À l’époque moderne, l’idée d’une hiérarchie entre les genres picturaux est relativement fréquente. Une œuvre figurant un épisode historique, biblique ou encore mythologique est en effet souvent préférée et valorisée par les théoriciens de l’art. Les autres sujets picturaux – portrait, paysage, scène de genre, peinture animalière et nature morte –, parfois désignés comme « genres mineurs1 » ou « talents particuliers », sont quant à eux rapidement évoqués dans la littérature artistique et assez peu mentionnés pour montrer la grandeur et la noblesse de la peinture. Le théoricien italien Alberti écrit ainsi en 1436 que « le sommet de l’œuvre du peintre est la représentation d’une histoire2 ».
L’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée à Paris en 1648, reprend cette vision3. La hiérarchie des genres picturaux est notamment développée par André Félibien, historiographe du Roi, puis secrétaire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dans sa célèbre Préface aux Conférences publiée en 1668. Félibien dresse la liste de ce qu’il nomme les sujets de peinture, classés par ordre de difficulté4. Au sommet se trouvent l’allégorie et la peinture d’histoire, tandis que la deuxième place est attribuée au portrait car :
Il est certain aussi que celuy qui se rend l’imitateur de Dieu en peignant des figures humaines, est beaucoup plus excellent que tous les autres. Cependant quoy que ce ne soit pas peu de choses de faire paroistre comme vivante la figure d’un homme, & de donner l’apparence du mouvement à ce qui n’en a point ; Neantmoins un Peintre qui ne fait que des portraits, n’a pas encore atteint cette haute perfection de l’Art, & ne peut pretendre à l’honneur que reçoivent les plus sçavans5.
Le portrait reste inférieur au « Grand Genre », puisqu’un portraitiste ne figure qu’un seul individu, sans s’aventurer dans la représentation de « grandes actions » ou de « sujets agréables », tel un historien ou un poète6. Ces tableaux sont une copie d’un être vivant, alors qu’une peinture d’histoire demande de l’imagination, de la culture et, de fait, un talent plus grand. On accorde davantage de crédit à cette dernière car elle montre l’homme dans une vue générale, contrairement au portrait où l’individualité prime.
La mise en valeur de la peinture d’histoire s’explique assez simplement. Pour affirmer le statut d’art libéral de la peinture, elle a été rapprochée de la poésie – Ut pictura poesis selon la célèbre formule d’Horace –, car toutes deux doivent inventer, disposer et exprimer une histoire, un mythe ou encore une fable7. Ainsi, la peinture, de même que la poésie, peut élever l’esprit, instruire et plaire à la fois. Il a pu sembler plus difficile d’insister sur ce statut d’art libéral en s’appuyant sur un portrait, qui ne figure pas toujours des éléments émouvants et exemplaires, même s’il contient parfois des allégories et autres symboles moraux. Néanmoins, l’existence et l’utilité des genres picturaux « mineurs » ne sont pas remises en question. La fonction mémorielle du portrait est par exemple soulignée dans de nombreux textes écrits depuis la Renaissance8. De même, le portrait est fréquemment perçu comme le substitut de la personne peinte9.
Ainsi, pour les théoriciens de l’art écrivant à l’aube du XVIIIe siècle, le portrait, bien qu’utile, n’en demeure pas moins inférieur à la peinture d’histoire, définie comme « l’idéal » à atteindre10. Les pages qui suivent se proposent d’analyser la manière dont ces différentes idées sont développées durant le siècle des Lumières, en particulier au sein de l’Académie royale de peinture et de sculpture et à travers la critique d’art. La réflexion se consacre tout d’abord aux évolutions de la notion de hiérarchie des genres et à celles concernant la vision du portrait. Sont ensuite évoquées les diverses critiques sociales de ce dernier et, enfin, la manière dont il est défendu et légitimé par artistes et amateurs.
1. Portrait et hiérarchie des genres picturaux
1.1. Un statut ambigu
Considéré comme un genre mineur, le portrait occupe cependant une place ambiguë au sein de l’Académie. Même si seuls les peintres d’histoire peuvent officiellement accéder aux statuts convoités de professeur et de directeur, certains portraitistes, comme Nicolas de Largillierre et Hyacinthe Rigaud, sont toutefois nommés directeurs11. Rigaud se fait par ailleurs recevoir à l’Académie comme peintre d’histoire, mais ne réalise que très peu de toiles de ce type par la suite12. D’autres, tel Robert Tournières, obtiennent aussi le rang de peintre d’histoire. En 1716, ce dernier soumet son morceau de réception figurant l’un des mythes liés à la création de la peinture, celui de Dibutades13. Le choix du sujet est très significatif. En effet, selon cette légende, une jeune Corinthienne aurait tracé l’ombre du visage de son amant sur un mur afin d’en préserver l’image ; elle créa ainsi le dessin14. Tournières affiche donc sa volonté d’élever son statut de portraitiste par le biais d’une peinture d’histoire soulignant le rôle supposé du portrait dans l’invention de la peinture, invention pouvant de fait être considérée comme un sujet historique à part entière15. En outre, l’importance du portrait au sein de l’Académie apparaît à travers les morceaux de réception demandés aux portraitistes agréés. Pour être admis au sein de la compagnie, les spécialistes de ce genre doivent généralement présenter deux effigies d’académiciens occupant le statut d’officier, c’est-à-dire des peintres d’histoire et des sculpteurs au moins professeurs. Ces toiles, d’ailleurs accrochées dans les salles de l’Institution, ont un rôle mémorial et commémoratif, célébrant l’artiste figuré au-delà de sa mort, son œuvre et son rôle au sein de l’Académie16. Le portrait participe de fait à la construction d’une histoire de l’Institution, histoire qui reste toutefois principalement liée aux peintres d’histoire et aux sculpteurs.
