Le cinéma brésilien, véhicule du concept de « modernité » entre 1897 et 1969

[À] celui qui n’a pas toujours à l’esprit la présence massive et agressive, dans le marché interne, du film étranger, il est impossible de comprendre quoi que ce soit à ce qui constitue le cinéma brésilien1.

Ainsi débute l’ouvrage Cinema brasileiro : Propostas para uma historia de Jean-Claude Bernadet – ouvrage qui, depuis sa parution en 1979, a très souvent été présenté comme la meilleure introduction existante à l’histoire du cinéma brésilien. Le succès même du livre semble confirmer son hypothèse fondamentale, énoncée ci-dessus avec beaucoup de force : il serait impossible de penser le cinéma brésilien pour lui-même. Tout film doit être analysé, affirme le critique, à la lumière du contexte dans lequel il a été produit ; et dans le cas du Brésil, quelle que soit l’époque considérée, ce contexte est toujours celui d’une omniprésence écrasante des films « étrangers ». Aussi les cinéastes nationaux peuvent-ils imiter ces films « étrangers » (Bernadet précise plus tard qu’il désigne par ce terme les cinématographies européennes et étasuniennes), ou chercher à s’en démarquer ; mais leurs œuvres ne pourraient de toute façon pas créer de sens de façon autonome, ni être étudiées pour elles-mêmes. Or, un rapide survol historiographique confirme l’intuition de Bernadet : la plupart des textes théoriques consacrés au cinéma brésilien se présentent soit comme des brûlots politiques dénonçant la suprématie de la culture nord-américaine2, soit comme des traités d’économie traitant des conditions d’importation des films étrangers sur le territoire national3. Encore aujourd’hui, il est difficile de trouver des ouvrages considérant l’histoire du cinéma brésilien comme autre chose que l’histoire de la réception au Brésil du cinéma occidental4. Toutefois, disons-le sans attendre : nous n’essayerons pas, dans cet article, de prendre cette tendance critique à contre-pied. En effet, proposer une histoire alternative du cinéma brésilien, où l’influence des cinématographies occidentales serait niée au profit de l’éloge aveugle de l’« originalité » des cinéastes nationaux, reviendrait à nier une réalité historique fondamentale : le cinéma est, par sa nature même, un art d’importation. Aussi emprunterons-nous une autre voie : celle qui consiste à interroger les conditions et les modalités de cette importation.

Il est par exemple tout à fait frappant de constater que le cinéma brésilien est très souvent associé aux cinématographies africaines ou asiatiques sous l’appellation générique (et controversée) de Third cinema (qu’il faudrait traduire par « Tiers-cinéma » pour conserver la référence à la notion de « Tiers-monde »). Bien entendu, le terme n’entend pas gommer les spécificités de chaque cinéma national, ainsi que l’expliquent très bien Jim Pines et Paul Willemen5 ; mais le simple geste consistant à rassembler tous ces films sous une même bannière tend à faire oublier un élément de définition fondamental. C’est que contrairement au cas de certains pays d’Afrique, par exemple, où les cinéastes subissent encore le joug (culturel, esthétique et dans de nombreux cas, économique) des métropoles dont ils ne se sont émancipés que récemment, l’emprise effective du Portugal sur le Brésil a pris fin depuis plusieurs siècles. Lorsque le cinématographe parvient au Brésil en 1897, le pays est depuis longtemps indépendant, la langue qui y est parlée n’a plus grand-chose de commun avec le portugais d’Europe, et personne ne songe alors à nier l’existence d’une « identité » culturelle brésilienne. Pourtant, c’est précisément avec cette question que le cinéma brésilien devra se battre, jusqu’à l’époque très contemporaine. Pourquoi ? Pourquoi, jusqu’aux années 1910, chaque nouvelle sortie est-elle accompagnée d’une notice publicitaire annonçant l’arrivée messianique du « premier film brésilien » ? Pourquoi les cinéastes Humberto Moura et Alex Viany évoquent-ils encore, en 1952, le « devoir patriotique » consistant à aller voir des films nationaux6 ? Pourquoi aujourd’hui, alors même que de très nombreux Brésiliens s’enorgueillissent de n’écouter que de la musique brésilienne, les salles indépendantes, attachées à la diffusion de films nationaux, peinent-elles tant à attirer les foules ? Selon nous, il n’est possible de répondre à ces questions qu’à condition de considérer ce qui fait la spécificité du médium cinématographique – c’est-à-dire sa nature technique, qui en fait un mode d’expression intrinsèquement moderne. La « modernité » peut, en première approximation, se caractériser par le progrès technique et l’invention d’outils nouveaux (au sens où la locomotive électrique constitua une invention « moderne » par rapport à la machine à vapeur) : en ce sens, le cinéma, art né de l’industrialisation, est au XXème siècle l’art moderne par excellence. Si toutefois l’on adopte une définition plus précise et plus contextualisée du terme, ainsi que nous y invitent Jean Baudrillard, Alain Brunn et Jacinto Lageira lorsqu’ils écrivent : « face à la diversité géographique et symbolique de[s traditions], la modernité s’impose comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l’Occident7. » Alors, là encore, le cinéma s’impose comme le parangon de l’art moderne, puisqu’il promeut très largement, ainsi que nous allons le montrer, des modèles économiques, culturels et esthétiques occidentaux. Ainsi, étudier la façon dont l’art cinématographique s’est implanté et développé au Brésil, c’est interroger l’évolution d’une certaine idée de la « modernité » au sein des mentalités brésiliennes ; et c’est ce processus que nous entendons explorer ici grâce à l’analyse de films produits entre le début du siècle et la fin des années 1960.

