Plan de l'article :
1. Cinéma national ?
- a. « Cinéma », « nation » et « cinéma national » dans le contexte : à l’origine du besoin de distinction
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b. Le cas des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE)
2. La cinéphilie et la production cinématographique « à la française »
- a. Influence de la France sur la manière de faire et de diffuser les films – la rémanence de la langue française comme révélatrice d’une réelle problématique
- b. Influence de la France sur la manière de voir les films – la cinéphilie à la française et le travail des Instituts Français
- c. Le rôle de la cinéphilie et de son caractère « écrit » dans la constitution de l’histoire d’un cinéma – le travail d’Ahmed Bouanani
3. Third cinema, réalisme social et panafricanisme – comment « décoloniser les écrans », dans la veine d’une herstory
- a. Third cinema : « une alternative à une théorie eurocentrique »
- b. La FEPACI pour un cinéma panafricain – la francophonie comme piste de résolution
Quelles caractéristiques incarnent un style proprement national qui l’en démarqueraient des autres ? Et « dans quelle mesure le facteur ethnique est-il déterminant pour définir l’identité [d’un film]1 ? » Aborder la question d’un cinéma national semble d’ordinaire compliqué mais s’avère être autrement plus complexe dans le cas des cinématographies des pays anciennement colonisés : le septième art s’y est d’abord imposé comme une invention occidentale, exploitée sur le territoire par les colons, pour les colons, éloignant de ce cinéma tout caractère purement national. Les populations locales sont alors « quasi [absentes] partout. Que ce soit au sein du public de cinéma, ou au sein de la profession elle-même2. »
Sur ces territoires, tant le cinéma que le concept de nation incarnent des réalités difficiles à appréhender, l’acception de ces deux notions ayant été diffusée selon des normes occidentales à l’issue de la colonisation. Roy Armes a notamment étudié l’imbrication de la culture et de l’identification nationale3, ainsi que la constitution de cette dernière dans un contexte postcolonial4. Selon lui, le nationalisme adopté par les élites au lendemain des indépendances négligeait tout une série de composantes, telles que les déterminations sociales et leurs articulations, ou encore les formes traditionnelles d’organisation de la société. Cette négligence s’est faite au profit d’une conception occidentale de la nation avec, pour caractère central, celui de l’individualisme. Au-delà de l’organisation politique et sociale de la nation, Roy Armes pointe la problématique de la langue dans la constitution d’une identification nationale post-coloniale : comment « exprimer l’identité distincte de la nouvelle nation dans la langue héritée des colons5 » ? Certes, comme nous aurons l’occasion d’y revenir, l’utilisation d’une langue héritée des colons permet aujourd’hui de maintenir une forme d’unité entre les nations anciennement colonisées, mais ceci aux détriments des populations moins privilégiées, souvent uniquement locutrices du dialecte local.
Ainsi posées les premières problématiques inhérentes à l’appréhension des notions de cinéma et de nation dans un contexte postcolonial, intéressons-nous en premier lieu aux éléments constitutifs d’une cinématographie nationale. La tradition cinéphilique française sera ensuite questionnée dans son incidence sur la manière de faire et de voir les films au Maroc, pour enfin s’intéresser aux suggestions amenées par les théoriciens du Third Cinema et de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) pour un nouveau cinéma africain. L’objectif est ici de comprendre l’imbrication d’une cinématographie nationale et des cinéphilies locales dans leur co-construction et leurs influences mutuelles sur ledit territoire.
1. Cinéma national ?
a. « Cinéma », « nation » et « cinéma national » dans le contexte post-colonial : à l’origine du besoin de distinction
Dans un article consacré au cinéma des nations, Christophe Gauthier s’interroge sur la genèse des écoles nationales nées entre les années 1910 et 1930 en Europe et aux États-Unis. Il y questionne les éléments à l’origine du besoin de création d’un cinéma national, les pistes de définition du particularisme de ces cinémas, ainsi que les apports d’une telle distinction territoriale, ouvrant son article à une réflexion plus générale sur les « styles nationaux ». L’affirmation d’un style national « doit participer d’une formule entièrement neuve qui associe réussite artistique et identité nationale6 », permettant aux nations, par l’intermédiaire du septième art, d’affirmer leur singularité aux yeux du monde, et révélant les préoccupations politiques et esthétiques d’un tel besoin de distinction. Inversement, la nationalisation d’une cinématographie en appelle à des préoccupations plus économiques, dans l’intérêt propre des producteurs : si le film porte une marque de sa culture, il pourra potentiellement séduire les pouvoirs publics, et prétendre à des financements de leur part.
Les sources de financement, la nationalité du.de la réalisateur.rice, les sujets traités comme ayant un trait particulièrement national et les publics auxquels le film est dédié font partie des pistes de définition d’un cinéma national. Au Maroc, aux débuts de l’Indépendance, en 1956, le gouvernement a vite pris conscience de l’importance de la culture dans la construction et la consolidation d’une identification marocaine. Néanmoins, « la culture [y] reste le parent pauvre des stratégies de développement7 », le terme même de « culture » ne faisant son apparition dans les « intitulés des ministères » qu’à partir de 19688. Le gouvernement adopte alors une double attitude : d’une part, la patrimonialisation des monuments pour la valorisation d’une identification arabo-musulmane (au détriment des autres identifications présentes sur le territoire) et d’autre part le déni de certaines formes d’expression artistique ainsi que du patrimoine immatériel, folklorisé au profit du développement touristique. « En […] limitant [sa politique culturelle] au domaine des Beaux-arts, l’État entendait affirmer sa volonté de circonscrire la sphère de l’identité du Marocain à l’arabité et aux valeurs arabo-musulmanes9 ». Comme le suggère Ahmed Massaia, la culture sert à revendiquer un certain type d’identification ; la manière dont l’État considère l’art est donc liée à la volonté de valoriser tel ou tel caractère de l’identification nationale.
Certes, en ce qui concerne le cinéma contemporain, au vu de « l’internationalisation de l’industrie et de la multiplicité des participants à la conception d’un film10 », la question d’un « cinéma national » semble particulièrement dérisoire. Mais, comme nous l’avons vu précédemment, l’investissement de l’État dans une véritable politique culturelle lui permet de s’inscrire dans la modernité et, dans le cas du Maroc, à revendiquer non seulement une identification en rupture – ou en continuité, c’est selon – avec les valeurs anciennement prônées par les colons, mais également avec la vision de la nation voulue par les élites au lendemain de l’Indépendance. L’investissement dans un cinéma national permet donc la promotion d’une identification spécifiquement locale, au contraire du modèle de cinéma « universel ». Christophe Gauthier illustre ce dernier par le cinéma américain, plus rentable économiquement car capable de s’exporter partout mais, selon l’auteur, dénué de tout caractère purement spécifique.