1.2. Entre acceptation et rejet
Au cours du siècle, la hiérarchie des genres est plus ou moins appliquée au sein de l’Académie. Durant les années 1708-1737, moment où le duc d’Antin est Directeur général des Bâtiments du Roi, une relative politique d’ouverture envers les « talents particuliers » est perceptible17. Néanmoins, la hiérarchie des genres se retrouve dans les livrets des expositions de l’Académie royale. En effet, à partir de celle de 1740, les œuvres exposées y sont généralement organisées selon le rang que l’artiste occupe à l’Académie : professeurs, adjoints à professeurs, conseillers, académiciens et enfin agréés18. La valorisation de la peinture d’histoire par l’Académie perdure les années suivantes, en particulier suite à une diminution de 33% des peintres d’histoire reçus entre 1745 et 177419. Des aides sont ainsi accordées afin d’encourager cette carrière, notamment sous l’impulsion de Cochin, secrétaire de l’Institution20. Mais c’est surtout le comte d’Angiviller, nommé Directeur des Bâtiments du Roi en 1774, qui relance l’intérêt des artistes pour l’histoire et tente de redonner son éclat à la peinture française. Son but est de développer le rôle politique et social de cette dernière en s’appuyant sur le « Grand Genre ». En 1777, il commande par exemple une série de sujets d’histoire moralisants destinée à paraître au Salon afin de montrer la grandeur de la France et de la monarchie, mais aussi d’éduquer le public21. En outre, d’Angiviller déconseille d’encourager les autres artistes pour ne pas dissuader les peintres de choisir la carrière noble de l’histoire, car cette dernière « est le grand genre de la peinture, et c’est seulement dans la réussite dans l’histoire que peut être établie la gloire d’une nation dans les arts22 ». La position de la peinture d’histoire au sein de la hiérarchie des genres est ainsi renforcée, son rôle édifiant, didactique et moral est, quant à lui, mis en évidence23. En plus de cette vision plus que valorisante de son art, le peintre d’histoire demeure souvent perçu comme le seul artiste accompli car il traite tous les sujets et a par conséquent davantage de génie, d’imagination et d’invention que les autres. En revanche, on pense que le portraitiste possède des connaissances limitées, puisqu’il se contente de copier la nature : il transcrit simplement sur la toile les traits d’un individu, comme l’a déjà souligné Félibien.
Le système hiérarchique établi par ce dernier n’est néanmoins pas une règle absolue mais, au contraire, l’objet de discussions chez les critiques d’art du XVIIIe siècle24. Tout d’abord, l’allégorie, placée au sommet par Félibien, séduit peu les théoriciens et critiques d’art, notamment en raison de « l’effort de déchiffrement » qu’elle exige25. De même, la distinction faite entre peintres d’histoire et de genre s’appuie sur le fait que ces derniers copient et imitent des éléments réels, tandis que la part d’imagination des premiers est bien plus développée. L’idée subsiste au XVIIIe siècle, mais Roger de Piles, en définissant la peinture comme « l’imitation des objets visibles par le moyen de la forme et des couleurs », affirme que tout sujet pictural provient de l’imitation : même dans une peinture d’histoire, l’artiste copie la nature26. En outre, des académiciens, tel le miniaturiste Jean-Baptiste Massé, insistent lors de discours adressés aux élèves sur la nécessité de travailler dans le talent qui convient à chacun tout en montrant les mérites respectifs de tous les genres artistiques. En 1750, Massé dénonce ainsi ceux qui « ne persévèrent dans l’histoire que par la fausse honte de paraître avoir moins de génie que leurs camarades, sans songer que, ne pouvant les égaler en ce genre, ils les surpasseraient peut-être de beaucoup dans un autre27 ». Toutefois, les critiques de Salons commencent très souvent leurs textes par les peintures d’histoire avant d’aborder portraits, paysages ou peintures animalières. L’auteur des Mémoires secrets organise par exemple ses comptes rendus en trois lettres : la première est consacrée à la peinture d’histoire, la seconde aux autres genres picturaux et la troisième à la sculpture et à la gravure28. Néanmoins, lors du Salon de 1787, il évoque le Portrait de Marie-Antoinette et de ses enfants par Vigée-Lebrun dès sa première lettre et ce, sur plusieurs pages, avant d’écrire : « entraîné par mon début j’ai anticipé sur ma marche ordinaire et ne vous ai point encore parlé du premier genre de l’histoire29 ». Quelques exceptions sont à noter : l’auteur anonyme de la Lettre à M. de Poiresson-Chamarande, court texte sur le Salon de 1741, traite les œuvres selon leur ordre de présentation dans les salles et non d’après leur sujet30.
Les toiles de genres « mineurs », en particulier le portrait, ne sont cependant pas négligées dans les expositions. Si l’on consulte les livrets de ces événements, on remarque que les portraits recouvrent en moyenne environ 21% des œuvres, ce qui reste un chiffre notable mais est loin de l’idée de masse formulée par l’auteur des Mémoires secrets31. En 1769, ce dernier écrit en effet que la « multitude de portraits » l’oblige à en parler32. Toutefois, lorsqu’il mentionne certaines de ces toiles, telle Gustave de Suède avec ses frères, il le fait en donnant de nombreux détails sur la composition, l’expression ou encore l’effet produit sur le spectateur33.
Comme le montre Mark Ledbury, les théoriciens du XVIIIe siècle dirigent finalement leur réflexion vers une opposition des sujets picturaux entre peinture d’histoire et « genre », plutôt que vers une véritable hiérarchie, ce qui est particulièrement visible dans l’Essai sur la peinture de Diderot :
Il me semble que la division de la peinture en peinture de genre et peinture d’histoire est sensée, mais je voudrais qu’on eût un peu plus consulté la nature des choses dans cette division […] il fallait appeler peintres de genre les imitateurs de la nature brute et morte ; peintre d’histoire, les imitateurs de la nature sensible et vivante ; et la querelle était finie. Mais en laissant aux mots les acceptions reçues, je vois que la peinture de genre a presque toutes les difficultés de la peinture historique ; qu’elle exige autant d’esprit, d’imagination, de poésie même […]34.
Diderot ne remet pas vraiment en cause la hiérarchie, mais pense qu’un « homme de génie » peut donner aux « talents particuliers » une valeur picturale égalant la peinture d’histoire35.