Nous avons choisi de restreindre notre corpus à un petit nombre de films présentant un point commun fort : ils se déroulent à São Paulo, et la ville y occupe une grande importance, tant thématiquement que visuellement. Plusieurs considérations ont motivé ce choix : offrant aux regards ses usines, lumières artificielles et transports mécanisés, elle est (du moins jusqu’à la construction de Brasília) l’image même du renouveau industriel dans un pays encore très largement dominé par l’exploitation agricole et l’élevage ; ville née de l’immigration (italienne, portugaise et allemande, puis libanaise, syrienne et japonaise au début du XXème siècle), elle constitue le lieu de rencontre entre différentes cultures et différents modèles de sociabilité ; et enfin, symbole d’une modernité architecturale, elle fournit aux cinéastes surfaces planes, reflets et symétries – un matériau propre à l’invention d’un nouveau langage visuel. Filmer São Paulo, c’est se confronter à un espace et à une société en pleine mutation. Chaque film tourné à « Sampa » révèle donc toujours une perspective (enthousiaste ou critique) sur ce double processus d’’industrialisation et d’« occidentalisation » du pays ; mais par le simple fait d’avoir recours au médium cinématographique, art industriel et nativement occidental, chaque cinéaste participe inévitablement, et très paradoxalement, de ces mêmes processus. Ainsi que nous allons le voir, il a fallu plusieurs décennies avant que les artistes, les producteurs et les critiques ne s’éveillent à la conscience de ce paradoxe, et en tirent les conséquences : c’est précisément cette progressive évolution des mentalités, et la façon dont les films en témoignent, qui fera l’objet de cet article.

Le cinéma des premiers temps, ou la promotion paradoxale d’une « brasilité » rurale, au détriment d’une modernité urbaine encore suspecte (1897-1929)

Dans les toutes premières décennies du siècle, la production cinématographique brésilienne se limite essentiellement à des court-métrages documentaires : c’est l’époque de la cavação et des cinejornais (actualités filmées financées par la haute bourgeoisie industrielle pauliste, souvent politiquement et moralement très conservatrices). Très rapidement, ce nouveau médium de communication apparaît comme un moyen de présenter à un large public les États les plus éloignés des zones urbaines. « Tous les Brésiliens ont l’obligation de connaître leur patrie ! Le Brésil, l’un des plus grands pays du monde, est encore ignoré par la quasi-totalité des Brésiliens8 ! », proclament les annonces publicitaires de films aux titres évocateurs : Campagnes du Brésil, Voyage au Brésil, Brésil pittoresque, Brésil inconnu, Brésil grandiose… Dans son article « A Cidade, o campo », Jean-Claude Bernardet voit dans ces films :

[…] l’exaltation de la vie paysanne et de l’intérieur du pays en réaction contre le capitalisme urbain, comme une préservation de l’originalité brésilienne, d’une brasilité contre le capitalisme cosmopolite […] et contre les formes de culture qui défigureraient cette brasilité9.