Ainsi le cinéma national doit, pour s’inscrire pleinement dans la modernité, s’inscrire à la fois dans le local et le global, à la manière d’un “think global, act local” : exporter des valeurs et une identification propre sur les écrans étrangers, mais sans prendre le risque de perdre tout particularisme et de faire des « “films universels” qui plaisent à tous parce que […] ils “ne parlent de nulle part”11. » Ceci introduit la question des destinataires de ce cinéma national. À ce jour, aucune étude du Centre Cinématographique Marocain (CCM) ne recense les publics marocains, publics qui manifestent un intérêt certain pour les films nationaux, comme en attestent les chiffres du CCM12.
Au Maroc, l’organisme en charge de l’attribution des aides publiques à la production, le CCM ne s’engage dans l’aide à la production filmique qu’à partir de 1977, soit plus de trente ans après sa création et vingt ans après Le Fils maudit (Mohamed Osfour, 1958), premier long métrage marocain. Pour le CCM, la nationalité du.de la réalisateur.rice suffisait initialement à octroyer des aides nationales, sans autre distinction, ouvrant la porte à toute une série de « chasseurs de primes13 » avides de bénéficier des aides plutôt que de participer à la construction d’un cinéma national. Après avoir connu une série de modifications, notamment la transformation de ce « fonds de soutien » en « fonds d’aide » en 1987, le CCM introduit en 2003 le principe de l’avance sur recettes, hérité du modèle français14. Le Centre continue d’exiger des sociétés de productions et des réalisateur.rice.s d’être de nationalité marocaine, mais précise ses exigences, ordonnant la détention par le.la réalisateur.rice d’une « carte professionnelle15 », attestant donc d’une certaine expérience de ce.tte dernier.ère. Toutefois, et malgré toutes ces avancées en termes de financement sur le sol marocain afin de préciser la nationalisation de l’industrie, « s’il convient en effet – pour sa réussite commerciale et son rayonnement moral – que le film soit pourvu d’une “âme nationale” […] les circonstances économiques de sa production n’y suffisent pas16. »
Outre les sources de financement et l’exposition de valeurs considérées comme typiquement marocaines, la nationalité du.de la réalisateur.ice était établie en début de partie comme pouvant participer à la définition d’une cinématographie nationale. Or, dans un contexte à la fois postcolonial et de mondialisation, la nationalité du.de la réalisateur.rice ne semble pas non plus suffire à la définition d’une caractéristique nationale. L’histoire du Maroc, c’est aussi celle de ses citoyens à l’étranger. Nous nous consacrerons donc à la question des Marocains Résidant à l’Étranger et de leur cinéma dans la partie suivante.
b. Le cas des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE)
Dans l’introduction de leur ouvrage consacré à l’immigration maghrébine dans le cinéma français, Sylvie Durmelat et Vinay Swamy pointent la « porosité » du cinéma aujourd’hui, qui plus est dans le cas des vagues migratoires. Dans un cadre de définition d’un cinéma marocain, peut-on négliger les réalisateur.rice.s parti.e.s vivre à l’étranger, pour raisons économiques ou autres, ces réalisateur.rice.s migrant.e.s ou issu.e.s de l’immigration, de deuxième ou troisième génération, eux.elles-mêmes marqué.e.s par des problématiques maghrébines par la transmission de leurs parents ? La migration est-elle négligeable quand ces réalisateur.rice.s rêvent du retour au pays ? Le lien peut-il à un moment se briser pour ces réalisateur.rice.s aux inscriptions multiples ? Le départ du pays les exclut-il d’un cinéma national ?
Dans le cas de ces réalisateur.rice.s Marocain.e.s Résidant à l’Étranger, la question des origines se pose : « dans quelle mesure le facteur ethnique est-il déterminant pour définir l’identité de ces films17 ? » Ces réalisateur.rice.s aux inscriptions multiples doivent-il.elle.s se déchirer entre leurs différentes inscriptions, ou plutôt les embrasser ? Alec G. Hargreaves démontre qu’au contraire, si l’on se fie exclusivement au marqueur ethnique pour la constitution d’un corpus englobant ce qui peut être considéré comme un « cinéma beur » ou « de banlieue18 », « à la fois d’un point de vue diégétique […] et d’un point de vue intertextuel [le corpus en question] s’étend bien au-delà de tels marqueurs ethniques19. » Il propose donc une approche qu’il qualifie de « multipolaire » pour étudier le travail de ces réalisateur.rice.s, sans les exclure ni du cinéma français, ni du cinéma maghrébin, pour des « perspectives à la fois fondées sur le local, inscrites dans un contexte national et tournées vers le monde20 ». Leurs préoccupations sont en cela différentes de celles des réalisateur.rice.s marocain.e.s, plus préoccupé.e.s par la refondation d’une identification marocaine contemporaine. En effet, ces citoyen.ne.s issu.e.s de l’immigration maghrébine
partagent des trajectoires sociales et culturelles avec des migrants d’autres origines […] ainsi qu’avec des citoyens français issus des classes populaires. Dans la mesure où ils connaissent une ségrégation urbaine et des discriminations religieuses et culturelles semblables, les descendants de Maghrébins et de migrants d’autres origines font face à des difficultés similaires pour faire entendre leurs voix21.
À l’origine de ce cinéma, un espace se démarque, celui de la banlieue, des périphéries urbaines. L’espace sert alors de métaphore à « la relation globalement inégale entre la société française et ses marginaux22 », à la tension entre centre et périphérie. Ainsi, l’espace introduit la question de l’intégration, fil rouge de l’ouvrage dirigé par Sylvie Durmelat et Vinay Swamy au sujet de l’immigration maghrébine dans le cinéma français23. Cette intégration n’est pas pensée semblablement par les différentes générations d’immigrant.e.s : le « mythe du retour », motif redondant dans le « cinéma beur » sera analysé par Will Higbee comme traité différemment selon le rapport au Maghreb entretenu par les réalisateur.rice.s24. Tout comme l’espace dans leurs films, ces réalisateur.rice.s se situent donc dans une tension constante entre ici et là-bas, entre le pays hôte, qui deviendra peu à peu le leur, et leurs origines. Notons cependant la nature « glocale25 » du « cinéma beur »: les périphéries urbaines, par leur mixité sociale et raciale, s’ouvrent à une perspective mondiale bien plus complexe que binationale.
Si la prise en compte de tou.te.s les réalisateur.rice.s MRE comme contribuant au cinéma national marocain afin d’en faciliter l’acception est donc tentante dans un premier temps, d’autre part, l’appartenance multiple de ces réalisateur.rice.s les éloigne quelque peu de considérations purement locales et propres à la culture marocaine. De plus, la distinction entre les différents statuts des MRE rend la qualification d’une cinématographie nationale particulièrement floue et mène par là à une forme de stigmatisation des individus26. Dans cette optique, l’appréhension de leur cinéma se fait donc loin de toute attitude de réception primaire, poussant les spectateur.rice.s à sonder le passé du.de la réalisateur.rice et à juger de la capacité de ce.tte même réalisateur.ice à aborder les thématiques de son pays d’origine. Or, sous quel prétexte les publics seraient-ils plus qualifiés que le.la réalisateur.rice pour juger de la sincérité du vécu de ce.tte dernier.ère ? Sans doute faut-il faire preuve de curiosité, de tolérance et de respect vis-à-vis de l’expression d’un vécu, objectif pour celui.elle qui l’exprime, mais tout à la fois subjectif aux yeux des publics.