Au XVIIIe siècle, la hiérarchie des genres reste donc perceptible au sein de l’Académie et dans la littérature artistique, mais sans être finalement très rigoureuse. Malgré une certaine remise en cause, elle n’est jamais complètement renversée et est loin d’être unanime36. Même si l’auteur des Mémoires secrets admire quelques tableaux de Roslin, reste l’idée que la peinture d’histoire, genre le plus difficile, occupe le sommet de la production picturale.
2. Critique sociale du portrait
Au XVIIIe siècle, le portrait peint connaît, en France, un succès notable qui perdure durant la Révolution37. Auparavant réservé à un groupe social relativement restreint, il touche dorénavant des commanditaires plus divers, en particulier la bourgeoisie parisienne en quête de reconnaissance sociale. Une demande privée se développe, rendant le portrait plus lucratif que la peinture d’histoire qui, de son côté, séduit moins le public des Salons, tout comme ses commanditaires principaux – l’Église et la Cour38. La réalité semble alors s’opposer à la hiérarchie des genres. Comme le note Martin Schieder, cet écart notable entre la théorie et la pratique de cette hiérarchie permet aux contemporains de débattre tout au long du siècle du rôle et de la place du portrait39.
Malgré leur succès auprès du public, les portraits sont l’objet d’une critique sociale virulente qui commence à poindre dans plusieurs comptes rendus d’exposition portant sur les personnes se faisant peindre, mais aussi sur l’artiste même. Le goût du public est particulièrement dénoncé par La Font de Saint-Yenne, critique d’art, dans ses Réflexions (1747), puis ses Sentiments (1754)40. Selon lui, le développement du portrait est la preuve de la décadence de la peinture et l’effet du peu d’encouragement pour le « Grand Genre », tel qu’il existait au Grand Siècle. Les peintres, tenus par l’appât du gain, se tournent facilement vers le portrait dont la clientèle est nombreuse : chacun veut en effet posséder son effigie ou la donner à son entourage41. La Font de Saint-Yenne s’en prend alors aux portraitistes figurant des modèles peu intéressants pour la société pour gagner plus d’argent : l’artiste « sacrifiera à ses besoins son goût favori et ses talents naturels, pour ne pas voir sa fortune rampante malgré sa science et ses travaux, vis-à-vis de la rapide opulence de ses Confrères en Portraits42 ». Guidés par leur intérêt pour l’expression des passions, la disposition, la valeur édifiante d’un sujet, les critiques d’art valorisent la peinture d’histoire43. À l’inverse, le public des expositions s’arrête davantage devant les portraits ou les scènes galantes. Son absence d’intérêt pour des tableaux qui devraient pourtant lui inspirer des sentiments nobles et sublimes est dénoncée, tout comme sa curiosité envers les effigies de ses contemporains. Un auteur anonyme écrivant à propos de l’exposition de 1755 décrie par exemple des femmes dont l’intérêt principal est de reconnaître les personnes peintes44. En outre, il se moque d’une dame ajustant ses mouches et son maquillage devant un portrait au pastel de La Tour, soulignant sa vanité45. Selon La Font de Saint-Yenne, l’amour-propre, c’est-à-dire « une excellente opinion de nous-même et fort au-dessus de notre valeur », explique le goût pour le portrait46. Mais comme il ne suffit pas de nous admirer nous-même, il faut persuader les autres que notre image « mérite non seulement les regards et une attention particulière du public, mais encore celle de la postérité47 ». D’après lui, les bourgeois et les financiers sont des individus « indifférents au Public, à leur postérité, à leurs héritiers même » et n’ont pas leur place au Salon48. Les femmes sont elles aussi particulièrement visées par cette dénonciation de l’orgueil. En 1755, l’amateur Baillet de Saint-Julien souligne la tyrannie de celles désirant « se contempler dans un tableau » mais sans accepter leurs défauts49. En réalité, ce qui dérange ces auteurs, c’est la présence au Salon d’effigies d’individus plus vaniteux qu’exemplaires et la quasi-absence, au contraire, de ceux des grands hommes. Réalisés a priori pour les intérieurs de particuliers, des portraits privés se retrouvent à la vue de tous dans l’espace public qu’est le Salon. Les artistes doivent donc offrir l’image de personnages importants de par leur rang social ou leur rôle dans la société, et non des « êtres obscurs sans caractère, sans nom, sans place, et sans mérite50 ». La Font de Saint-Yenne instaure alors une sorte de droit au portrait, autorisant dans les expositions « ceux des bons Rois, des Reines vertueuses », des Ministres, « de ces héros de valeur et d’humanité, de ces généraux défenseurs de nos frontières et de nos fortunes au mépris de leur sang et de leur vie 51 ». Ces tableaux sont appréciables et nécessaires à la société car ils montrent des individus exemplaires :
Mais pour cette foule d’hommes obscurs, sans nom, sans talent, sans réputation, même sans physionomie ; tous ces êtres qui n’ont de mérite que celui d’exister, ou dont la vue de l’existence n’est due qu’aux erreurs de la fortune ; enfin tous ces personnages géants à leurs propres yeux et atomes à ceux du public par leur entière inutilité à l’État et aux citoyens, quel droit ont-ils d’y être placés ? Ce peuvent être des pères de famille, me direz-vous, dont les traits consoleront un jour leurs descendants de leur perte, d’accord, mais que leurs fils exposent chez eux en bordures superbes ces visages si indifférents aux curieux, sans embarrasser le salon et sans usurper la place des portraits qui nous intéressent, ou des tableaux qui nous amusent52.
De même, en 1781, Mercier s’insurge de voir tant de portraits « de ces financiers, de ces traitants, de ces premiers ou seconds commis, de ces dolentes marquises, de ces inconnues comtesses, de ces présidentes nulles53 ». Il se moque des « joues enluminées » de ces dames trop maquillées et de leur sourire feint54. Selon lui, « le salon a l’air d’une assemblée de fous, grotesquement habillés, qui se rient au nez, et se moquent les uns des autres55 ». Le mérite de figurer dans une exposition devrait n’être accordé « qu’aux personnes distinguées par leurs vertus, leurs talents ou par des services rendus à la patrie56 ». Mercier souligne à son tour l’importance des images montrées au Salon et leur rôle dans une forme d’éducation du public.
