont donc adolescents ou jeunes adultes dans les années 1980[4]. Résidant à la périphérie des grands centres urbains, issus de milieux populaires, ils subissent les conséquences de la crise de la reproduction sociale de la classe ouvrière commencée dans les années 1970. Parmi les effets de cette crise, le délitement des liens des communautés locales, avec le nouvel exode rural et le chômage massif, se répercute sur la tradition patriarcale villageoise et ouvrière, remettant en cause les valeurs traditionnelles de la virilité ; Nicolas Renahy a montré comment le rock, mais aussi la drogue ou les conduites à risque, pouvaient servir de refuge aux concernés[5]. Les valeurs ouvrières traditionnelles se voient remises en causes par de nouveaux modèles importés par les circulations médiatiques mondialisées, qui viennent pallier ces désorganisations. Comme la plupart des Français de leur génération, les jeunes hardos consomment les produits d’une culture de divertissement à destination des adolescents de sexe masculin qui est alors massivement exportée depuis les pays anglo-saxons : le cinéma, la littérature, les jeux de rôles ou les comics, qu’ils s’apparentent au genre de la SF, de l’horreur ou de la fantasy, mais ce principalement par le prisme du metal qui leur est associé.

Si l’on définit la sous-culture metal comme contre-culture opposée à la société de consommation, il peut sembler paradoxal d’y retrouver des éléments tirés directement de cette dernière. Il faut l’envisager comme une communauté médiatique d’individus réunis par des goûts et des pratiques ressaisis au prisme d’un système cohérent et qui cherchent à exprimer leur singularité par le style, dans une mise en scène de soi carnavalesque passant essentiellement par la consommation. Les membres de la communauté metal font un autre usage de ces stéréotypes empruntés au mainstream, médiatisé par les intertextes de leur culture générationnelle et lié à leur expérience située du monde[6]. Dans une démarche de singularisation propre aux sous-cultures, ils s’en approprient les éléments pour formuler à leur tour une lecture du monde, les mobilisant précisément pour leur teneur contre-discursive.

En étudiant les traits esthétiques récurrents dans les fanzines, citations explicites ou traces résiduelles de ces productions populaires, il est possible de comprendre les mécanismes de cette appropriation et restituer peu ou prou l’intensité de l’expérience de lecture sous-culturelle. Cet article, après une contextualisation et une présentation des imaginaires sériels recensés dans les fanzines, s’efforcera de comprendre l’usage qui en est fait dans le cadre de cette communication singulière qu’est le fanzine, en abordant dans un premier temps la lecture distante d’un corpus général composé de fanzines français des années 1986-1987, puis en proposant une étude de cas du fanzine Possessed by Speed (1987) éclairée du témoignage de son auteur, Guillaume « Gwardeath » Gouardes[7].

Les imaginaires sériels dans les fanzines

Les fanzines de notre corpus sont de type informatif : ils abordent principalement l’actualité musicale de la scène (sorties LP, K7, démos, concerts…) et ne traitent pas des sujets culturels connexes (comme des films ou des livres, des créations originales comme des nouvelles…). Pourtant, les illustrations, les décorations, les tours de pages, les BD, les logos de groupes ainsi que quelques mises en scène introduisant les interviews, s’inscrivent dans les genres de l’imaginaire. Conjuguant les moyens financiers modestes des auteurs de fanzines et les pratiques de collection obsessionnelle des fans, les jeunes insèrent des éléments empruntés par découper-coller ou bien des dessins inspirés des œuvres de leurs artistes préférés, créant des jeux d’échos et des effets de cohérence sérielle. Le nouvel ensemble transmédiatique et transfictionnel est régi par la cohérence architextuelle de l’univers metal.

Ces éléments empruntés proviennent en partie de la bande dessinée, qui est alors un média essentiel de la jeunesse. L’exemple de Métal Hurlant (1972-1985), revue dont le titre américain, Heavy Metal (1977), explicite le lien avec cet imaginaire musical synthétique, est sans doute le plus iconique pour cette génération. Métal Hurlant apparaît avec la révolution « adulte » de la bande dessinée sur le modèle américain des comics et des comix. Sa « ligne crade » et ses protagonistes « rock », comme Lucien ou Kebra (figure 1 et 2), l’associent à un imaginaire contre- ou sous-culturel. Les intrigues mettent en scène sur le ton de la connivence les aventures de petits délinquants de banlieue, musiciens adeptes de motos, de cuir et buveurs de bière, mais souvent peu hardis au combat. Les auteurs sont souvent eux-mêmes affiliés aux milieux qu’ils évoquent. Parce qu’ils semblent partager une expérience vécue, les jeunes hardos s’identifient volontiers à leurs anti-héros sympathiques.

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Figure 1 : le Lucien de Frank Margerin paru d’abord dans Métal Hurlant (1979), ici reproduit dans Legitime Attack, (1986)

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Figure 2 : le Kebra de Tramber et Jano paru d’abord dans Métal Hurlant (1979), ici reproduit dans État d’Urgence, (1987)

Cependant, les séries belges plus classiques et plus inoffensives (figure 3), pour un public « de 7 à 77 ans » selon l’expression consacrée, ne sont pas en reste dans les fanzines, ce qui témoigne de la jeunesse réelle des auteurs (Gaston,      alter ego benêt devient lecteur de fanzine) et entre en résonance avec le côté potache de l’écriture (le choix du barde jouant de la lyre est une référence ironique au guitariste de metal).