En conséquence, une cinématographie nationale serait tour à tour et tout à la fois unique et multiple, tenant compte d’un vécu, de traditions, d’une nationalité, des origines, des destinataires de ce cinéma, d’un passé commun et/ou des financements publics.
2. La cinéphilie et la production cinématographique « à la française »
a. Influence de la France sur la manière de faire et de diffuser les films – la rémanence de la langue française comme révélatrice d’une réelle problématique
En 1944 est créé au Maroc l’équivalent du CNC français, à savoir le CCM. À cette époque, il n’y a pas encore eu de film réellement marocain dans la réalisation et les sujets traités. Et pourtant, nombre de films aujourd’hui reconnus, tels que Le Grand Jeu de Jacques Feyder, y ont été tournés. En 1934 est édité le décret Laval, dont le but était, selon Manthia Diawara, de « contrôler le contenu des films tournés en Afrique et de minimiser le rôle joué par les Africains dans la réalisation des films27 ». Le constat est là : l’exotisme a sa place, par les tournages dans les colonies, mais l’Afrique est évincée hors de l’Afrique, le but du CCM et autres instances locales mises en place par la France n’étant pas de produire des films locaux, mais bien des objets destinés à l’exportation, pour les publics français. Jusqu’ici rien de nouveau dans le contexte colonial. Ce qui, selon Manthia Diawara, est intéressant à noter, c’est l’investissement de la France dans des coproductions avec les anciens pays colonisés au lendemain des indépendances. Cet investissement ne sera pas sans effet.
Valérie Orlando observe dans son ouvrage consacré au cinéma et à son rôle dans la société marocaine contemporaine que la question de la langue est structurante pour le cinéma marocain28. En effet, l’usage du français, de l’amazighe ou de l’arabe a une incidence directe sur les guichets de financement concernés dans la production filmique marocaine et donc indirectement sur les thématiques traitées, mais également sur la distribution des films en question : les films majoritairement francophones seront en grande partie financés par des pays occidentaux, tels que la France, le Canada ou la Belgique, tandis que les productions en amazighe ou en arabe reposeront sur les aides du CCM ou les ressources privées des réalisateur.rice.s.
C’est après 1956 que le CCM prend en charge la production nationale marocaine. Cependant, longtemps après cette date, l’essentiel du travail du Centre se résume à la production d’actualités. Il faut attendre 1958 pour voir le premier long-métrage de fiction marocain, soit deux ans après la fin du protectorat. Toutefois, si le CCM prend en charge la production nationale, Roy Armes observe qu’il reflète son passé colonial dans son fonctionnement. Les objets restent destinés à l’exportation dans les festivals et cinémathèques étrangères, signe du manque d’investissement des gouvernements locaux dans la distribution et l’exploitation cinématographique, et l’incapacité de penser l’industrie en termes de filière, malgré la création d’aides à la production.
Outre le manque criant de salles dans le royaume, l’une des pistes d’explication, illustrant également une forme de domination, est l’écrasante majorité des parts de marché détenues par des groupes français dans l’exploitation et la distribution cinématographique marocaine, et ce encore aujourd’hui. En 2019, les chiffres du bilan annuel du CCM sont clairs : 48 des 77 salles que compte le royaume sont détenues par des groupes français, tels que Megarama et Ciné Atlas29. Ces mêmes groupes détiennent également une portion importante des parts de marché de la distribution nationale, soit près de 38 %. La détention de la majorité des parts de marché par des groupes français n’est pas sans conséquences. En effet, cette domination a une incidence d’une part sur le choix des films diffusés, mais également sur la langue de diffusion de ces films, la version française des films doublés étant généralement préférée à un travail de doublage en arabe classique, en darija30 ou en amazighe. Si cette pratique a des explications économiques, elle n’est pas sans effets. Indubitablement, elle tendra à favoriser les élites marocaines, généralement francophones, creusant l’écart social entre les publics.
Cependant, il serait injuste de porter sur cette industrie un regard uniquement fataliste. Si l’on s’intéresse au box-office des salles marocaines, recensé annuellement dans les bilans du CCM, un constat se dessine : la première place – voire les trois premières places certaines années – du box-office national est systématiquement occupée par un film marocain, démontrant l’intérêt et la curiosité des publics pour les productions nationales31. De plus, si l’on jette un regard supplémentaire aux parts de marché des différents pays dans l’exploitation au Maroc, on constate que le marché est essentiellement divisé entre les États-Unis et le Maroc, mais surtout, que le cinéma marocain arrive à être réellement compétitif sur son propre territoire, parvenant, avec souvent trois fois moins de films diffusés que les États-Unis sur les écrans marocains, à dominer près d’un quart des parts de marché.
b. Influence de la France sur la manière de voir les films – la cinéphilie à la française et le travail des Instituts Français
« [Agir] politiquement et socialement dans le monde international par le biais de la culture, demeure en fait une tradition très française32 ». Cette action culturelle offensive de la France a pu se développer par l’intermédiaire des Instituts et Alliances, engagés dans le rayonnement de la culture française. Le Maroc ayant connu le protectorat français de 1912 à 1956, c’est dans ce cadre et par le prisme colonial que les futur.e.s premier.e.s cinéastes marocain.e.s ont découvert le cinéma. Il y a au Maroc un manque criant de salles de cinéma, et pourtant, dans le domaine de l’exploitation cinématographique, force est de constater l’importance des Instituts français dans la diffusion du cinéma sur le territoire. Leur effort de contribution à l’exploitation est considérable, l’organisation détenant un réseau de neuf salles sur le territoire, ainsi que des accords avec deux salles partenaires33. Cependant, le travail des Instituts se fonde sur un modèle français, hérité de la diplomatie culturelle. Si l’on en croit Antoine de Baecque, « l’histoire culturelle du cinéma34 » en France s’est constituée en partie grâce (ou autour) de la critique et de la cinéphilie. La cinéphilie, c’est avant tout un regard, mais également une forme de réflexivité du cinéma : « le cinéma a besoin que l’on parle de lui. Les mots qui le nomment, les récits qui le racontent, les discussions qui le font revivre, modèlent sa véritable existence. L’écran de sa projection, le premier et le seul qui compte, est mental35 ». Ce qui démarque le travail des Instituts de l’exploitation cinématographique sur le territoire, c’est avant tout l’attitude éducative des instituts, ces derniers investissant très largement le champ scolaire et formatif, à travers masterclass et animations. Et l’on retrouve, à l’origine de la mission éducative, les mêmes idées que celles à l’origine des ciné-clubs et de la cinéphilie des Cahiers du cinéma, mais également du réseau d’éducation populaire Peuple et Culture : à savoir celles de faire vivre le cinéma, d’en parler. Alexandre Labruffe et Nicolas Peyre émettent d’ailleurs l’hypothèse que « l’essor des ciné-clubs en France dans les années 1920 […] a précédé de quelques années l’apparition de projections de films […] dans ou via les Alliances françaises36. »
Cependant, la problématique reste la même que dans l’exploitation : le manque d’investissement dans la communication liée aux activités de l’Institut Français du Maroc, notamment37, limite la promotion des actions éducatives à un public francophile, dans une démarche à nouveau élitiste. Et cette même attitude se reproduit en amont, dans la formation aux métiers du cinéma : Roy Armes note que les réalisateur.rice.s marocain.e.s font partie des metteurs en scène les plus diplômé.e.s de la profession. Où se sont formé.e.s les premier.e.s cinéastes marocain.e.s, et où se forment-ils aujourd’hui ? Si les étudiants africains partent étudier dans de nombreux pays étrangers, Gabrielle Chomentowski identifie « [deux] flux de mobilités étudiantes […] particulièrement intéressants à analyser pour mieux comprendre ce qui distingue ou au contraire rapproche une même génération de cinéastes, tous nés au plus tard dans les années 1940 et ayant connu la décolonisation38 ». Ces flux concernent deux villes, Paris et Moscou, mais surtout deux « mondes » dans le contexte politique international.