Cependant, les critiques du portrait apparaissant dans la littérature artistique du XVIIIe siècle sont à nuancer. Si quelqu’un comme La Font de Saint-Yenne dénonce ce type d’œuvres, ce n’est pas parce qu’il les considère sans intérêt, mais parce qu’il prône une peinture instructive. Il dénonce surtout ses contemporains et leurs intérêts frivoles, mais reconnaît l’utilité des portraits dans certains cas. Dans ses Réflexions et ses Sentiments, il n’en demeure pas moins élogieux envers les tableaux de Tocqué ou de Nattier57. Il rapporte entre autres « l’admiration de tous les spectateurs et des plus fins connaisseurs » devant le Portrait de Mme Dangé, exécuté par Tocqué, « étonnés des recherches singulières et de son attention à mettre une perfection de vérité dans toutes les parties qui le composent et dans le détail des meubles […]58 ». De même, rien n’est, selon ses mots, « plus aimable en portraits que celui de Madame, fille de M. le Dauphin », réalisé par Nattier : il s’agit « [d’]un chef-d’œuvre de l’art59 ». La critique de ce type de toiles chez La Font de Saint-Yenne semble avant tout sociale.
3. Entre portrait historié et « portrait bien peint » : légitimation et valorisation d’un genre pictural
L’utilité sociale du portrait est donc affirmée : il doit montrer l’image d’individus exemplaires en particulier pour transmettre « proprement l’histoire actuelle, celle du moment60 ». Le rôle des effigies des grands hommes témoigne de la mise en valeur de ce genre pictural et de l’intérêt que les contemporains ont pour lui. Mais, cela ne suffit pas pour contrer les critiques liées à l’aspect prétendument facile et mécanique. Certains peintres créent alors des grands portraits collectifs ou historiés afin de mettre en parallèle leur production avec la peinture d’histoire et de légitimer leur production61. Le portrait historié demeure cependant critiqué pour son caractère faux, immodeste et « enchanteur62 ». En effet, les femmes se faisant peindre sous les traits flatteurs de Vénus, d’Hébé ou encore de Diane, sont souvent ridiculisées, notamment sous la plume de Cochin, dans son Mercure du mois de juin de l’année 2355. Le narrateur fictif, M. Findfault, vivant au XXIVe siècle et confronté aux œuvres du siècle des Lumières, tourne en dérision ces toiles, qui, selon lui, font passer les Français pour « une nation de fous63 ». Ce type de tableaux ne semble donc pouvoir légitimer totalement le portrait malgré son rapport à la peinture d’histoire, même s’il s’en rapproche clairement. En 1704, François de Troy exécute par exemple une grande toile intitulée Le festin de Didon et Énée et figurant des membres de la cour de Sceaux de manière déguisée : la duchesse du Maine est peinte sous les traits de la reine carthaginoise, tandis que son époux apparaît en Énée64. De Troy établit une narration en illustrant un épisode de l’Énéide, et rapproche de fait cette œuvre du « Grand Genre65 ».
Les portraits collectifs permettent eux aussi le développement d’une action et de fait un parallèle avec l’histoire66. C’est ce que suggère l’auteur des Mémoires secrets lorsqu’il écrit, en 1785, que les portraitistes « semblent avoir tous voulu cette fois prendre un vol plus haut et se rapprocher autant qu’ils peuvent de l’histoire67». Le salonnier donne l’exemple d’Adélaïde Labille-Guiard et de son Autoportrait avec deux de ses élèves68. Il expose « l’action », en notant que l’artiste a véritablement respecté la règle d’unité et décrit le tableau comme un « portrait historié69 ». L’adjectif historié signifie alors la représentation des peintres avec leurs outils de travail, pinceaux et toiles, en train d’exécuter une œuvre et inscrivant le tableau dans l’Histoire70. Le lien avec la peinture d’histoire est dès lors évident. L’auteur évoque également à propos de cet autoportrait la variété des actions, « l’intelligence du clair-obscur » ou encore « l’accord de la grâce », indiquant que ces éléments peuvent s’appliquer autant au portrait qu’au « Grand Genre ».
La valorisation du portrait passe en outre par les textes et discours académiques. Afin de montrer qu’il n’est pas seulement la copie d’une personne, des amateurs prennent la plume pour exposer ses difficultés propres. Ainsi, en 1708, Roger de Piles – le premier en France qui consacre toute une partie de son Cours de peinture au portrait – affirme que pour être réussi, il doit rendre l’expression, la vivacité et l’individualité de chaque modèle : il ne s’agit donc pas d’une simple imitation, mais l’esprit doit transparaître71. L’une des difficultés est d’accorder ensemble toutes les parties du visage naturellement : une « bouche riante » ne peut aller avec « des yeux tristes72 ». Le peintre doit en outre maîtriser le coloris, partie capable de faire « connaître le véritable tempérament des personnes », et demeurant une chose « rare et difficile73 ». Il faut aussi savoir placer et accorder les teintes entre elles : une femme blonde ne doit être vêtue d’une robe jaune, mais plutôt porter des tenues vertes, bleues ou grises qui « par leur opposition » donnent « plus de chair » à celle-ci74. De Piles donne un ensemble de conseils sur la manière de traiter les mains, la coiffure ou encore l’attitude, avant de terminer sur ce qu’il nomme « la politique », c’est-à-dire le comportement que l’artiste doit avoir avec son modèle et le public, et qui demande « beaucoup d’art75 ». Il déconseille par exemple de montrer l’ébauche du tableau ou de demander l’avis d’ignorants. Peindre l’image d’un individu demande ainsi des qualités artistiques, tout autant qu’une certaine diplomatie dans son rapport à la clientèle et à son entourage.