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Figure 3 : Astérix et Gaston Lagaffe dans les fanzines Hard Fanz et L’Ame de Fond (1987)

Certains éléments proviennent aussi des films d’action, tant les grands succès du cinéma mainstream américain que l’exploitation italienne. Les films étant déclinés sur plusieurs épisodes, les jeunes grandissent avec leurs héros générationnels : Death Whish (1974, puis 1982, 1985, 1987 et 1994) avec Charles Bronson, Rocky (1976, puis 1979, 1982, 1985 et 1990) avec Sylvester Stallone, Mad Max (1979, puis 1981 et 1985) avec Mel Gibson, Terminator (1984, puis 1991) avec Arnold Schwarzenegger… Le sobriquet affectueux et ironique de « Stalloune » illustre le phénomène d’inclusion fantasmatique de la star dans la bande de copains blagueurs (figure 4). Les corps des acteurs, champions bodybuildés difficilement dissociables des personnages de guerriers triomphants qu’ils incarnent dans la fiction, informent les modèles d’une masculinité virile des jeunes hardos.

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Figure 4 : Affiche du premier film de la série Rocky (1976) et caricature tirée de Fluide Glacial de l’acteur fétiche Sylvester Stallone dans Wimpie (1986)

D’autres éléments proviennent des jeux vidéos qui se développent en France dans les années 1980, portés par la société Ubisoft et les consoles Amstrad ou Atari (figure 5). Croisant les épopées des films et une expérience immersive de la fiction sur fond de riffs de guitare électrique, ils ancrent profondément les normes d’un imaginaire viril de la violence dans lequel se projettent à leur tour les fans de metal

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Figure 5 : Couverture du fanzine Rock’n’Force (n°2, 1987) empruntant à l’imaginaire du jeu vidéo, comme Manhattan 95 (1986), libre adaptation du film d’action post-apocalyptique New York 1997 (1981) de John Carpenter par Ubi Soft (figurant sur l’affiche reproduite en couverture entouré en rouge). La figuration de l’espace reprend les codes graphiques du beat’em all, comme dans Double Dragon (1987).

De nombreux éléments empruntés à l’univers de la fantasy nourrissent tant les illustrations des fanzines que les mises en scène de soi des artistes et des auteurs dans leurs chroniques : les romans tirés des pulps, les bandes dessinées, les livres-dont-vous-êtes-le-héros, les wargames et autres jeux de plateaux et les succès commerciaux du cinéma de l’époque comme Conan (figure 6)…

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Figure 6 : Effets d’écho entre l’affiche de Conan (1982) par Renato Casaro, la couverture de l’album Fighting the World (1987) de Manowar par Ken Kelly et un dessin illustrant un article sur le groupe Titan dans le fanzine Capricorn (1986).

Cet extrait d’une chronique d’un album de Stormbringer joue directement avec le personnage d’Elric de Melniboné, au centre du recueil de nouvelles Stormbringer (1966) de Michael Moorcock, chef de file de la nouvelle vague de la fantasy britannique :

« Au-delà des brumes de l’espace et du temps, cinq guerriers bardés de cuir s’avançaient, leurs torches vacillantes éclairaient le tumulus funéraire. Le premier plongea ses mains dans la terre rouge des anciennes batailles ressortant des entrailles du sol une étoile noire. STORMBRINGER, la lame runique, l’ancienne épée d’Éric le Nécromancien [sic] chantait de nouveau avide de sang et de gloire ».

« La première vague de guerriers vêtus d’armures écarlates, armés de sabres et de haches d’armes, sauta à bord et repoussa les rangs serrés des marins tarkeshites. La main d’Elric s’abattit sur la garde de Stormbringer. Lorsqu’il dégaina, l’acier diabolique gémit et sembla émettre une étrange lumière noire. Elric courut pour aider les Tarkeshites, et dans sa main l’épée palpitait comme un être vivant. »

Les référents prototypiques de l’heroic fantasy convoquent immédiatement l’univers dans l’imagination du lecteur. L’éclairage clair-obscur et le contraste violent des couleurs dialoguent directement avec les illustrations de Frank Frazetta et de ses imitateurs (figure 6), pour les couvertures des séries littéraires, mais très tôt surtout pour les pochettes d’albums de metal. Ils accentuent le fétichisme du corps en action, lui-même prolongé par les armes. Entre autres attributs saillants, l’épée Stormbringer organisant les lignes fortes de la composition des images personnifie l’essence virile du pouvoir. Par ailleurs, comme pour les bandes dessinées de Métal Hurlant estampillées « réservé aux adultes », la fantasy dans le sillage de Moorcock est souvent frontalement érotique, grâce à une intrigue déportant le lecteur dans des lointains merveilleux. Mêlant violence et sexe, elle séduit par ses démonstrations viriles triomphales les jeunes hardos.

Enfin, des circulations s’opèrent massivement entre les pochettes, les textes et les noms de groupe et l’architexte horrifique, que ce soient avec les films ou les romans.

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Figure 7 : Effets d’écho entre le fanzine Metal Gods (1986) (au milieu), la couverture de l’album Hell Awaits (1985) de Slayer (à gauche) et la couverture du roman Simetierre (1985) de Stephen King dans le collection Épouvante de J’ai Lu (à droite).