Aux indépendances, nombre d’étudiants africains partent se former dans les anciennes colonies. En 1944, la même année que la création du Centre Cinématographique Marocain est créé l’IDHEC ou Institut des Hautes Études Cinématographiques (devenu La Fémis en 1986). Les réalisateur.rice.s africain.e.s viennent s’y former, ainsi qu’à l’École technique de photographie et de cinéma de Paris. Les conditions de vie n’y sont pas enviables pour ces étudiant.e.s étranger.e.s : les logements qui leur sont alloués étant souvent délabrés, et l’obtention de bourses incertaine. Beaucoup d’étudiant.e.s y sont reçus sur « titre », sans passer le concours d’entrée, sur base d’accords entre les pays d’origine et d’accueil. Le but ultime n’étant pas tant de former les futur.e.s cinéastes de demain, mais plutôt d’en faire des ambassadeur.rice.s de la culture française à leur retour au pays.
De l’autre côté du « rideau de fer », l’URSS s’engage dans une politique d’accueil des étudiant.e.s étranger.e.s dès 1950, même si « l’Union soviétique s’était déjà distinguée dans les années 1920 et 1930 par son intérêt pour l’accès au cinéma pour toutes les populations anciennement opprimées sous le tsarisme39. » Cet engagement dans l’accueil des étudiant.e.s provenant des pays anciennement colonisés suit la déclaration de non-alignement de la Conférence de Bandung de 1955. À l’origine, les pays signataires de cette déclaration souhaitaient exprimer leur non-adhésion aux deux « blocs » capitaliste et communiste, dépassant le dualisme des relations internationales suggéré par Churchill dans sa métaphore du rideau de fer, et réintrodroduisant la notion de tiers-monde40. Dans ce contexte d’émulations politiques, l’URSS voit l’opportunité de soutenir les mouvements d’« émancipation nationale41 », mais également de séduire de potentiels partenaires sur l’échiquier de la politique internationale. Cet engagement n’est pas sans effet pour les cinéastes africain.e.s ayant eu cette opportunité, et garde une influence certaine sur leur cinéma. Lors de leur formation, des excursions culturelles sont prévues, afin de « promouvoir le modèle socialiste42 ». Les cours semblent se faire sur un modèle démocratique, favorisant le débat et la discussion au sujet des travaux des un.e.s et des autres. Des moyens sont même alloués aux étudiant.e.s étranger.e.s afin qu’il.elle.s puissent réaliser leur travail de fin d’étude en dehors de l’URSS. Le VGIK est, pour beaucoup, un lieu dans lequel on peut réfléchir aux améliorations à apporter aux pays nouvellement indépendants.
Aujourd’hui, l’opportunité est donnée aux aspirant.e.s cinéastes d’étudier le cinéma au Maroc, des écoles ayant fleuri çà et là sur le territoire. Cependant, ces écoles restent en majorité francophones, et extrêmement onéreuses43, reproduisant les problématiques précédemment abordées d’un élitisme culturel.
c. Le rôle de la cinéphilie et de son caractère « écrit » dans la constitution de l’histoire d’un cinéma – le travail d’Ahmed Bouanani
« L’histoire culturelle du cinéma44 » en France s’est constituée en partie grâce à la cinéphilie. Cette attitude a notamment permis de sortir d’une posture historique et archivistique froide afin de constituer une histoire vivante et dynamique du cinéma. C’est cette même démarche qu’adopte Ahmed Bouanani dans la constitution de son anthologie du cinéma, qui sera publiée à titre posthume sous la direction de Touda Bouanani et Omar Berrada sous le titre de Septième porte. Les publications associées à une critique professionnelle manqueront de pérennité, inscrivant l’histoire du cinéma marocain dans une dynamique toute autre que celle du cinéma français : Cinéma 3 disparaît au bout de quatre numéros, tandis que la page cinéma du quotidien Maghreb informations disparaît au bout de deux ans45. Mais « La Septième Porte est le récit [de] la naissance d’un cinéma national marocain. C’est une enquête historique entreprise malgré l’absence de documentation. Ce n'est pas une synthèse froide. L’auteur est un cinéaste impliqué dans l’histoire qu’il raconte46. »
La démarche de Bouanani se rapproche en cela de l’attitude critique d’André Bazin, « figure de ralliement » des cinéphiles : il revendique une subjectivité. Cependant, la démarche cinéphilique au Maroc n’adopte pas la démarche des Cahiers du cinéma, qui prend pour mesure l’auteur de cinéma, mesure que les critiques élèveront au rang de politique. Ce qui définit avant tout le travail d’Ahmed Bouanani, ce n’est pas cette politique là, mais bien celle de « décoloniser les écrans » pour démarquer le cinéma marocain du cinéma colonial. Cette démarche passe notamment par la constitution de son anthologie, pour sortir le cinéma marocain de l’oubli et lui faire retrouver la mémoire, mais également par la réhabilitation de personnes telles que le cinéaste Mohamed Osfour, dont il parle en ces termes :
Osfour, issu d’un peuple privé de la parole, analphabète et fou de la douce folie, a eu, en allant au cinéma, la réaction, ô combien saine, de se dire : « Et pourquoi pas moi ? » Et ce « pourquoi pas moi », nous le vivons encore aujourd’hui, peut-être plus profondément, dans notre chair et dans notre sang. Le public actuel est en droit d’exiger des films dignes de lui, nul n’en disconvient. Mais comment atteindre ce public et détruire le ghetto47 ?