Louis Tocqué, portraitiste et académicien, prononce en 1750 une conférence entièrement consacrée à sa spécialité – par ailleurs la seule à l’Académie76. Indiquant dans un premier temps avoir choisi le portrait « n’ayant pas fait d’études assez considérables pour espérer de pouvoir me distinguer dans l’histoire », Tocqué ajoute s’être trompé car « chaque talents a [ses difficultés] lorsque l’on veut l’exercer de manière à se faire un nom77 ». Très rapidement, il pose la question de la ressemblance du modèle et indique que cette partie, bien que « nécessaire », est loin d’être la seule. Tout d’abord, elle ne touche pas seulement le corps, mais l’esprit et le tempérament du modèle. Pour ce faire, des « recherches fines » sont indispensables et « caractérisent le vrai peintre de portrait78 ». Tocqué donne également une série de conseils très précis quant à la composition, à la touche, au traitement du coloris, de la lumière ou encore sur la manière dont le caractère d’un individu peut être exprimé en travaillant son poignet79. Son but est de montrer, à travers son expérience, qu’un portrait demande de profondes réflexions, études et applications, de même qu’un certain génie lorsque l’on veut faire une œuvre notable.
Par la suite, Diderot s’intéresse lui aussi à la question de la ressemblance d’un modèle en expliquant que si elle est plutôt facile à attraper, un « beau pinceau » demeure rare80. Or, les « gens du monde […] ne sont arrêtés que par les portraits dont ils ont les originaux présents », ce que ne fait pas « l’homme de lettres81 ». Une appréciation différente du portrait semble alors apparaître entre un public seulement intéressé par la ressemblance ou l’identité du modèle et les artistes et amateurs qui en admirent les qualités picturales, telles que le coloris ou la touche, montrant de fait que ces peintures sont dignes de passer à la postérité82. Diderot explique en effet :
Il s’est élevé ici une contestation singulière entre les artistes et les gens du monde. Ceux-ci ont prétendu que le mérite principal d’un portrait était de ressembler, les artistes, que c’était d’être bien dessiné et bien peint. […]. Le mérite de ressembler est passager ; c’est celui du pinceau qui émerveille dans le moment, et qui éternise l’ouvrage. C’est une chose bien douce pour nous, leur a-t-on répondu, que de retrouver sur la toile l’image vraie de nos pères. […] D’où je conclus avec vous qu’il faut qu’un portrait soit ressemblant pour moi, et bien peint pour la postérité. Ce qu’il y a de certain, c’est que rien n’est plus rare qu’un beau pinceau, plus commun qu’un barbouilleur qui fait ressembler, et quand l’homme n’est plus, nous supposons la ressemblance83.
La littérature artistique du XVIIIe siècle développe ainsi des critères d’appréciation du portrait. Plus que le simple plaisir de la ressemblance, les amateurs et les artistes affirment que l’intérêt de ces toiles peut se porter vers ses qualités picturales et esthétiques : un portrait bien peint a plus de valeur qu’un portrait copiant seulement le modèle. Il peut donc passer à la postérité – qui ne pourra de toute façon pas témoigner de la similitude avec l’individu, comme le rappelle Cochin – et légitimer ce genre pictural84. Finalement, seul le peintre « médiocre » se borne à copier l’apparence physique, alors que l’artiste savant crée un chef-d’œuvre85.
Pour valoriser et légitimer le portrait, les artistes et amateurs montrent que celui-ci peut contenir des éléments picturaux travaillés et donc appréciables – action, clair-obscur, coloris, touche, etc. –, pouvant le rapprocher de la peinture d’histoire. Ils insistent également sur les difficultés inhérentes au portrait, prouvant qu’un certain talent est nécessaire. Ainsi, la hiérarchie des genres ou du moins la prééminence de la peinture d’histoire demeurent perceptibles durant le siècle des Lumières. Le « Grand Genre » continue d’être la référence et peut même être utilisé comme faire-valoir lorsque l’on veut louer un portrait. Néanmoins, des auteurs et artistes mettent en place un certain nombre de critères esthétiques et picturaux permettant d’apprécier un portrait à sa juste valeur, au-delà de la transcription d’une simple ressemblance physique, tant appréciée du public. Auparavant surtout valorisé parce qu’il immortalise des individus allant parfois jusqu’à les ériger en exemples, le portrait se voit alors peu à peu légitimé d’un point de vue pictural et esthétique grâce aux amateurs, notamment pour répondre à une critique sociale manifeste.
(CRISES, Université Paul Valéry)
Notes et références
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1 L’expression « genres picturaux mineurs » se retrouve dès l’Antiquité, chez Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXXV. La peinture, Paris, Les Belles Lettres, 1997, XXXVII, p. 99).
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2 Leon Battista Alberti, La peinture [1436], Paris, Seuil, 2004, p. 195. Concernant la hiérarchie des genres dans la théorie artistique italienne, voir Édouard Pommier, Théories du portrait : de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998, p. 169 et suivantes.
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3 Sur l’histoire de l’Académie, voir Christian Michel, L’Académie royale de peinture et de sculpture, 1648-1793 : la naissance de l’École française, Genève, Droz, 2012. Sur l’influence de la théorie italienne des arts en France, voir Édouard Pommier, op. cit., en particulier p. 209-221.
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4 André Félibien, « Préface », Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, pendant l’année 1667, Paris, Léonard, 1668, non paginé. Nous n’étudions pas en détail ce texte, déjà analysé dans un certain nombre d’articles. Voir notamment Alain Mérot, « Hiérarchie des genres picturaux et expression au XVIIe siècle », dans De la rhétorique des passions à l’expression du sentiment, Paris, Musée de la Musique, 2003, p. 20-25 ; René Démoris, « La hiérarchie des genres en peinture de Félibien aux Lumières », dans Majeur ou mineur ? Les Hiérarchies en art, Nîmes, Chambon, 2000, p. 53-66 ; Thomas Kirchner, « La nécessité d’une hiérarchie des genres », Revue d’esthétique, vol. 31-32, 1997, p. 187-196. Selon T. Kirchner, Félibien s’appuie aussi sur l’ordre de la création dans la Genèse pour développer son système hiérarchique.
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5 Après le portrait, on retrouve le paysage, la peinture animalière et la nature morte (André Félibien, op. cit.). Sur l’absence de la peinture de genre dans ce texte, voir Alain Mérot, op. cit., p. 24.
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6 André Félibien, op. cit.
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7 À propos de l’Ut pictura poesis, voir Rensselaer Wright Lee, Ut pictura poesis : humanisme et théorie de la peinture, Paris, Macula, 1991.
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8 Voir à ce propos Édouard Pommier, op. cit., p. 41, 120-126 et 132.