Mais si le sujet de ces premiers films se veut authentiquement « brésilien », c’est-à-dire, comme on le voit, rural, l’objet « film » quant à lui, par son mode de production et de diffusion, ne peut se passer d’être un produit industriel. De là provient l’un des paradoxes les plus frappants de la littérature critique de cette époque : par exemple, un critique de l’Estado de São Paulo écrit en 1917, au sujet de O Curandeiro : « Quant à la partie photographique, on ne pouvait pas rêver mieux […] il y a des “trucsˮ et effets cinématographiques qui jusqu’ici n’existaient que sur les pellicules américaines10. » Dans une perspective aussi ouvertement patriotique de présentation et de glorification de la culture locale, n’est-il pas curieux que l’emprunt d’une esthétique importée soit présenté comme une qualité essentielle du film ?

Dans le même temps, la ville moderne, et en particulier São Paulo, se voit présentée dans les premières fictions comme le berceau de tous les vices. Le cinéma balbutiant hérite ainsi d’une importante tradition littéraire et théâtrale, encore incarnée au début du XXème siècle par Artur de Azevedo, et qui perdurera jusqu’à l’époque contemporaine, consistant à dépeindre la « grande ville » comme un lieu de perdition morale : Nhô Anastacio chegou de viagem (Júlio Ferrez, 1908), A Capital Federal (Luis de Barros, 1923), O Candinho (1954, adaptation par le cinéaste très populaire Mazzaropi du conte Candide de Voltaire), ou encore O Diabo mora no sangue (Cecil Thiré, 1968) racontent tous l’histoire d’un personnage naïf et innocent, fraîchement arrivé de sa campagne natale, et découvrant à ses dépens la corruption, la pauvreté, l’alcool et le travail abrutissant à l’usine. L’exemple le plus frappant dans la période qui nous intéresse est sans doute Fragmentos da vida, réalisé en 1929 par José Medina. Le film présente l’histoire d’un jeune vagabond cherchant, afin de passer l’hiver au chaud, à se faire arrêter par les forces de l’ordre ; cette idée est prétexte à nombre de gags comiques. Mais la première scène du film, elle, n’a rien d’humoristique : nous y voyons le père du vagabond, ouvrier travaillant à l’élévation d’un grand building dans le centre-ville, tombant de son échafaudage et faisant promettre à son jeune fils de mener une vie morale et droite. Un panneau informe le spectateur que cette scène date d’« il y a moins de quinze ans, [à l’époque où] São Paulo, qui engrangeait les énergies, était loin d’être la ville-tourbillon qu’elle est aujourd’hui11 », et le prologue se conclut, après l’accident du père, par le panneau suivant : « Comme si elle se réveillait d’un grand rêve, la ville de São Paulo, d’un moment à l’autre, se transforma radicalement, se couvrant de gratte-ciels, s’étalant sur des places, où régnaient jusqu’alors le raffinement, le bon goût de ses habitants12. » Hormis ce panneau, les images elles-mêmes ne montrent pas une seule fois ces « gratte-ciels ». De façon très schématique, l’ouvrier vertueux est donc associé à un âge d’or pré-industrialisation (il est même tué par l’industrie), et le vagabond, amoral, à l’époque industrielle ; mais d’un point de vue cinématographique, ce discours très critique et moralisateur sur les périls de l’ère moderne n’occasionne aucune réflexion visuelle ou formelle. Que la corruption morale de la ville provienne de l’industrie est un fait reconnu ; mais que le cinéma soit le produit de cette même industrie, tous préfèrent l’ignorer.

L’ère de « l’enchantement cosmopolite13 » : le cinéma devient le bras armé d’une propagande moderniste (1929-1948)