Ces éléments de la culture metal de la génération 1980, plus largement présents dans les noms des groupes, dans les textes des chansons, dans les illustrations des pochettes, sont ceux d’une culture adolescente masculine mondialisée ressaisis au prisme de la culture metal.

Dans les années 1980, tandis que les pratiques de consommation autorisent une plus grande individualisation des produits et une privatisation des usages, la culture consumériste devient ouvertement hégémonique[8]. Conséquence de la normalisation d’une culture jeune et de l’absorption de ses codes par les industries culturelles, les effets de dialogisme radical avec une culture et une morale plus traditionnaliste des aînés se sont résorbés[9]. L’expression d’une culture générationnelle, avec des traits distinctifs spécifiques à la jeunesse, est plus admise[10]. La généralisation de l’argent de poche, par exemple, prouve l’acquisition d’une certaine autonomie dans la formation des goûts culturels et dans l’utilisation du temps de loisir[11]. De nouvelles productions de masse apparaissent alors pour stimuler la consommation jeune. Elles identifient bien l’attrait potentiel d’éléments provocateurs dans le cadre d’un renouvellement des modes de négociation intergénérationnelle. Ce sont toute une série d’œuvres grandguignolesques et racoleuses, bien souvent « réservées aux adultes », mais en réalité destinées à l’adolescent rebelle, mettant en œuvre une esthétique virile de la transgression : films d’horreur, romans violents ou gore, bandes dessinées S.F. ou fantasy sexy… Grâce au développement et à la démocratisation de nouvelles technologies, elles peuvent être consommées par les jeunes dans un cadre intime – qu’ils soient seuls ou en groupe, loin de la pièce centrale et des parents. Ces circulations inquiètent les adultes, qui voient leur échapper tout droit de regard et de censure[12]. Depuis longtemps déjà, les petits illustrés, les livres de poche des collections populaires et les bandes dessinées se trouvent dans les maisons de la presse, les stations-service ou les gares, à des prix très accessibles pour un jeune public, et aucun prescripteur n’a pu endiguer le déferlement de ces lectures immorales[13]. Dans les années 1980, avec la démocratisation de la VHS et la multiplication des vidéoclubs, le cinéma d’exploitation profite du direct-to-video pour atteindre directement les jeunes, en évitant le contrôle parental. Ces films à tout petit budget, jouant sur leur caractère ultra violent et flirtant avec la pornographie, sont imaginés et produits à dessein pour ce visionnage en bande de copains, participatif et festif. Enfin, de même que le transistor et le vinyle dans les années 1950 ont permis la diffusion du rock’n’roll et la stabilisation d’une branche de l’industrie musicale, on peut faire l’hypothèse que la chaîne stéréo portable et surtout le walkman qui rendent possible une écoute isolée, dans la chambre ou au casque, ont favorisé le développement d’une musique à l’esthétique contre-discursive comme le metal[14]. Ces innovations technologiques ont donc facilité l’autonomisation d’une culture jeune.

On peut donc retracer une généalogie de la culture metal au travers de ces emprunts à la culture populaire contemporaine à destination d’un public adolescent masculin. Ils esquissent en creux la cohérence idéologique de cette culture en dialogue avec la consommation de masse et caractérisent le plaisir esthétique des productions de la sous-culture, y compris le fanzine. Les membres de la communauté fétichisent une supériorité virile, s’exprimant tantôt par la violence, tantôt par le triomphe guerrier et sexuel.  Dans ce nouvel ensemble, formant un « second système des objets » par rapport à celui de la consommation de masse, la valeur de ces artefacts dépend d’autres critères qu’il faut à présent mettre en lumière[15].

La communication sous-culturelle : l’usage des références à la culture populaire contemporaine dans les fanzines de metal

Le plaisir d’écriture et de lecture du fanzine s’appuie sur la présence des éléments stéréotypés recensés plus haut, tirés des imaginaires et sélectionnés par la communauté d’amateurs. Hiroki Azuma nomme « éléments d’attraction » ces traits récurrents fétichisés par les consommateurs et réorganisés ensuite dans un système propre qu’il nomme encore « base de données » : le blouson, la musculature, l’épée… sont les éléments d’attraction des amateurs de metal[16]. Ces stéréotypes sont des catalyseurs du social et leur puissance d’évocation croît en parallèle de l’investissement – émotionnel, financier et productif – du consommateur, dans un cercle vertueux. Dans cette culture de proto-geeks et de fans qu’est le metal, plus il y a répétition dans les diverses productions et sur les différents supports, plus il y a curiosité, connaissance et reconnaissance, plus il y a désir de collection et d’exhaustivité, plus il y a appropriation et (re)production – en particulier par l’amateur, lui-même. Mis les uns les autres en réseau, les éléments d’attraction fonctionnent comme des bornes propres à la communauté, qui l’actualise en la délimitant.

Le metal des années 1980 est donc une culture générationnelle prise dans un double mouvement : la volonté de se conformer aux idéaux de la bande, et celle de s’émanciper de ses aînés, contre la consommation commune et la masse. En conséquence, les lectures programmées sont doubles : la reconnaissance des signes a pour vocation soit de rallier le récepteur au groupe uni par une même compréhension du monde, soit d’exercer un effet repoussoir à l’encontre de ceux qui ne partageraient pas cette conception des choses. La communication sous-culturelle repose bien sur une esthétique médiatique avec des formulations standardisées du social.