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9 L’idée se retrouve chez Alberti (op. cit., p. 97-99), mais aussi dans certains romans comme La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, publié en 1678, où M. de Nemours dérobe le portrait de sa bien-aimée pour conserver son image auprès de lui (t. II, Paris, Larousse, 1995, p. 118-120).
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10 Alain Mérot, op. cit., p. 20.
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11 L’article XIII des statuts de 1663-1664 précise en effet que seuls les peintres d’histoire et les sculpteurs peuvent enseigner. Cet apprentissage – qui se fait notamment par le biais de conférences et de cours de dessin – est de fait, surtout destiné aux futurs peintres d’histoire. On peut en outre noter le peu de conférences sur les autres genres picturaux. Christian Michel, op. cit., p. 49, 262 et 370.
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12 Lors de sa réception en 1700, Rigaud promet un tableau d’histoire qu’il ne remettra qu’en 1742, après avoir été nommé directeur (Christian Michel, op. cit., p. 196). Sur Largillierre, voir notamment Nicolas de Largillierre, 1656-1746, Paris, Phileas Fogg, 2003.
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13 Le Vrac Tournières, Dibutades ou l’invention du dessin, 1714-1716, huile sur toile, 49,5 x 34, 5 cm, Paris, École nationale des Beaux-Arts. Contrairement à Rigaud, Tournières a peint un certain nombre de tableaux d’histoire. Sur cet artiste, voir Robert Le Vrac Tournières, cat. exp., Gand, Snoeck, 2014.
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14 Pline l’Ancien, op. cit., V, p. 15-16. Sur les origines de l’art, voir Édouard, Pommier, op. cit., p. 18.
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15 Dezallier d’Argenville rapporte par ailleurs une raillerie de Jean Jouvenet qui aurait dit le jour de la réception de Tournières : « Il n’est guère difficile d’être admis peintre d’histoire puisqu’en voilà un de reçu pour un bout de chandelle » (Abrégé de la vie des plus fameux peintres, t. IV, Paris, De Bure l’aîné, 1762, p. 362). Néanmoins, d’après les procès-verbaux de l’Académie, Jouvenet était absent ce jour-là. Voir Robert Le Vrac Tournières, op. cit., p. 54-55.
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16 Pour être reçu, l’artiste se présente dans un premier temps devant l’assemblée académique avec des œuvres de sa main. Cette dernière peut lui demander de fournir d’autres toiles dont elle choisit le sujet : il s’agit des morceaux de réception – l’artiste est alors agréé, ce qui l’autorise à présenter des peintures aux expositions de l’Académie. Lorsqu’il apporte les toiles qui lui ont été demandées, il devient académicien si l’assemblée l’accepte. Sur la réception des portraitistes, voir Hannah Williams, Académie Royale: A History in Portraits, Farnham, Ashgate Publishing Limited, 2015, p. 77-117.
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17 Christian Michel, op. cit., p. 79-89. La réception de Watteau à l’Académie est par ailleurs caractéristique de cette ouverture puisque l’assemblée lui laisse choisir le sujet de son morceau de réception. En 1717, il soumet ainsi le Pèlerinage à l’île de Cythère (huile sur toile, 129 × 294 cm, Paris, Musée du Louvre). L’Académie le reçoit dans ses rangs comme peintre de « fêtes galantes ».
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18 Sur les rangs hiérarchiques de l’Académie, voir Hannah Williams, op. cit., p. 82.
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19 Christian Michel, op. cit., p. 115-116.
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20 En 1747, le nouveau Directeur des Bâtiments du Roi, Lenormant de Tournehem, lance un concours afin de « sélectionner les meilleurs peintres d’histoire ». Les académiciens se seraient toutefois sentis humiliés « d’être ainsi soumis » à une telle épreuve. Au début des années 1750, Lenormant de Tournehem, augmente en outre les prix des peintures d’histoire et diminue ceux des portraits. Selon C. Michel, cette augmentation n’a toutefois pas pour but d’améliorer le statut des peintres d’histoire (Christian Michel, op. cit., p. 106-107 et 115-116).
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21 Ses encouragements semblent avoir portés leurs fruits puisqu’entre 1777 et 1789, le nombre de peintres d’histoire agréés et reçus à l’Académie n’est pas négligeable. Sur la commande de 1777, voir Thomas Crow, op. cit., p. 209-211.
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22 La citation provient d’un mémoire adressé à Louis XVI le 12 mars 1785 à propos de la fondation d’un Club des arts prévoyant de donner des aides financières aux peintres de genres « mineurs » (Archives Nationales, O1 1918, pièce 18 ; reproduit dans Udolpho Van de Sandt, La Société des amis des arts, Paris, ENSBA, 2006, p. 106-107). Le mot en italique est souligné dans le manuscrit.
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23 Udolpho Van de Sandt, « “Grandissimma opera del pittore sara l’istoria”. Notes sur la hiérarchie des genres sous la Révolution », Revue de l’art, vol. 83, 1989, p. 71. Sur le comte d’Angiviller, voir Christian Michel, op. cit., p. 123-132.
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24 Mark Lebdury, « The Hierarchy of Genre in the Theory and Practice of Painting in 18th Century France », dans Théories et débats esthétiques au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2001, p. 187-191.
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25 René Démoris, op. cit., p. 57. Cet auteur étudie plus en détail les positions de l’abbé Du Bos, La Font de Saint-Yenne et Diderot.
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26 Roger de Piles, Cours de peinture par principes [1709], Nîmes, Chambon, 1990, p. 19. Voir la préface de Thomas Puttfarken au Cours de peinture, p. 11. Ce dernier indique que pour de Piles, l’intérêt d’une peinture réside dans « sa capacité à créer une illusion convaincante » et non pas dans le fait qu’elle soit émouvante ou instructive.