Dans ce contexte, la première rupture de l’histoire de la représentation de la ville de São Paulo au cinéma semble être São Paulo, Symphonie de la métropole (Sinfonia da metropole, Adalberto Kemeny et Rudolf Rex Lustig, 1929). Ce long-métrage documentaire, faisant l’éloge univoque de la modernisation de la ville, ressort de la production contemporaine pour différentes raisons : sa durée, tout d’abord (exceptionnellement longue pour un documentaire) ; son coût de production très élevé, la durée du tournage (plus d’un an), et aussi sa sophistication formelle (le film utilise des cadres soignés, une lumière contrastée, de nombreux effets de surimpression…). Pour manifester l’efficacité des employés des postes et télégraphes, l’image des nuques des travailleurs appliqués, leurs mains s’agitant sur les machines à écrire, et les rouages desdites machines en fonctionnement ; un peu plus loin, l’emploi d’images dupliquées et multipliées à l’écran (séparé en quatre sous-cadres reproduisant la même image en miroir) fait entrer en collision voitures et bus, comme pour manifester visuellement la folie du trafic pauliste. Pour la première fois, le médium cinématographique est donc consciemment et explicitement exploité pour son lien privilégié avec l’industrie moderne : l’enthousiasme des cinéastes pour les moyens techniques dont dispose le cinéma se superpose très exactement à l’optimisme exubérant dont le film fait preuve au sujet du développement industriel de la ville. En bon fils de l’industrie, le cinéma apparaît donc comme le médium de choix pour diffuser les messages d’une propagande moderniste. Le discours en est d’ailleurs d’autant plus univoque que le tournage d’un tel film nécessite des financements importants d’institutions publiques et privées. Soucieux de ménager ses mécènes, le film accompagne des cérémonies militaires, expose longuement les bâtiments des secrétaires d’État, présente en un long travelling de l’avenue Brigadeiro Luiz Antônio l’immeuble de la Ciné Paramount jusqu’au panneau final du film qui indique : « Et l’homme, qui soumit la Nature à sa volonté de fer, en transformant les éléments les plus résistants en forces de progrès, contempla son œuvre superbe14. » Le film semble tout ignorer de la crise économique mondiale qui se profile (nous sommes en 1929), et fait même soigneusement l’impasse sur tout ce qui pourrait suggérer une situation de conflit social ou professionnel : le livreur de lait, par exemple, dépose ses bouteilles sur le bord de la fenêtre d’une maison bourgeoise, et prend soin de s’effacer de l’écran avant qu’une main lourde de bagues ne saisisse les bouteilles et ne les emporte à l’intérieur.

Mais un aspect du film nous interpelle ici particulièrement : le film prend ouvertement modèle sur Berlin, Symphonie d’une grande ville (Berlin, Sinfonie der Großstadt, Walther Ruttmann, 1927). Lui aussi film officiel, lui aussi chantant les louanges de l’industrialisation galopante et développant des ressources cinématographiques similaires à celles que nous avons déjà décrites, le documentaire allemand présente un nombre impressionnant de similitudes avec le film de Kemeny et Lustig. Pourquoi faut-il donc qu’un documentaire brésilien portant explicitement (et portant aux nues) la modernisation du pays emprunte sa forme cinématographique à un modèle européen ? Ceci n’empêche pas les réalisateurs, au demeurant, de conclure leur film sur des panneaux prédisant l’avènement de São Paulo au rang des premières métropoles mondiales, et d’offrir, en guise d’image ultime, la superposition d’une petite planète Terre tournant sur elle-même, et de la bannière Ordem e Progresso du drapeau national. Le film se présente donc comme un objet très curieusement nationaliste : malgré la coïncidence évidente de l’objet du discours (la modernisation foudroyante de la ville) et de la forme filmique employée (multipliant les « effets », aujourd’hui un peu passés de mode, mais qui témoignaient à l’époque de la modernité du médium), et malgré l’affirmation tonitruante de la suprématie de l’industrie brésilienne sur le reste du monde, les réalisateurs persistent dans leur recours aux modèles esthétiques importés d’Europe, plutôt que de développer un langage visuel et sonore propre. Encore dans les années 1930, on ne pense pas la modernité autrement qu’à travers le prisme de l’Occident.

Le cinema novo part en campagne : vers l’invention d’un langage cinématographique national (1949-1964)