D’une part, certains éléments d’attraction ont une fonction d’unification. À l’échelle de la ville et de la France, les copains doivent se signaler dans l’espace public afin de donner forme et cohérence à la bande locale[17]. À l’échelle du monde occidental, les membres sont réunis grâce aux médias alternatifs que sont les fanzines circulant mondialement grâce aux réseaux postaux. Ils se retrouvent dans une proximité idéologique, produite par l’adhésion à ces codes communs et une écriture mettant en scène une fraternité fantasmée. Ils forment dès lors une « communauté imaginaire » internationale[18].

Cette famille d’élection médiatique qu’est la sous-culture partage les mêmes loisirs et les mêmes goûts, les mêmes attentes et les mêmes angoisses, au moins dans le cadre performatif de la communauté. Les différences réelles (de classe, de race, d’origine…) sont ainsi temporairement abolies au profit des goûts communs. Dans les fanzines, le pacte de lecture établit un entre-soi virtuel : les citations relues correctement par un membre fonctionnent comme des seuils actualisant la fraternité sous-culturelle. Par exemple, la communauté se retrouve autour de son amour de la guitare électrique, élément central de la musique metal. Ce motif fétichisé se répète à foison dans les fanzines : des alter ego musiciens brandissent leur guitare dans un geste triomphal. Ces illustrations font consensus au sein du groupe et produisent l’agrément du lecteur, se sentant en terrain connu et amical.

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Figure 8 : Éléments décoratifs tirés de fanzines, correspondant à l’élément d’attraction « guitare »[19]

D’autre part, certains éléments d’attraction remplissent une fonction oppositionnelle, à la fois par rapport à la génération précédente jugée « ringarde » du metal chanté en français, dont les codes apparaissent obsolètes, et par rapport aux parents, dont les valeurs « adultes » et la morale sont réfutées. On trouve par exemple deux éléments signifiant la violence : le « monstre », souvent virilisé par une musculature imposante, alter ego des membres de la communauté ; les « armes » multipliées dans les trames. Ces deux éléments signifient l’hostilité à la culture des parents et des gens « normaux » et à leurs valeurs lénifiantes.

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Figure 9 : Éléments décoratifs tirés de fanzines, correspondant aux éléments d’attraction [« monstre » + « arme »].

En adoptant une lecture très littérale, on découvre une syntaxe articulant de manière explicite les fétiches des jeunes auteurs. Les équations [« homme » +  « guitare »] et [« monstre » + « arme »] remontent toutes deux à une superstructure [« alter ego » + « objet »], utilisée à son tour pour recomposer une multitude de dessins : des [« monstres » + « armes »] et des [« monstres » + « guitares »], qui redoublent des [« hommes » + « armes »] ou [« hommes » + « guitares »]. On note une obsession des objets pointus à caractère phallique, dans des poses équivoques, exprimant le virilisme de l’imaginaire metal.

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Figure 10 : Éléments décoratifs tirés de fanzines, correspondant à la superstructure des éléments d’attraction [« alter ego » + « objet phallique »].

Enfin, l’élément d’attraction « femme dénudée » récurrent dans les fanzines prouve que l’imaginaire metal repose bien sur une connivence masculine. 

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Figure 11 : Éléments décoratifs tirés de fanzines, correspondant à la structure des éléments d’attraction [« femme dénudée » + « objet phallique » ou « monstre »].

Les éléments sélectionnés et collectionnés de manière quasi obsessionnelle forment donc bien un « idiolecte » ou langage propre à la communauté. À travers leur remobilisation, les membres de la communauté metal tentent de révéler et affirmer une identité et une sensibilité divergentes.

Les productions culturelles dont les jeunes tirent ces éléments d’attraction sont liées aux médias de masse de l’époque – magazines de BD, VHS et cinéma, collections de livres de poche – qui ont provoqué successivement des paniques morales. En conséquence, les jeunes auteurs des fanzines les consomment pour leur fonction distinctive et communautaire, les rattachant prioritairement à l’esthétique (au sens fort) metal, une émotion que les parents, adultes et jeunes non membres de la communauté hard rock ne peuvent connaître sans maîtriser l’intégralité des productions composant l’intertexte. Sélectionnées pour leur nature et leur usage problématique (ou montrées comme telles par les grands médias), elles sont comprises à partir des grilles de lecture de la communauté, suggérant la radicalité du metal. Or, la majeure partie de ces fictions populaires à destination d’un public masculin fétichisent la violence et criminalisent une sexualité débridée (sous les traits du tueur pervers, par exemple). En conflit avec le jugement généralement porté sur ces dernières, condamnant leur caractère vulgaire, inquiétant ou amoral, les jeunes fans de metal façonnent à partir d’elles une image ambiguë de la virilité. En effet, cette hypermasculinité est un élément essentiel de leur culture : la musique speed, thrash ou death connote un degré d’intensité supérieur par rapport aux tempos lents du heavy metal, dont l’agressivité élimine d’emblée toute possibilité d’agrément pour le quidam. De même, le genre de l’horreur place au centre du récit des individus à la violence incontrôlable, commettant des meurtres mis en scène et de manière particulièrement insoutenable, que le metal brandit en retour comme modèle fantasmatique.