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27 Jean-Baptiste Massé, « Examen qu’il faut faire pour connaître ses dispositions », dans Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, vol. V, t. II, Paris, ENSBA, 2012, p. 468-469. On retrouve cette idée dans une conférence prononcée par Roger de Piles en 1706 (« De l’ordre qu’il faut tenir dans l’étude », Conférences de l’Académie royale […], t. III, p. 172), chez l’abbé Du Bos en 1719 (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, ENSBA, 1993, p. 26), tout comme en 1752-1754, chez Dezallier d’Argenville (op. cit., vol. I, p. ix)
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28 Les Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de Messieurs de l’Académie royale, publiées dans Les Mémoires secrets, chroniques de la vie culturelle parisienne du XVIIIe siècle, ont souvent été attribuées à l’amateur d’art Bachaumont. Néanmoins, plusieurs raisons tendent à prouvent qu’il s’agit d’une autre personne (Bachaumont meurt en 1771, tandis que les Mémoires sont publiés jusqu’en 1789). Voir Bernadette Fort, « Introduction », dans Les Salons des « Mémoires secrets », Paris, ENSBA, 1999, p. 9-23.
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29 Vigée-Lebrun, Marie-Antoinette et ses enfants, 1787, huile sur toile, 275,2 x 216,5 cm, Versailles, Musée National des Châteaux de Versailles et Trianon. La citation provient de la lettre sur le Salon de 1787, publiée dans Louis Petit de Bachaumont, Les Salons des « Mémoires secrets », op. cit., p. 323.
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30 Anonyme, Lettre à Monsieur de Poiresson-Chamarande, […]. Au Sujet des Tableaux exposés au Salon du Louvre. Paris le 5 septembre 1741, s.l., s.n., 1741.
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31 L’exposition de 1704 semble être celle où la part du portrait est la plus élevée : ils recouvrent en effet 44,55% des œuvres exposées (sculptures, miniatures et gravures exclues), soit près de la moitié, tandis que les peintures d’histoire seulement 39,25%. En 1746, les portraits représentent environ 32,4% des tableaux exposées, tandis que la peinture d’histoire s’élève à près de 44%. De même, en 1761, les peintures d’histoire sont plus nombreuses : environ 36% contre 17% pour les portraits. La situation est différente dans les expositions de l’Académie de Saint-Luc où le portrait prédomine largement. Voir Àngela Julibert Jiménez, «Les Salons de l’Académie de Saint-Luc (1751-1774)», La valeur de l’art : exposition, marché, critique et public au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2009, p. 193 ; Dominique Brême, « Quelques chiffres pour comprendre une exposition », >1704, le Salon les Arts et le Roi, cat. exp., Milan, Silvana Editoriale, 2014, p. 59-60.
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32 Louis Petit de Bachaumont, op. cit., p. 56-57.
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33 Louis Petit de Bachaumont, op. cit., p. 73-75. Roslin, Gustave de Suède dans son cabinet d’étude avec ses frères, 1771, huile sur toile, 162 x 203 cm, Stockholm, Nationalmuseum.
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34 Denis Diderot, « Essais sur la peinture », dans Œuvres, t. IV, Paris, Laffont, 1996, p. 506. Voir aussi l’article « Genre » de l’Encyclopédie […], rédigé par Watelet (t. 7, 1751-1765, p. 597-598). Sur Diderot, voir Le Goût de Diderot, cat. exp., Paris, Hazan, 2013 et Michael Fried, La place du spectateur, Paris, Gallimard, 1990, en particulier p. 67-112.
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35 Alain Mérot, op. cit., p. 20.
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36 Durant la Révolution française, le débat sur la hiérarchie des genres demeure vif. Bien que certains, tel André Chénier, expliquent que cette hiérarchie « est ce qu’il y a au monde de plus futile et de plus étranger à l’esprit et à la perfection de l’art », d’autres affirment encore que la peinture d’histoire « est l’ART proprement dit ». Voir Udolpho Van de Sandt, op. cit. ; sur la hiérarchie au XIXe siècle, voir Paul Duro, « Giving up on History? Challenges to the Hierarchy of the Genres in Early 19th France », Art History, vol. 28, n°5, novembre 2005, p. 689-711.
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37 La période révolutionnaire n’est pas analysée en détail ici. Se référer à Jon Whiteley, « Art, hiérarchie et Révolution française », dans Majeur ou mineur ? Les Hiérarchies en art, Nîmes, Chambon, 2000, p. 67-77.
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38 Les expositions de l’Académie royale de peinture et de sculpture, ou « Salons », nom provenant du lieu où elles se déroulent à partir de 1737, deviennent régulières cette même année. Elles rassemblent un public important et constituent un véritable événement social. Pour plus de détails, voir Thomas Crow, op. cit. ; Martin Schieder, « “Les portraits sont devenus un spectacle nécessaire à chaque Français”. Le discours esthétique sur le portrait au milieu du XVIIIe siècle », dans Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Paris, Somogy, 2013, p. 43 et suivantes.
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39 Martin Schieder, op. cit., p. 43.
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40 Sur ce critique, voir René Démoris, « Les enjeux de la critique d’art en sa naissance : les Réflexions de La Font de Saint-Yenne (1747) », dans Écrire la peinture : entre XVIIIe et XIXe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003, p. 23-38 ; Dorit Kluge, « La Font de Saint-Yenne (1688-1771), un penseur des Lumières », dans Penser l’art dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, Paris, Somogy, 2013, p. 205-219.
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41 Il faut ici mentionner rapidement une pratique sociale très répandue alors : l’échange de portraits entre amis, membres d’une même famille ou amants. Nombreux sont ceux qui désirent conserver auprès d’eux l’image d’un être cher, grâce à une miniature ou un portrait de dimensions plus grandes.
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42 Étienne de La Font de Saint-Yenne, « Réflexions sur quelques causes de l’Etat présent de la peinture en France, avec un Examen des principaux Ouvrages exposés au Louvre », dans Œuvre critique, éd. établie par Étienne Jollet, Paris, ENSBA, 2001, p. 51-52.
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43 Christian Michel, op. cit., p. 317-320.
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44 Anonyme, Lettre sur le Salon de 1755, adressée à ceux qui la liront, s.l., s.n., 1755, p. 7.
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45 Idem.
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46 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 77. La même idée est développée chez Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris [1781], Paris, Mercure de France, 1994, t. 6, p. 1264.
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47 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 77.