Cet état des choses évolue relativement peu, en réalité, jusqu’au milieu des années 1950. Dans le domaine de la production cinématographique se produit alors un événement fondamental : la Companhia Cinematografica Vera Cruz, grande compagnie de production fondée à São Paulo en 1949 et empruntant explicitement son modèle économique aux majors nord-américaines, fait la faillite après seulement six années d’activité. Avec elle, c’est un rêve qui s’écroule, et peut-être aussi une idéologie toute entière : chez les producteurs et les cinéastes s’éveille la conscience de la nécessité, pour le Brésil, d’inventer un mode de production qui corresponde aux structures économiques du pays, plutôt que de s’évertuer à importer des modèles inadaptés. Le mimétisme vis-à-vis du modèle étasunien n’est plus une voie valable. Or, cette prise de conscience se produit à une époque d’ébullition intellectuelle et économique : l’arrivée au pouvoir de João Goulart, en 1961, lance dans le pays une large prise de conscience des problèmes sociaux et politiques du pays. Les syndicats se développent et les mouvements de protestations se multiplient. Partout les débats populaires s’animent : on voit apparaître les « ligas camponesas » progressistes dans les campagnes, auxquelles s’opposent des marches en faveur de Dieu, de la famille et de la liberté. Un débat s’amorce autour de la réforme agraire et sur la question de l’expatriation des fonds nationaux : les intellectuels et artistes se voient mis en face de l’obligation morale de s’engager auprès d’un parti et de produire des films idéologiques.

C’est à ce moment de l’histoire qu’entre en scène le cinema novo, à la fois témoin et acteur de ce mouvement de politisation de la société brésilienne. En développant sa théorie de l’« esthétique de la faim », Glauber Rocha énonce la thématique principale du cinéma de cette période : il s’agira de filmer le peuple et la misère sociale. Et il ajoute : il s’agira de filmer les pauvres, pauvrement. C’est le documentaire Aruanda, réalisé par Linduarte Noronha en 1959 à Paraiba, petit État sans tradition cinématographique aucune, qui lui aurait ouvert les yeux. Ce film, présentant une tribu indigène qui jusqu’alors avait survécu dans un système économique primitif, sans argent, employait les moyens cinématographiques les plus modestes : piètre qualité sonore, lumière instable, faux-raccords hurlants associant un champ de jour et un contre-champ nocturne. Mais au lieu de regarder le film avec commisération ou honte, le cinéaste perçut dans ce documentaire de petite ambition économique une voie esthétique possible pour le cinéma national. Il y admira une coïncidence jusqu’alors jamais atteinte entre le propos du film et sa forme, c’est-à-dire, entre la réalité brésilienne et son expression filmique15. Il existe déjà nombre d’essais sur le cinema novo auquel le lecteur pourra se reporter pour une analyse plus approfondie des enjeux artistiques et politiques de « l’esthétique de la faim » ; mais deux aspects précis appellent ici notre attention. Nous avons vu que jusqu’alors, São Paulo avait été le décor privilégié des films cherchant à observer les mutations de la société brésilienne : que faut-il conclure du fait que les « cinémanovistes » se soient presque tous tournés vers l’intérieur du pays et les États reculés, comme si personne ne mourrait de faim en ville ? Et d’autre part, nous remarquons que le cinema novo est très fréquemment présenté comme une « acclimatation » brésilienne du néo-réalisme italien. Faut-il vraiment admettre qu’encore une fois, les solutions aux problèmes existentiels du cinéma brésilien n’ont pu qu’être importées d’Europe ?

À quelques exceptions près donc, la plupart des films présentés et étudiés aujourd’hui comme exemples du cinema novo sont des films ruraux. Nous pouvons émettre plusieurs hypothèses pour expliquer ce choix. Glauber Rocha étant lui-même originaire de l’état de Bahia, il lui était sans aucun doute naturel de filmer le Nordeste : de la même façon que Walter Khouri à qui il reprochait de ne filmer que São Paulo, Glauber Rocha « ne filmait que ce qu’il connaissait ». Mais l’attrait conjoncturel des cinémanovistes pour la terre et l’agriculture ne saurait ne dépendre que de l’origine géographique de Glauber Rocha. Une autre explication possible serait que les cinéastes, craignant que les citadins les plus pauvres – car il y en avait, à n’en pas douter, autant sinon davantage que dans les campagnes – ne ressemblent trop aux survivants de la Guerre en Europe, et soucieux, comme on l’a vu, de rendre compte des difficultés sociales propres au Brésil contemporain, furent chercher la misère là où elle était la plus ancienne, précédant l’apparition même des premiers miséreux de l’industrie naissante. Il est également probable que dans leur souci optimiste d’annoncer l’avènement d’une nouvelle ère révolutionnaire, certains des cinémanovistes aient pris pour modèle « visuel » et idéologique la Révolution russe, laquelle s’est bien davantage jouée dans les fermes et les champs que dans les usines16. Enfin, s’il est une autre explication possible, ce serait peut-être celle de la nécessité pour les cinéastes de réunir les financements indispensables au tournage du film. Ainsi que le suggère Jean-Claude Bernardet dans ses Propostas, au milieu des années 1960, le processus d’industrialisation a suffisamment avancé pour que les propriétaires d’usines représentent des financiers et producteurs bien plus intéressants que les propriétaires fonciers ou fermier. Dès lors, ce sont les grands du monde rural qui se font la cible des critiques sociales de ces films engagés, et la bourgeoisie industrielle se voit relativement épargnée. Naturellement, ces idées sont à manipuler avec précaution. Car, même si cette autocensure s’observe effectivement chez un certain nombre de cinéastes, la représentation des injustices en milieu rural a sans doute été très largement pensée comme une métaphore des conflits agitant la société brésilienne dans son ensemble.