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Figure 12 : Sur les photographies promotionnelles (en bas à droite), les jeunes gens imitent les tueurs en série des films d’horreur, comme Jason dans le slasher Halloween (1982) de Carpenter (en haut à droite), ou Eddie the Head, alter ego du groupe Iron Maiden, tuant Margaret Thatcher sur la couverture de Sanctuary (1980) (à gauche).

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Figure 13 : Class 1984 (1982) de Tom Holland et photographie promotionnelle du groupe Carnage.

Enfin, les œuvres apparentées à la fantasy ou les films d’action se prêtent à une lecture plus littérale, avec des surhommes testostéronés qui pour combattre l’injustice font fi des lois : si le commun ne voit que l’outrance ridicule, les hardos se sentent proches de leur prouesse.

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Figure 14 : Posture triomphale, musculature saillante et looks des groupes, tant reconnus comme Manowar (au centre) que tout petits présentés dans les fanzines (à droite), en lien avec l’imaginaire de la fantasy, comme Les Barbarians (1987) de Deodato.

Cette face cachée, devenue avantageusement occulte dans la narration, correspond à une frustration réelle : celles de (très) jeunes hommes issus de milieux populaires, éloignés des grands centres culturels, à un moment de crise majeure de la reproduction sociale ouvrière[20]. En quête de sens face aux transformations de l’époque, ils intègrent aussi les modalités de distinction et une volonté de singularisation propre à la culture médiatique de consommation. Au cœur de leurs préoccupations, il reste quelque chose d’une hexis corporelle typique d’une masculinité populaire héritée des bandes des loubards des années 50, converties en signes médiatiques avec les mutations sociales et culturelles des années 80[21].

Ainsi l’évaluation esthétique dépend avant tout (mais pas entièrement) d’une volonté communicationnelle, dont un des critères dominants est le potentiel distinctif signifiant la radicalité. Cette anecdote racontant le choix de son premier t-shirt de groupe par le jeune hardos Samuel Guillerand illustre bien l’ambiguïté dans la hiérarchie esthétique entre musique, revendiquée au travers du port d’un t-shirt de groupe, et provocation :

« Je me rappelle notamment d’un certain t-shirt d’Entombed à manches longues [] dont le slogan, placardé en énorme sur le dos en laissera plus d’un pantois (ou perplexe, au choix) : BLOOD, MURDER and SATAN ! Résultat garanti []  ! Surtout en salle de cours, quand le prof m’appelait au tableau…[22] »

Comme dans une chambre de garçon adolescent avec des murs décorés de posters d’idoles mêlant ses différents centres d’intérêts en un portrait chinois, la personnalité de l’auteur s’affiche dans le fanzine au travers des citations de films, de comics… cherchant à donner forme à sa relation au groupe de pairs et aux aînés[23].

Le fanzine metal, une esthétique de « chambre » de garçon adolescent : l’exemple du fanzine français Possessed by Speed (1987)

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Figure 15 : Chambre d’adolescent avec une guitare dans sa housse (à gauche), au mur un poster Iron Maiden, une affichette du groupe Body Count, un élément découpé dans « Hard Rock », une affiche du Batman : le Défi de Tim Burton (1992), archives de Samuel Guillerand (1992).

La cohérence des éléments réunis dans un fanzine dépend certes du milieu metal auquel il se rattache, mais aussi de la personnalité de son ou ses auteur(s). Dans les fanzines, les auteurs orchestrent une mise en scène de soi discursive à partir des éléments d’attraction propres à la communauté, se forgeant à leur tour un style metal. Les objets, « braconnés » çà et là, sont réagencés et exhibés pour composer un portrait chinois des auteurs en correspondance avec l’ethos de la bande. Le fanzine de la région de Bayonne Possessed by Speed comporte de nombreux emprunts, intégrés dans le dispositif sémiotique général. Guillaume « Gwardeath » Gouardes (son pseudonyme est d’ailleurs une stylisation anglicisante par un jeu phonique sur son nom), ayant rejoint l’aventure à quinze ans et s’étant approprié progressivement la rédaction du fanzine, a bien voulu nous éclairer sur les choix effectués pour la mise en page du 8e numéro en 1987.

Dans ce numéro, Ded, ami et chanteur du groupe local Agressive Agricultor, est l’auteur du logo du fanzine et de l’illustration de couverture. Le dessin de Judge Death n’a a priori aucun rapport avec le contenu du fanzine, essentiellement musical. Pourtant ce personnage de la série Judge Dredd est choisi pour l’illustrer : la tête de mort manifestant son rôle de mauvais juge entre en résonnance avec l’imaginaire metal, elle constitue un élément d’attraction. Ce rapport sémantique est suffisant pour justifier sa convocation et assurer son effet : la référence peut être appréciée sans que le lecteur en ait la connaissance réelle – beaucoup plus comme un élément signifiant de l’univers metal que comme le comic strictement parlant. Qui plus est, Guillaume Gouardes s’était procuré ces bandes dessinées lors d’un voyage en Grande-Bretagne et les avaient prêtées à ses amis, ayant identifié une référence au Judge Death dans le single du groupe Anthrax sorti la même année, I Am The Law[24]. Le groupe a donc un rôle de prescripteur, tandis qu’une telle réalisation, longuement exécutée à main levée, avec une attention soutenue pour le détail et une très grande application, correspond à une pratique de fan. Engagé par le geste minutieux du dessin, cette concentration et cet intense investissement psychologique correspondent à une forme de performance de l’ethos du groupe. Elle est source de satisfaction personnelle et d’admiration chez les copains.