Comme le rappellent Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto48, la cinéphilie n’est ni l’apanage d’un groupe social (ou plutôt d’une élite), ni d’une nation. Elle fait l’objet de réactualisations et de réappropriations au fil de son histoire, car il s’agit bien d’un concept économiquement et socio-historiquement construit49. Les auteurs relativisent la notion « cinéphilie » en la détachant de la « profession de foi publique50 » à laquelle celle-ci serait trop souvent rattachée et en la ramenant à ses éléments constitutifs, à savoir : mettre fin à la cinéphilie comme seul discours critique professionnel afin d’y donner accès à tous, la réinscrire dans la dialectique qui la caractérise, insister sur l’importance de l’écrit dans sa construction, « et donner à chacun, y compris à nous, la place qui lui revient dans le cadre de la mémoire collective du cinéma51. » Ces éléments constitutifs rappellent notamment le travail de mémoire initié par Ahmed Bouanani à son époque. Ce dernier ne prétend pas figer l’histoire du cinéma marocain, mais en pose plutôt humblement les jalons, comme des pistes à suivre pour mener une réflexion plus approfondie sur le cinéma en Afrique.
3. Third cinema, réalisme social et panafricanisme – comment « décoloniser les écrans », dans la veine d’une herstory
a. Third Cinema : « une alternative à une théorie eurocentrique52 »
Dès ses débuts, le cinéma marocain est marqué par une recherche d’identification : comment s’approprier un médium issu du monde colonial afin d’en faire un moyen d’expression à même d’exprimer une subjectivité post-coloniale ? Ce questionnement est à l’origine de l’émergence du Third Cinema. Il s’agit alors de revendiquer un cinéma « en rupture » avec le cinéma occidental et l’élitisme social et culturel dont ce dernier se fait l’exemple, dans une perspective décolonialiste. Les cinéastes marocains vont se rapprocher d’une veine proche du réalisme social prôné par des réalisateurs tels qu’Ousmane Sembène53, afin de proposer un discours à même de supporter et d’analyser les changements qu’a traversés la société marocaine depuis l’Indépendance. Sur ce territoire, le cinéma devient alors un outil capable de questionner la réalité sociale et les diverses oppressions vécues par les différents groupes sociaux.
Les revendications du Third Cinema prennent leur origine dans un contexte historique marqué par nombre de soulèvements dans les pays anciennement colonisés ainsi que par la Conférence de Bandung de 1955 et la déclaration de non-alignement de certains des pays y siégeant. En 1973, les Argentins Fernando Solanas et Octavio Gettino rédigent « Vers un troisième cinéma », tandis qu’en 1979, Julio García Espinosa, réalisateur cubain, publie son manifeste « Pour un cinéma imparfait ». Ces deux textes sont aujourd’hui considérés comme étant à l’origine de ce mouvement du Third Cinema. Dans leur manifeste, Solanas et Gettino identifient deux formes cinématographiques à récuser, que sont le cinéma commercial ou « premier cinéma » et le cinéma d’auteur, qu’ils qualifient de « deuxième cinéma », d’où l’appellation pour leur pratique militante et engagée de Third Cinema. Cette pratique se situerait pour les auteurs au cœur d’un double mouvement, à savoir la déconstruction des représentations issues du colonialisme dans le but de la création d’un nouveau cinéma qui – et il rejoint en cela les revendications d’Espinosa – n’analyserait pas, selon eux, les causes des problèmes contemporains dans les sociétés anciennement colonisées, mais bien leurs effets. Robert Stam, chercheur américain spécialisé en sémiotique, met l’accent sur trois des éléments constitutifs de ce cinéma alternatif, à savoir : « son hybridité », « la multiplicité de ses filiations spatio-temporelles » et « la réhabilitation des marginalités54 ». À ceci, Robert Stam ajoute l’importance des croyances populaires dans l’esthétique filmique du Third Cinema, comme une tentative de rupture avec la logique spatio-temporelle linéaire du cinéma « dominant ». Robert Stam identifie ces éléments comme une méthode de perversion du discours dominant. L’hybridité est donc prônée en réaction aux craintes de métissage des colons. Ces trois aspects rejoignent la critique émise par Anthony Guneratne au sujet de la division hermétique opérée entre First, Second et Third Cinema. Ils complètent donc la pensée de Guneratne, complexifiant l’association simpliste de ces cinémas à des cinématographies nationales :
l’apparente division hermétique des cinémas entre ceux représentés par les films commerciaux à gros budget (le Premier Cinéma), les films d’auteur indépendants (le Deuxième Cinéma) et les films réalisés par des collectifs militants (le Troisième Cinéma) a mené à de nombreux malentendus tel que le postulat selon lequel le premier cinéma serait nécessairement un cinéma du divertissement, le deuxième un cinéma de l’intellect et de l’introspection, et le troisième du radicalisme politique55.
La force du Third Cinema n’est donc pas, selon ces deux théoriciens, de représenter un bloc théorique mais plutôt une constellation de formes cinématographiques « embrassant l’hybridité et le plurilinguisme56 », en réponse notamment à l’homogénéisation du Third World alors que ce dernier représente une grande diversité de réalités et de vécus. Le Third Cinema invite également à penser que ces différents cinémas pourraient aujourd’hui cohabiter sur certains territoires, créant des filiations parfois plus marquées entre des cinéastes situés aux antipodes géographiquement parlant, qu’entre des réalisateur.ice.s de même nationalité :
Peut-être que la plus grande gamme de problèmes que ce modèle des trois cinémas échoue à prendre en compte […] est celle des interactions entre les différentes formes de cinéma au sein même des industries nationales suffisamment diverses pour supporter des formes coexistantes du premier, du deuxième et du troisième cinéma57.
L’apport de ces théories latino-américaines, applicables au cinéma marocain, est selon Roy Armes, de nous permettre de ne plus voir ce troisième cinéma comme lointain de nos cultures occidentales, mais plutôt comme lié à nos pratiques cinématographiques car ces théories nous poussent à questionner la prise en charge ainsi que la place donnée aux groupes marginalisés. Cette pensée initiée par les théoriciens latino-américains garde selon lui une pertinence tant que le film continuera à contribuer au changement social et politique et qu’il donnera la parole aux groupes dont la parole a trop souvent été étouffée.