Reste donc à discuter dans quelle mesure les films du cinema novo se présentèrent, ainsi que le suggèrent certains critiques17, comme des imitations plus ou moins serviles de modèles esthétiques importés d’Italie. Dans son article « O Neo-realismo de Rossellini », Rocha ne dissimule pas son admiration pour le maître italien ; mais ce qui l’impressionne avant tout, c’est la force du lien reliant la situation sociopolitique italienne de l’après-guerre et la nouveauté radicale de l’esthétique néo-réaliste. Naturellement, il existe des similitudes entre les esthétiques néo-réalistes et cinémanovistes : les deux courants ont rejeté les tournages en studio ; les deux sont allés chercher leurs acteurs dans la rue ; les deux ont exploré les potentialités d’une caméra au mouvement fluide, à hauteur d’homme, sans la lourdeur du dispositif hollywoodien. Mais il est visible que ce que Glauber Rocha a emprunté à Rossellini, ce n’est pas tant un produit fini qu’il aurait copié aveuglément, que le processus de réflexion et d’analyse en amont de la production. Voulant imiter Allemagne, année zéro, Rocha aurait dû se rendre dans les ruines du vieux centre de São Paulo pour y trouver un appartement étriqué où se serait éteint un pauvre vieillard ; c’est en ayant analysé la relation de l’Allemagne à son passé et à son avenir que Rocha prit le parti de réaliser son œuvre dans le Nordeste, lui aussi lieu de passé et de honte. Ainsi, le cinéaste peut écrire : « Je filmais “à la Rossellini” ou “à la Rome, ville ouverte”, je veux dire, je filmais avec l’attitude et le courage, avec peu de pellicule, en improvisant, mais guidé par ce sens de la réalité qu’a Rossellini18. »

Aussi ces films ruraux de la première moitié des années 1960 apparaissent-ils comme une étape fondamentale du processus menant, dans le domaine de la production cinématographique, à l’élaboration d’un concept de « modernité » proprement brésilien. L’adéquation de la forme filmique employée et du discours promu par le film, esquissée avec optimisme et exubérance dans São Paulo, Sinfonia da metropole, se voit ici inversée, puisque l’indigence des personnages rencontre le peu de moyens financiers dont dispose le cinéaste ; et le rapport entretenu par le réalisateur aux « modèles » esthétiques européens y est également décalé, puisqu’il ne s’est plus agi d’en imiter la forme, mais d’analyser et de questionner leur genèse esthétique. En un sens, notre article pourrait donc s’interrompre ici : il semble qu’avec Rocha, le cinéma brésilien ait atteint une forme de maturité, et soit parvenu à fabriquer son propre concept de modernité, tant par le modèle économique adopté que sur le plan esthétique. Mais si l’œuvre de Rocha représente bien une forme d’aboutissement du processus que nous nous sommes attachée à décrire, elle n’en est pas, ainsi que nous allons le voir désormais, la résolution définitive.

Les dernières années de liberté d’expression : abandon de l’idéal d’un cinéma nationaliste et expérimentations marginales (1964-1969)

C’est donc à ce moment que le coup d’état militaire de 1964 vint renverser la donne. Ainsi que l’exprime de façon très synthétique Inacio Araujo, réalisateur et critique contemporain :

D’une heure à l’autre, le cinema novo commença à paraître obsolète. L’idée de « national », tel que conçu par lui, paraissait soudainement quelque chose de caduque. […] Le désir constructif d’instaurer un cinéma national, de l’institutionnaliser, alors que l’État devenait soudainement répressif, paraissait une insanité19.