L’intérêt de l’auteur (comme du lecteur) dépend donc de la reconnaissance et de la remobilisation des signes de la communauté, dans une dynamique de fandom, avec des degrés plus ou moins élevés d’expertise et d’érudition. La valeur repose en conséquence sur l’évaluation par les pairs d’un engagement sincère dans le milieu : l’individu affiche une activité constante de collection et de reproduction en lien avec l’imaginaire de la communauté, prouvant une adhésion sans faille aux valeurs du groupe et faisant exister la communauté en même temps qu’il la vit. C’est pourquoi, pour aborder l’émotion esthétique au sein des communautés sous-culturelles, plutôt que de parler du « beau » que la perspective moderniste situe du côté de l’essentialité et d’un absolu du jugement, nous préférerons parler du « cool », où l’émotion et l’adhésion reposent sur une performance et une validation sociale[25].

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Figure 16 : Couverture de Possessed by Speed (1987), dessinée par Dred d’Agressive Agricultor (au centre). Pour les hardos de l’époque, le personnage de Judge Dredd renvoie plus au metal par le biais du single d’Anthrax I am the Law (1987) (à gauche) qu’aux comics de 2000AD (à droite).

La capacité à mobiliser les éléments d’attraction de la communauté et organiser un discours selon les codes du genre témoigne de la possession d’un capital sous-culturel[26]. La définition de soi s’articule en négociant entre la conformité aux goûts des pairs – et donc une certaine standardisation – et l’expression d’une personnalité propre. La singularité de l’esthétique du fanzine de Guillaume Gouardes, par exemple, est liée à son goût du jeu de rôle. Pour les tours de pages et les éléments de décoration, il raconte avoir découpé des éléments directement dans ses magazines White Dwarf (1977- …) et utilisé des cases de plateau de jeux de rôle tirées d’extensions Games Workshop. Pour la plupart des lecteurs, ces motifs peuvent passer inaperçus, parfaitement fondus dans le décor du fanzine ; pour d’autres, ils attestent d’une affinité par amour du jeu de rôle, qui vaut une sympathie accrue à l’auteur et un désir de soutien pour quelqu’un qui est souvent déjà un ami ou une connaissance du milieu (par exemple, en achetant régulièrement son fanzine ou en s’abonnant). C’est néanmoins la conformité à l’esthétique du groupe et l’alignement sur une horizontalité générationnelle (plutôt qu’une verticalité de la transmission traditionnelle) qui est valorisée in fine.

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Figure 17 : Les éléments braconnés dans Possessed by Speed : des tours de jeux de rôle d’extension Games Workshop (à droite) et des éléments tirés du magazine de jeu de rôle White Dwarf (à gauche, une couverture de 1987).

Dans l’entre-soi du fanzine, la maîtrise des codes génériques signifie moins une mise à distance et une originalité qu’une façon de performer l’investissement dans la communauté en en arborant le style. Dans l’ouverture de l’interview du groupe Hellfire, la mise en scène fictionnelle prolonge l’identité des membres de la communauté en accord avec les stéréotypes du metal entre fantasy et satanisme :

« Bravant les crocs ténébreux de Cerbère, le tricéphale et canin gardien des Enfers et les créatures mystérieuses des cryptes éternelles et aux secrets insondables pour quérir le trousseau des sept clés dorées et maudites, The Infernal Ripper a dérobé les parchemins interdits par le sceau de Pluton, pour vous ramener, mauvais moines, la légende du groupe et a même pu entrer en contact avec l’âme perdue de David, batteur et chanteur du feu d’Hadès[27]. »

Cette fictionnalisation profite à tout le monde : elle engage une performance collective. Le journaliste en herbe Guillaume Gouardes devient sous son nom de plume « The Infernal Ripper », le groupe arbore son nom de scène « Hellfire, le feu d’Hadès » et son batteur et chanteur David ainsi que les lecteurs deviennent respectivement une « âme perdue » et de « mauvais moines ». La construction se fait par accumulation d’éléments fétichisés hétéroclites, au mépris des cohérences historiques ou canoniques, les antiques Grecs « Cerbère et Hadès » voisinant avec le personnage américain « The Infernal Ripper ». Les épithètes homériques (« créatures mystérieuses, cryptes éternelles, secrets insondables, sept clés dorées, parchemins interdits, âme perdue… ») confèrent une épaisseur immédiate à ce court cadrage, entre univers du jeu de rôle, roman lovecraftien et couverture d’album de metal. L’intention artistique et artifiante transparaît dans le lyrisme pastiche, comme cette apposition périphrastique précieuse « Cerbère, le tricéphale et canin gardien des Enfers » avec une antéposition des qualificatifs typique d’une poésie maladroite. On pourrait souligner la maladresse stylistique faisant presque obstacle au sens et allant parfois jusqu’au pataquès, comme avec les « crocs ténébreux ». Mais l’accumulation emphatique et naïve dit bien le caractère jouissif de cette présentation au mépris de toutes règles ou économie stylistique, et surtout au mépris du réel – le groupe n’a sans doute pas l’envergure que lui confère ce propos. Il s’agit donc bien d’une performance de style littéraire comme d’un look metal.