b. La FEPACI pour un cinéma panafricain – la francophonie comme piste de résolution
Dans son ouvrage consacré au cinéma africain, Manthia Diawara n’exprime pas une adhésion complète au Third Cinema, mais plutôt la nécessité d’initier une réflexion sur le cinéma en Afrique de l’ordre de celle initiée par Solanas, Gettino et Espinosa pour l’Amérique du Sud. Il identifie donc trois tendances dans le cinéma africain aujourd’hui – liées aux revendications du Third Cinema – que sont le réalisme social, la confrontation coloniale et le retour aux sources. La première de ces tendances est la veine la plus présente dans le cinéma marocain : s’il est nécessaire d’initier une réflexion similaire à celle du Third Cinema, c’est l’apport social et politique de ce dernier qui rejoint les enjeux chers au réalisme social prôné par les réalisateurs panafricains. Ce cinéma prend pour thèmes les problématiques socioculturelles contemporaines, et se qualifie par sa mise en opposition de la tradition et de la modernité, de l’oral et de l’écrit, de l’agraire et de l’urbain. Ces films s’adressent aux peuples africains en adoptant des thèmes et croyances populaires, ou en abordant la libération et le vécu des femmes dans l’Afrique contemporaine. Parmi ces films, citons par exemple L’Enfant endormi, de Yasmine Kassari (2004). Dans son long-métrage, la réalisatrice donne à voir le vécu des femmes restées au pays, dans la campagne marocaine, alors que leurs maris sont partis trouver du travail en Europe. Le film de Yasmine Kassari tire son titre d’une croyance populaire marocaine selon laquelle une femme pourrait endormir son fœtus au-delà des neuf mois grossesse afin d’attendre le retour de son père lorsque ce dernier était absent pour une longue période. Dans L’Enfant endormi, les femmes ne sont pas dépeintes de manière passive mais comme maîtresses de leur destin ainsi que de leur corps, à la manière des protagonistes du film de Julie Dash, Daughters of the Dust (États-Unis, 1991). Ces deux films, identifiables comme appartenant à la veine du Third Cinema malgré leurs origines géographiques antipodiques, affilient ce cinéma militant à une démarche digne de la herstory. La herstory, néologisme créé par les féministes afro-américaines comme une féminisation du terme « history », consiste en une réécriture de l’histoire selon un point de vue féminin, cette dernière ayant été trop longtemps contée par les hommes. Sans doute faut-il voir en ce concept, conçu par les théoriciennes afro-américaines comme une démasculinisation et une réappropriation de l’histoire, une piste pour à son tour décoloniser les écrans.
Une autre instance importante dans le cinéma africain et les réflexions qui l’entourent est la Fédération Panafricaine des Cinéastes, créée en 1969 afin de favoriser le travail des réalisateurs africains. Parmi les pistes de réflexion initiées par ce groupement, retenons ici la piste majeure suggérée par ses membres, qui rejoint la volonté d’Ahmed Bouanani de décoloniser les écrans, à savoir : encourager la coopération entre les pays africains, que le Collectif de l’Œil Vert58 appellera la coopération « Sud-Sud ». L’absence de systèmes de financement endogènes et la dépendance aux financements européens sont, selon les réalisateurs membres de la FEPACI, à l’origine d’une vision misérabiliste de l’Afrique et de la redondance des thèmes abordés. De plus, si les pays n’ont pas suffisamment de publics nationaux pour faire vivre une industrie nationale, le futur de leurs cinématographies est de penser en termes d’union panafricaine. Cette dernière piste permet à son tour d’éclairer la francophonie d’une nouvelle manière, présentant l’usage du français non plus comme une tare du passé colonial, mais comme une force pour aller de l’avant en tant que groupe.
Conclusion
« Tâcher de déceler ce qui préside à l’invention [des] styles nationaux revient à révéler plus largement la perception du cinéma qui leur est sous-jacente et qui finit par l’emporter en grande partie dans l’écriture de son histoire59. » Au Maroc, l’enjeu de la constitution d’un cinéma national se révélait d’une importance cruciale pour la constitution d’une identification marocaine aux lendemains de l’Indépendance. La culture cinématographique est restée le parent pauvre des stratégies de développement du gouvernement marocain, plus préoccupé par la patrimonialisation des monuments pour la valorisation d’une identification arabo-musulmane que par le soutien d’un art en train de se faire. Ceci n’a pas empêché les initiatives privées de se faire en marge des financements étatiques, tel le cinéma de Mohamed Osfour ou la constitution d’une anthologie du cinéma marocain par Ahmed Bouanani.
Le cinéma national marocain est « une promesse en suspens60 » pour Omar Berrada. Les réalisateur.ice.s ne connaîtront pas la pérennité, se limitant souvent à un film, posant la question de ce qui définit une « œuvre cinématographique » dès lors qu’elle n’est constituée que d’un seul film. Néanmoins, certains jalons permettent de poser les fondations de ce qui peut être considéré comme un cinéma national marocain. Tout d’abord, ce cinéma peut se définir par ses méthodes de financement, même si les circonstances de sa production ne suffisent pas à lui octroyer une âme nationale. Ceci introduit de ce fait la question des thématiques abordées, des publics auxquels l’œuvre est destinée ainsi que la nationalité des réalisateur.rice.s comme constitutifs des caractéristiques d’un cinéma national.
C’est le geste cinéphilique en lui-même qui permet de faire exister une cinématographie nationale marocaine. L’écrit a eu, dès les débuts du septième art, valeur de mémoire des films, une mémoire à laquelle se fier. En France – mais ailleurs également –, les premiers cinéphiles n’ayant l’occasion ni de voir les films des premiers temps ni de revoir les films vus en salle, « les célébrations littéraires du cinéma des premiers temps par les intellectuels cinéphiles des années 30 » deviennent « les traces écrites d’une parole enchantée sur le cinéma par laquelle les spectateurs personnalisent leur jugement cinématographique61. » La cinéphilie ne pouvant faire l’économie de l’écrit, c’est à travers son travail d’anthologie du cinéma marocain qu’Ahmed Bouanani reconstitue une unité du septième art dans son pays.
La France garde, au Maroc, une influence sur la manière de faire et de voir les films, les groupes français conservant entre autres une majorité des parts de marché dans l’exploitation. Or, les chiffres de cette même exploitation ne mentent pas, exprimant une réelle vitalité du cinéma marocain, ou tout du moins une véritable curiosité des publics locaux pour une cinématographie nationale. La rémanence de la langue française sur ce territoire reste, elle aussi, une problématique de l’ordre de la domination culturelle, mais les réflexions de la FEPACI pour un cinéma panafricain permettent de relativiser la francophonie comme une piste de reconstruction pour le groupe.
En ce qui concerne la cinéphilie marocaine en tant que telle, il est vrai qu’Antoine de Baecque concluait sur le caractère irrémédiablement passé d’une telle pratique cinéphilique, conclusion réfutée par Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto dans leur ouvrage sur le sujet.
[Du] fait du caractère cosmopolite de la consommation cinématographique, la cinéphilie […] est une réalité transnationale, à l'image de ce qu'on appelle le cinéma national, mais qui intègre beaucoup de co-productions internationales. Elle ne se réduit pas à un mouvement artistique (porté par un cercle d'intellectuels et d'artistes) ni à une culture nationale (défendue par une classe). Ni simplement « parisienne », ni purement « française », elle est la forme que prend localement la cinéphilie mondiale62.