Après l’instauration de la dictature militaire, l’idéal d’un cinéma national patriote, qui avait, comme on l’a vu, guidé les productions brésiliennes pendant un demi-siècle, prit un sens beaucoup plus trouble. Cependant, les mesures répressives mirent plusieurs années à se mettre véritablement en place ; dès 1964, le gouvernement militaire démantela les Centres Populaires de Culture et empêcha autant que possible les organismes publics de financer activement les films (le Geicine, Grupo Executivo da Industria Cinematografica, par exemple, se fait annexer par le Ministère de l’Industrie et du Commerce). Mais il fallut attendre 1966 pour que se mette en place le INC (Instituto Nacional de Cinema), destiné officiellement à promouvoir la production de films « exportables » et à contrôler le flux d’importation de films étrangers sur le marché national, puis progressivement détourné de son objectif initial et transformé en un organe de surveillance et de contrôle du marché du travail cinématographique. C’est finalement en 1969 qu’est mis en place l’AI-520 et c’est à cette date aussi que voit le jour l’Embrafilme, véritable institution de censure. En raison de la lenteur relative de ce processus de restriction des libertés d’expression, entre 1964 et 1969, les intellectuels et artistes peinent à croire à la réalité de la dictature. Et c’est pendant ces quelques années d’incrédulité qu’un petit groupe de jeunes gens, originaires de São Paulo et regroupés dans le quartier de la « Boca do Lixo21 » (littéralement « Bouche à ordures » – aujourd’hui davantage connu sous le nom, tout aussi explicite, de « Crackoland »), développe en réaction à ces premières pressions politiques un mode de production radical, minimaliste, à l’écart de toute forme d’institution : leurs films seront par la suite regroupés, dans l’histoire du cinéma brésilien, sous le nom de « cinéma marginal ».

Là où le cinema novo présentait encore un discours relativement optimiste quant à l’arrivée de la révolution salutaire et la réunion finale des opposants de la lutte sociale, le cinéma marginal se fait idéologiquement beaucoup plus sombre. Pour le Brésil, plus de salut à venir : le film marginal est un film de fin du monde. Il se traduit par un retour de la civilisation moderne à une sexualité primitive et bestiale (Gamal, o delirio do sexo, João Batisto de Andrade, 1970), par une invasion extraterrestre (O Bandido da Luz Vermelha, Rogério Sganzerla, 1967), par l’avènement au pouvoir d’un Hitler brésilien (Hitler Terceiro mundo, José Agrippino de Paula, 1968), ou – plus littéralement – par une hécatombe (A Margem, Ozualdo Candeias, 1967). Sur bien des points, le cinéma marginal apparaît donc comme une radicalisation du discours cinémanoviste ; là où le père révélait et illuminait la misère sociale, les fils assument et exhibent la « vulgarité » populaire brésilienne. Inacio Araujo, encore une fois, en propose l’analyse suivante : « Le bien-faire, la grammaire adaptée, la lumière bien composée ne voulaient plus dire grand-chose. Le cinéma n’était plus un art, mais bien une guérilla contre le bon goût, le monde établi, les personnes bien dans leur peau22. »

Si cette démarche intéresse directement notre problématique, c’est qu’elle s’est très souvent traduite, d’un point de vue esthétique, par un recours systématisé à la parodie et au pastiche de films « occidentaux ». « Nombre de ces films organise une espèce de collage de matériaux recueillis, promouvant l’idée selon laquelle le Tiers-monde ne ferait que ramasser les miettes du Premier23. » C’est cette tendance à emprunter au cinéma occidental ses scènes classiques pour les détourner qui a poussé Glauber Rocha à baptiser ce mouvement « Udigrudi » – appellation performative s’il en est, puisque provenant d’une déformation du « underground » américain dont certains cinéastes marginaux se proclamaient effectivement les parents pauvres. Du reste, le corpus occidental n’est pas la seule cible de la parodie marginale ; les cinéastes se jouent également des codes du cinéma national, de la chanchada24 la plus vulgaire au meilleur du cinema novo.