Ces analyses montrent de manière concrète le fonctionnement de l’économie sémantique sous-culturelle : la communauté interprétative cohérente des amateurs de metal signifie la singularité à partir de stéréotypes de masse, sélectionnés et arrangés en conformité avec l’esthétique du groupe. Le satanisme, la violence et les images de mort sont autant de masques adoptés pour définir une identité sous-culturelle qui affirme à coups de provocations sa marginalité et sa radicalité au nom d’une puissance sociale lésée. L’imaginaire convoqué de la culture de masse est remédiatisé par les grilles de lecture de la communauté dans une forme de performance. Il fait exister le groupe en opposant à l’esthétique convenue de la culture de masse celle thématisée comme ésotérique du groupe d’amateurs. C’est parce que « ceux qui n’en sont pas » s’offusquent en déchiffrant les textes selon les codes communs (ceux de la violence réelle et du satanisme), que « ceux qui en sont » peuvent jouir des signes (ceux de la provocation et du sens pris par cet imaginaire dans la musique, d’autant plus « cool » que les autres s’effraient). On voit se dessiner ainsi une filiation nette des communautés sous-culturelles avec des figures plus anciennes de consommateurs raffinés, dandy ou esthète, faisant de leurs choix de produits consommés l’enjeu de définition de leur persona. Un média comme le fanzine, ayant par définition pour fonction de souder un groupe autour de valeurs partagées, favorise un langage cryptique cohérent, aussi bien linguistique que culturel, c’est-à-dire, au sens fort, un « style ». La circulation des imaginaires dans les fanzines atteste de la démocratisation d’un style ancré dans des mécanismes de renouvellement générationnel avec la mondialisation et l’hégémonie d’une culture de consommation, en dépit de l’évaluation de ses qualités esthétiques à l’aune d’une culture légitime et du bon goût.

 

BIBLIOGRAPHIE

Sources primaires
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Sources secondaires

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[1] Nous choisissons le terme parapluie de metal pour désigner la scène musicale dans son ensemble, saisie comme objet transhistorique et transnational. Il convient cependant de rappeler dans les grandes lignes l’évolution chronologique de cette scène entre 1970 et 1990, ayant conduit à un fractionnement de sous-genres à la musique de plus en plus intense et inaccessible pour l’oreille non éduquée : d’abord le hard rock et le heavy metal entre 1970 et 1980, principalement dans les pays anglo-saxons, puis rapidement au cours de la décennie 1980-1990 et partout dans le monde, le speed, le black, le thrash, le death metal. Ainsi en France dans les années 1980, on écoute du « hard » et non du « metal », et les individus rattachés à la scène sont appelés « hardos » et non « métalleux ». En conformité avec la réalité historique, c’est ce premier terme que nous privilégierons dans l’article. À ce propos, voir Fabien Hein, Hard rock, heavy metal, metal : histoire cultures et pratiquants, Guichen, Edition Mélanie Seteun, « Musique et société / 6 », 2003.

[2] Selon la définition commune, le fanzine, de fanatic magazine, est amateur aux deux sens du terme : au sens de « fait par des fans pour des fans », consacré à un domaine très spécifique, à des goûts obsessionnels et/ou à une culture de niche, dont les adeptes estiment qu’ils ne reçoivent pas une attention suffisante des grands médias ; amateur au sens de « non-professionnel », dont les auteurs n’ont aucune formation et ne touchent pas de salaire, sinon une maigre compensation des frais engagés, dont la production est souvent pirate, dont les réseaux de distribution sont alternatifs et qui figurent très rarement au dépôt légal. Sur le sujet voir Samuel Étienne, « ‘‘First & Last & Always’’ : les valeurs de l’éphémère dans la presse musicale alternative », Volume !, 2e année, vol. 1, 2003, en ligne : http://journals.openedition.org/volume/2303 ; Fabien HEIN, Do it yourself !, Autodétermination et culture punk, Congé-sur-Orne, Le Passager Clandestin, 2012

[3] Nous nous référons à la définition donnée par Gérard Mauger de la « génération sociale », c’est-à-dire un ensemble d’individus du même âge, dont la mentalité, la façon de sentir et de penser, les goûts et les pratiques, sont le produit d’un contexte social et historique spécifique. Voir Gérard Mauger, « Générations et rapports de générations », dans : Anne Quéniart (dir.), L'intergénérationnel. Regards pluridisciplinaires. Rennes, Presses de l’EHESP, « Lien social et politiques », 2009, p. 15-36, en ligne : https://www.cairn.info/l-intergenerationnel--9782859529925-page-15.htm

[4] Voir Fabien Hein, op. cit. ; A.R. BROWN, « Heavy Metal and Subcultural Theory: a Paradigmatic Case of Neglect? » dans David Muggleton, Rupert Weinzierl (dir.), The Post-Subcultures Reader, Oxford, Berg, 2003. Ces propos trouvent par ailleurs confirmation dans les observations sur la composition sociologique du milieu dans les années 1980 établies à partir des données extraites de notre corpus et fournies par nos enquêté.es. 

[5] Voir Nicolas Renahy, Les Gars du coin, Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte, Paris, 2012.