Si la cinéphilie au Maroc ne s’accompagne pas d’une politique des auteurs ni d’auteurs institués, il est malgré tout possible de parler d’une cinéphilie marocaine au sens politique du terme. En effet, cette dernière s’inscrit dans une combattivité : la combattivité pour la subsistance d’un art, d’une industrie, et pour la démarcation de cet art des modèles qui lui ont été imposés à travers la colonisation. « Dans les contes populaires, il est toujours interdit d’ouvrir la septième porte. Nous, cinéastes marocains de 1984, sommes les personnages imprudents de la tradition. Nous n’avons pas peur de voler la clef et de voir ce qu’il y a au-delà de cette fameuse porte : notre art63… » Notons que La Septième porte est également un film français réalisé par André Zwobada (1947) – il reprend la fable arabe sur la septième porte, une fable sur le défaut de curiosité.
Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto en appellent cependant à privilégier la forme plurielle du terme de « cinéphilie » afin de « redonner à la notion de cinéphilie son sens large de la culture du plaisir cinématographique64 » et de rendre aux spectateurs réguliers leur capacité d’expertise et de jugement de la qualité cinématographique. Sorte de point aveugle des bilans du CCM, mais également des réflexions professionnelles de la FEPACI, les pratiques spectatorielles sur les territoires postcoloniaux doivent peut-être à leur tour être questionnées afin de « donner à chacun […] la place qui lui revient dans le cadre de la mémoire collective du cinéma65. »
Références
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1 Sylvie Durmelat et Vinay Swamy (dir), Les Écrans de l’intégration : l’immigration maghrébine dans le cinéma français, Saint Denis, Presses Universitaires de Vincennes, « Culture et Société », 2015, p. 25.
2 Abdelghani Megherbi, Les Algériens au miroir du cinéma colonial, Alger, SNED, 1982, p. 12-13, cité dans Roy Armes, Les Cinémas du Maghreb. Images postcoloniales, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 13.
3 Selon le terme suggéré par Rogers Brubaker et Frédéric Junqua dans « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 19, septembre 2001, p. 75.
4 Roy Armes, Third World Film Making and the West, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1987.
5 Ibid., p. 29. Citation originale : “to express the distinctive identity of the new nation in the language that had been inherited from the colonizer” [traduction personnelle].
6 Christophe Gauthier, « Le Cinéma des nations : invention des écoles nationales et patriotisme cinématographique (années 1910 - années 1930) », Revue d’histoire moderne & contemporaine, n°51-4, avril 2004, p. 62.
7 Ahmed Massaia, Un désir de culture. Essai sur l’action culturelle au Maroc, Casablanca, Éditions La Croisée des Chemins, 2013, p. 15.
8 Amina Touzani, La Politique culturelle au Maroc, Casablanca, Éditions La Croisée des Chemins, 2016, p. 37.
9 Ahmed Massaia, Un désir de culture, op. cit., p. 44.
10 Christophe Gauthier, art. cit., p. 68.
11 Ibid., p. 71.
12 Nous aborderons ces chiffres en 2.b. Influence de la France sur la manière de voir les films – la cinéphilie à la française et le travail des Instituts Français.
13 Fouad Souiba et Fatima Zahra El Alaoui, Un siècle de cinéma au Maroc, Rabat, World Design Communication, 1995, cité dans Roy Armes, Les Cinémas du Maghreb. Images postcoloniales, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 48.
14 L’avance sur recette est une aide à la production délivrée en France par le CNC. Elle a été créée en 1960 dans le but de renouveler la création cinématographique et de soutenir les projets de premier film. Au Maroc, ce système d’avance sur recette ne sera adopté qu’à partir de 2003 afin de compléter les aides à la production déjà existantes sur le territoire.
15 La carte d’identité professionnelle (CIP) est octroyée aux professionnels du cinéma marocains par le directeur du CCM. Elle s’obtient sur dossier et atteste d’une formation ou d’une expérience préalable dans le domaine cinématographique. Le Dahir n° 1-01-36 du 21 kaada 1421 (15 février 2001) précise que les sociétés de production souhaitant être éligibles à l’obtention d’un agrément de production du CCM doivent « engager des collaborateurs parmi les Marocains détenteurs de la carte d’identité professionnelle prévue à l’article 12 ». URL : https://www.ccm.ma/docs/Industrie.pdf [consulté le 29 septembre 2022].
16 Christophe Gauthier, art. cit.
17 Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration : l’immigration maghrébine dans le cinéma français, Saint Denis, Presses Universitaires de Vincennes, « Culture et Société », 2015, p. 25.
18 Ibid. Ces deux termes eux-mêmes posent question.
19 Alec G. Hargreaves, « Hors des “ghettos”, ouverts sur le monde. Situer les réalisateurs français-maghrébins », in Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit., p. 34.
20 Ibid., p. 50.
21 Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit., p. 16-17. Notons que cette observation ne concerne que les MRE en France, la situation variant certainement en fonction du pays d’émigration.
22 Vinay Swamy, « Re-présenter les banlieues. La Trilogie urbaine de Malik Chibane », in Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit., p. 265-266.
23 Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit.
24 Will Higbee, « Circulages, ancrages et mythe du retour dans les films de voyage français-maghrébins », in Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit., p. 71-92.
25 Alec G. Hargreaves, « Hors des “ghettos” », in Sylvie Durmelat et Vinay Swamy, Les Écrans de l’intégration, op. cit., p. 36.
26 Notons que ceci rejoint la réflexion de Maryse Tipier au sujet des statistiques ethniques et de leur interdiction dans la société française : « Insister sur les origines implique que l’on considère désormais les différences entre Français anciens et moins anciens comme essentielles, ce qui est très grave. » Voir Maryse Tipier, « De l’usage de statistiques “ethniquesˮ », Hommes et migrations, n°1219, mai-juin 1999, p. 29.
27 Manthia Diawara, African Cinema. Politics & Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1992, p. 22. Citation originale : “The purpose of the Laval decree was to control the content of films that were shot in Africa and to minimize the creative roles played by Africans in the making of films” [traduction personnelle].
28 Valérie K. Orlando, Screening Morocco. Contemporary Film in a Changing Society, Athens, Ohio University Press, 2011.
29 Centre Cinématographique Marocain, « Bilan cinématographique 2019 », 6 mars 2020. URL : https://www.ccm.ma/inter/bilans/15-bilan.pdf, consulté le 09 septembre 2022, p. 67.
30 Le darija est l’arabe dialectal marocain.
31 En 2020, la première place du box-office marocain était occupée par Tlatine Melioune (Rabii Chajid, 2020) avec 235.074 entrées, contre 36.526 entrées pour le deuxième film du box-office Bad Boys For Life (Adil El Arbi et Bilall Fallah, 2020), film américano-mexicain réalisé par deux MRE (Marocains résidant à l’étranger). En 2019, la première place du box-office était quant à elle occupée par Messaoud, Saida et Saadane (Brahim Chkiri, 2018), tandis qu’en 2018, les trois premières places du box-office étaient occupées par des films marocains, à savoir : Lahnech (Driss Mrini, 2017), Korsa (Abdellah Ferkous, 2018) et Razzia (Nabyl Ayouch, 2017).
