Lupa et les nouvelles générations théâtrales polonaises : un réseau souterrain qui draine la foule
Comment l’œuvre très personnelle de certains metteurs en scène polonais travaillant en périphérie du théâtre institutionnel, peut-elle être centrale et impacter le débat public ? Cela peut s’expliquer par le fait que ces artistes, forts d’une tradition théâtrale, qui depuis la période romantique est basée sur l’insoumission, ont su se construire des micro-communautés artistiques, ponctuelles ou durables, mais toujours mouvantes. Cette plasticité due à un développement rhizomatique leur permet de s’adapter à leur environnement, tant artistique qu’institutionnel. Ce développement rhizomatique semble inscrit dans l’ADN même de leur processus de création, où le spectacle est réellement le fruit d’une création commune. Chez Krystian Lupa, par exemple, les acteurs peuvent prendre part à la dramaturgie du spectacle en écrivant certains passages de leur texte, et sont considérés comme co-auteurs. Ces équipes artistiques sont non seulement connectées entre elles, mais aussi avec leurs spectateurs, qui luttent activement à leurs côtés pour qu’un théâtre de débat, ouvert à tous, puisse exister. Cet entrelacs de communautés redessine inlassablement les contours d’une cartographie de la scène théâtrale comme de la société, faisant émerger ou ressurgir des espaces gommés ou en passe de l’être. Paradoxalement, la pression d’un État autoritaire ne fait qu’activer son expansion. Le théâtre polonais est une agora dont le public atypique est constitué avant tout d’une foule de citoyens venue de tous horizons débattre de la chose publique.