[6] Sur les contre-discours des communautés, voir Michael Warner, « Public and Counterpublics (abbreviated) », Quaterly Journal of Speech, vol. 88, n°4, nov. 2002, p. 413-425. En ligne sur : http://castillocorrales.fr/wp-content/uploads/2013/03/Michael-Warner-Publics-Short.pdf

[7] Le choix des années 1986-1987 est arbitraire, mais permet de procéder à un état du discours social de la communauté. L’ensemble des fanzines étudiés est disponible en ligne sur le site de France Metal Museum : http://france.metal.museum.free.fr/revues/fanzines/index.htm. D’autre part, nous nous appuyons sur un entretien accordé par Guillaume « Gwardeath » Gouardes, actuel directeur de la Fanzinothèque de Poitiers.

[8] Au sujet du basculement dans une culture consumériste, voir Fredric Jameson.

[9] Voir Olivier Galland, Les Jeunes, Paris, La Découverte, « Repères », 2009 ; Hervé Glévarec, La Culture de la chambre, Préadolescence et culture contemporaine dans l’espace familial, Paris, La Documentation Française, « Questions de culture », 2009.

[10] Tout relativement, néanmoins, certains milieux aisés ou religieux cherchent encore à contenir cette émancipation.

[11] Depuis le XIXe siècle et l’interdiction du travail des mineurs, les temps de loisirs augmentent progressivement. Les lois Haby sur le collège « pour tous » (1975) rallongent encore la période d’oisiveté entre la fin des classes et le premier emploi.

[12] L’apparition de chaque nouveau média à destination de la jeunesse émeut la société civile, provoquant des vagues de panique morale Le terme est défini par Stanley Cohen dans son ouvrage fondateur sur la création par les médias des Mods et des Rockers. Pour une étude transhistorique, voir John SpringhallL, Youth, Popular Culture and Moral Panics: Penny Gaffs to Gangsta Rap, 1830-1996, New York, St. Martin’s Press, 1998

[13] Voir les travaux de Matthieu Letourneux, Fictions à la chaîne, Paris, Seuil, « Poétique », 2018.

[14] Ces analyses tenant compte des transformations culturelles pour expliquer un phénomène s’inspirent de la méthode de Peterson, la « production de la culture ». Voir Richard A. Peterson, « Mais pourquoi donc en 1955 ? Comment expliquer la naissance du rock », trad. par Marc Munder et Antoine Hennion, Vibrations. Musiques, médias, société, 1991, hors-série, p. 9-39, en ligne : https://www.persee.fr/doc/vibra_0295-6063_1991_hos_1_1_1092# ; Philippe Le Guern, « Le rock était-il audible à Avignon en 1954 ? Penser l’articulation entre nouveaux dispositifs sonores et nouvelles dispositions sociales », Sociétés & Représentations, 2020/1, n° 49, p. 97-118, en ligne : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2020-1-page-97.htm.

[15] Voir Gilles Marion, Le Consommateur coproducteur de valeur. L’axiologie de la consommation, Cormelles-le-Royal, EMS Editions, Management et société, « Versus », 2016.

[16] Voir Hiroki Azuma, Génération Otaku, les enfants de la postmodernité, Paris, Hachette, 2006.

[17] La population du milieu metal correspond à ce que Nicolas Renahy a désigné comme les « gars du coin », white low middle class. Op.cit.

[18] La notion de « communauté imaginaire » est empruntée à Benedict Anderson ; voir L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme. Paris, La Découverte, 1996.

[19] Pour chacune des analyses suivantes, les éléments décoratifs sont tirés de divers fanzines : Alliage, Apocalypse, Apocalypse métallique, Capricorn, Le Cri du glaive, Etat d’urgence, Halstatt, Legitime Attack, Metal Action, Metal Connection, Thrash Maniacs. Wimpie…

[20] Voir Renahy, op.cit. ; Galland, op.cit.; Mauger, op.cit.

[21] Sur l’« hexis corporelle » des loubards, voir Gérard Mauger, Les bandes, le milieu et la bohème populaire. Études de sociologie de la déviance des jeunes des classes populaires (1975-2005), Paris, Belin, « Sociologiquement », 2006.

[22] Voir Samuel Guillerand (dir.), Explosions textiles. Mon premier t-shirt de groupe, Paris, Kicking Books, 2013.

[23] Voir Hervé Glévarec, op. cit.

[24] Pour l’anecdote, il possédait un t-shirt à l’effigie du juge dont il se souvient en ces termes : « Dans un souci d’imitation des obsessions du groupe Anthrax, j’avais jeté mon dévolu sur un t-shirt de Judge Dredd. Pas un t-shirt d’Anthrax, d’accord, juste un t-shirt blanc avec ce bon vieux Judge Dredd prononçant « You’re next punk » sans appel… Tu saisis la mise en abyme ? (...) Un t-shirt faisant référence à tout le mouvement thrash crossover alors en pleine expansion – mais par le biais de choix artistiques codés » Guillaume Gouardes dans Explosions textiles, op. cit.

[25] Sur l’importance de la performance dans la sous-culture, voir Simon Frith, Performing Rites, On the value of popular music, Oxford, Oxford University Press, 2002.

[26] Voir Muggleton et Weinzierl, op. cit.

[27] Chronique de Hellfight, Guillaume Gouardes, Possessed by Speed, n°8, 1987.

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