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48 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 52. Cette idée se retrouve dans plusieurs textes théoriques ou littéraires publiés précédemment, comme dans le Trattato dell’ arte de Lomazzo (1584), pour qui la dignité du portrait diminue à cause des modèles ignorants. De même, en 1659, Sorel, dans sa Description de l’île de portraiture, imagine une île dont toute l’activité dépend du portrait et insiste sur la vanité des modèles, ces derniers pensant mériter qu’on conserve leur image (éd. critique par Michel Jeanneret et Martine Debaisieux, Genève, Droz, 2006). Sur ces textes, voir Édouard Pommier, op. cit., p. 132-133 et 257-261.
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49 Guillaume Baillet de Saint-Julien, Caractères des peintres françois, actuellement vivans, Paris, s.n., 1755, p. 10.
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50 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 52.
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51 Ibidem, p.77.
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52 Étienne de La Font de Saint-Yenne, « Sentiments sur quelques ouvrages de peinture, sculpture et gravure […] », Œuvre critique, op. cit., p. 311-319. En 1769, l’auteur des Mémoires secrets dénonce aussi la « vanité de tous ces petits personnages » (op. cit., p. 56-57).
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53 Louis-Sébastien Mercier, op. cit., p. 1233.
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54 Idem.
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55 Id.
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56 Id.
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57 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., notamment p. 77-82 et p. 321-325.
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58 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 222. Tocqué, Madame Dangé faisant des nœuds, 1753, huile sur toile, 83 x 63 cm, Paris, Musée du Louvre.
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59 Étienne de La Font de Saint-Yenne, op. cit., p. 232. Nattier, Marie-Zéphirine de France, v. 1751, huile sur toile, 70 × 82 cm, Florence, Galerie des Offices.
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60 Anonyme, Affiches, annonces et avis divers, Paris, s.n., mercredi 25 octobre 1768, p. 171.
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61 Un portrait historié est une œuvre figurant un modèle déguisé en personnage historique, mythologique ou encore biblique. Voir Imola Kiss, « Considérations sur le portrait historié », dans Les genres picturaux. Genèse, métamorphoses et transpositions, Genève, MétisPresses, 2010, p. 103-123. L’auteur explique en outre les différents sens accordés selon les époques à l’adjectif « historié ». Voir aussi Marlen Schneider, “Belle comme Vénus”. Das portrait historié zwischen Grand Siècle und Zeitalter der Aufklärung, thèse de doctorat, Universität Leipzig, Université Lumière Lyon 2, 2014.
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62 Étienne de La Font-de Saint-Yenne, op. cit., p. 52.
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63 Charles-Nicolas Cochin, « Mercure du mois de juin de l’année 2355 », Œuvres diverses de M. Cochin, op. cit., 1771, t. I, p. 144-166. Ce texte est originellement publié en 1755, dans le Mercure de France.
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64 François de Troy, Le festin de Didon et Énée, 1704, huile sur toile, 160,2 x 202,5 cm, Sceaux, Musée de l’Île-de-France. Sur cette œuvre, voir 1704, le Salon les Arts et le Roi, op. cit., p. 170-175.
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65 Il s’agit du moment où Ascagne, fils d’Énée, est présenté à Didon. Virgile, Énéide, livre I, Paris, Gallimard, 1991, p. 71-74, vers 657-748.
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66 Sur la réception des portraits collectifs, voir Marie Trope-Podell, « “Portraits historiés” et portraits collectifs dans la critique française du XVIIIe siècle », Revue de l’art, n°109, 1995, p. 40-45.
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67 Louis Petit de Bachaumont, op. cit., p. 297.
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68 Labille-Guiard, Autoportrait avec Marie-Gabrielle Capet et Marie-Marguerite Carreaux de Rosemond, 1785, huile sur toile, 210,8 x 151,1 cm, New-York, Metropolitan Museum of Art.
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69 Idem.
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70 Imola Kiss, op. cit., p. 105.
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71 Sur de Piles, voir Thomas Puttfarken, Roger de Piles’ Theory of Art, New Haven, Londres, Yale University Press, 1985.
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72 Roger de Piles, op. cit., p. 127.
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73 Ibidem, p.129.
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74 Ibid., p.131.
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75 Ibid., p. 139-141.
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76 Selon M. Schieder, cette conférence correspond à la position officielle de l’Académie en matière de portraits notamment car elle a été relue par Cochin au moins une seconde fois, le 9 avril 1763 (Martin Schieder, op. cit., p. 49).
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77 Louis Tocqué, « Sur la peinture et le genre du portrait », dans Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture […], t. V, vol. 2, 2012, p. 449-450.
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78 Louis Tocqué, op. cit., p. 462-463.
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79 Tocqué donne l’exemple de Rigaud et de ses portraits de Pierre Mignard (1691, huile sur toile, 148,5 x 115,5 cm, Versailles, Musée National des Châteaux de Versailles et Trianon) et de Martin Desjardins (1692, huile sur toile, 141 x 106 cm, Paris, Musée du Louvre).
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80 Denis Diderot, « Salon de 1763 », dans Œuvres, op. cit., t. IV, p. 245-246.
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81 Denis Diderot, op. cit., p. 245.
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82 La séparation nette entre un public seulement intéressé par la ressemblance et l’apparence physique du modèle, et les connaisseurs, capables d’une vision moins superficielle, mais surtout de déceler les beautés d’un portrait est particulièrement développée par Cochin dans un texte intitulé « De la diversité des jugemens sur la ressemblance des portraits » et originellement publié dans le Mercure de France de 1759 (Charles-Nicolas Cochin, op. cit., t. II, p. 71-87.
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83 Denis Diderot, op. cit., p. 245-246.
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84 Charles-Nicolas Cochin, op. cit., t. II, p. 71-72.
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85 Cette idée se retrouve déjà dans le 7e Entretien de Félibien (Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes. Quatrième partie, Paris, S. Marbre-Cramoisy, 1666-1688, p. 143-145). L’adjectif « médiocre » est souvent utilisé dans ce contexte : il se retrouve dans deux définitions du portrait, l’une par François-Marie Marsy (Dictionnaire abrégé de peinture […], t. II, Paris, Nyon fils, 1746, p. 123-124), et l’autre par Pernety (Dictionnaire portatif de peinture, Paris, Onfroy, 1757, p. 475-476).
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