32 François Chaubet, « L’action culturelle française dans le monde : 150 ans d’expérience », in Giusy Pisano (dir.), Des ciné-goûters aux séances pour les cinéphiles. Le cinéma dans les Instituts français et les Alliances françaises, Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 2021, p. 19-28.
33 À savoir, le Renaissance à Rabat et la Cinémathèque de Tanger. Voir Antoine Le Bihan, « La promotion du cinéma français à l’Institut français du Maroc, un réseau de neuf salles », in Guisy Pisano (dir.), Des ciné-goûters aux séances pour les cinéphiles, op. cit., p. 120.
34 Antoine de Baecque, La Cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture 1944-1968, Paris, Fayard, « Hachette Littératures », 2003, p. 13.
35 Ibid., p. 10-11.
36 Alexandre Labruffe et Nicolas Peyre, « L’Alliance française et le cinéma, une histoire méconnue », in Guisy Pisano (dir.), Des ciné-goûters aux séances pour les cinéphiles, op. cit., p. 41-56.
37 « Le manque d’outils pour qualifier le public se rendant aux séances de cinéma, et plus généralement aux propositions culturelles des IF, ne permet pas de développer des politiques de communication efficaces. Alors que l’Institut français du Maroc a comme objectif de s’adresser aux jeunes marocain(e)s de 15-25 ans, la communication est bien souvent réservée à un public francophile, et par là même élitiste. » In Antoine Le Bihan, « La promotion du cinéma français à l’Institut français du Maroc, un réseau de neuf salles », op. cit., p. 120.
38 Gabrielle Chomentowski, « Décolonisations et cinéma. Les étudiants africains en cinéma à Paris et Moscou (années 1940-1960) », Diasporas, n°37, février 2021.
39 Gabrielle Chomentowski, « Caméra au poing et valise à la main : les mobilités étudiantes du Sud vers les écoles de cinéma de l’Est socialiste », Cahiers du monde russe, vol. 63, mars-avril 2022, p. 622.
40 Geetha Ganapathy-Doré, « Du tiers-monde au monde multipolaire : l’évolution du paradigme du non-alignement dans la reconfiguration de l’ordre mondial », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, n°42, février 2015, p. 117-139.
41 Gabrielle Chomentowski, « Caméra au poing et valise à la main », op. cit., p. 626.
42 Ibid., p. 639.
43 Au Studio M de Casablanca, qui se qualifie d’« école française des arts et de l’audiovisuel », les formations coûtent entre 45 000 et 50 000 DHS par an (soit environ 4 250 à 4 750 €). À l’ISCA (Institut Spécialisé du Cinéma et de l’Audiovisuel), le montant de l’inscription à l’année s’élève entre 25 000 et 33 000 DHS (environ 2 350 et 3 150 €).
44 Antoine de Baecque, La Cinéphilie, op. cit., p. 13.
45 Cinéma 3 est la première revue dédiée au cinéma marocain, elle est créée en 1970 et produite par la Fédération marocaine des ciné-clubs. Celle-ci prendra fin au bout de quatre numéros. En 1972 est créée la page cinématographique de Maghreb informations, qui disparaîtra quant à elle au bout de deux ans. In Ahmed Bouanani, La Septième porte, op. cit., p. 67.
46 Omar Berrada, « Décoloniser les écrans », in Ahmed Bouanani, La Septième porte. Une histoire du cinéma au Maroc de 1907 à 1986, Rabat, Kulte Editions, 2021, p. 7-8.
47 Ahmed Bouanani, La Septième porte, op. cit., p. 13.
48 Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies, Paris, Armand Colin, 2010.
49 « Il faut prendre garde, cependant, de ne pas oblitérer le rôle du marché dans le processus de formation de la cinéphilie en se focalisant sur la question de la légitimation de l'art cinématographique, c’est-à-dire de la reconnaissance de sa dignité par les “instances de consécration” intellectuelles, selon la formule de Pierre Bourdieu. […] La “cinéphilie de masse” précède, ou en tout cas soutient la cinéphilie des intellectuels soucieux de l'organiser, laquelle en fait partie. La cinéphilie n’est pas le produit de leur discours, c’est leur discours qui est la réalisation intellectuelle de cette cinéphilie de masse, son actualisation. » in Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, Cinéphiles et cinéphilies, op. cit., p. 39-40.
50 Ibid., p. 30.
51 Ibid., p. 31.
52 Anthony R. Guneratne, « Introduction: rethinking Third Cinema », in Anthony R. Guneratne et Wimal Dissanayake (dir.), Rethinking Third Cinema, op. cit., p. 7.
53 Notons qu’Ousmane Sembène s’est formé au VGIK de Moscou, où il a été sensibilisé d’une part aux questions socialistes, et d’autre part à une dimension fortement interculturelle. Le réalisateur syrien Oussama Mohamed qualifie en outre le VGIK d’« école de la démocratie dans le pays de la dictature de Brežnev ». Voir à ce sujet l’article de Gabrielle Chomentowski, « Caméra au poing et valise à la main », op. cit.
54 Robert Stam, “Beyond Third Cinema: the aesthetics of hybridity”, in Anthony R. Guneratne et Wimal Dissanayake (dir.), Rethinking Third Cinema, op. cit., p. 32. Citation originale : “(1) their constitutive hybridity; (2) their chronotopic multiplicity; and (3) their common motif of the redemption of detritus” [traduction personnelle].
55 Anthony R. Guneratne, “Introduction: rethinking Third Cinema”, in Anthony R. Guneratne et Wimal Dissanayake (dir.), Rethinking Third Cinema, op. cit., p. 10. Citation originale : “the seemingly hermetic division of cinemas into those represented by big-budget commercial films (First Cinema), independent, auteur films (Second Cinema) and films made by militant collectives (Third Cinema), led to various misinterpretations such as the automatic assumption that First Cinema was necessarily a cinema of entertainment, the Second one of intellect and interiority, and the Third one of political radicalism.” [Traduction personnelle].
56 Ibid., p. 18-19. Citation originale : “hybridity and polyglossia” [traduction personnelle].
57 Ibid., p. 20. Citation originale : “Perhaps the most complex range of issues the three-cinema model fails to account for, let alone to address, are the interactions between varying forms of cinema within national industries diverse enough to sustain coexisting forms of First, Second and Third Cinema.” [Traduction personnelle].
58 Le Collectif de l’Œil Vert est un collectif de cinéastes dirigé par le réalisateur sénégalais Cheikh N’Gaido Bâ. Ce collectif de jeunes cinéastes africain a été créé en 1981 au Festival de Ouagadougou en réaction au manque de dynamisme de la FEPACI après 1975. La coopération « Sud-Sud » est l’une des propositions marquantes de leurs réflexions pour un cinéma panafricain. Son but est de rompre avec la coopération « Nord-Sud » et donc avec la domination culturelle européenne.