L’un des meilleurs exemples des films produits au cours de cette période est Le Bandit de la lumière rouge (O Bandido da Luz Vermelha, Rogério Sganzerla, 1967). Le film se présente, au premier abord, comme un collage désordonné de bouts de pastiches et de parodies de films occidentaux et brésiliens, auquel le cinéaste a ajouté une bande-son elle-même hétérogène, formée d’un programme de radio grand public et d’un alliage de musiques d’origines diverses. Pour analyser correctement ce parti pris, celui de « l’esthétique de l’ordure », du mauvais goût revendiqué et du patchwork de citations, il semble utile de revenir en arrière quelques instants pour évoquer le texte fondateur qui donna naissance à ce courant esthétique brésilien consistant à s’approprier voracement les cultures étrangères : le Manifeste anthropophage du poète Oswald de Andrade, rédigé en 1928. Le texte défend la légitimité du mécanisme créatif consistant à intégrer, au sein de la culture nationale, des éléments issus de cultures étrangères. Il se moque de la soumission des élites intellectuelles brésiliennes à l’égard des pouvoirs culturels occidentaux. Mais, conscient de la valeur intrinsèque desdits chefs-d’œuvre occidentaux, il défend l’art de la « déglutition » (le vocabulaire de l’anthropophagie semble avoir été choisi à dessein pour sa violence métaphorique). « Ne m’intéresse que ce qui n’est pas mien25 », affirme-t-il, avant de proposer la formule qui restera le mot d’ordre du mouvement, efficace par sa performativité : « Tupi or not Tupi that is the question » (en « anglais » dans le texte), expression importée de la culture occidentale et « acclimatée » à la culture brésilienne (les tupis composent, encore aujourd’hui, l’ethnie indigène démographiquement la plus importante du Brésil). La tendance qu’a eue le cinéma marginal à s’emparer des images occidentales pour les détourner le pose donc ouvertement en héritier de ce courant littéraire des années 1930.

Que pouvons-nous observer, dès lors, dans Le Bandit de la lumière rouge, qui nourrisse notre réflexion sur l’acclimatation, par le cinéma brésilien, du concept de « modernité » ? Rappelons rapidement l’intrigue du film avant de nous pencher plus précisément sur les ressources formelles de l’œuvre : on suit le parcours d’un bandit, interprété par Paulo Villaça, qui traverse une crise identitaire et existentielle ; on assiste à plusieurs de ses rapines, puis à ses différentes tentatives de suicide, jusqu’à la dernière – qui aboutit. Sur son chemin, il rencontre Janet Jane, une prostituée libre et désinvolte qui finira par le vendre aux forces de l’ordre. Le récit est rythmé par la voix off de deux présentateurs radio. Ce résumé de l’intrigue, insuffisant à retracer la complexité narrative du film, donne toutefois quelques pistes concernant ses influences occidentales. La trahison de la compagne rappelle sans aucun doute celle « dégueulasse » d’À bout de souffle, tandis que le suicide final évoque (c’est évident lorsqu’on compare les deux images) Pierrot le fou ; la quête identitaire rythmée par une narration déstructurée, faite de flashbacks et d’ellipses, n’est pas sans évoquer le récit wellesien (on sait combien le réalisateur américain influença Sganzerla, qui ira jusqu’à lui consacrer deux films, Nem tudo é verdade en 1986 et Tudo é Brasil en 1997). Le film cite abondamment La Soif du mal (A Touch of Evil, 1958), et fait sans aucun doute référence à La Guerre des mondes (The War of the Worlds, dont l’adaptation radiophonique date de 1938) lors de son final apocalyptique (en même temps que des panneaux lumineux proclament l’invasion de Bahia par les forces militaires, une soucoupe volante atterrit dans la « Boca do Lixo »). La Symphonie n°5 de Beethoven, sommet s’il en est de la culture musicale européenne, est diffusée en même temps qu’une chanson populaire nationale de Luiz Gonzaga, Asa Branca. Le cinéaste lui-même, le « Glauber de l’asphalte », comme Carlos Reichenbach se plaisait à l’appeler, a toujours revendiqué l’hétérogénéité générique de son film. Dans son manifeste de 1968, il le décrit comme un « western sur le Tiers-monde » – mais aussi « musical, documentaire, policier, comédie, chanchada et film de science-fiction ». Il cite Rossellini pour la sincérité, Fuller pour le policier, Sennett et Keaton pour la comédie et le « rythme anarchique », enfin le western de Hawks et Mann pour les plans larges et les grands espaces26.

Aussi la forme même du film semble-t-elle épouser le questionnement existentiel qui trouble le personnage principal : « Qui suis-je ? » ne cesse ainsi de se demander le Bandit, sa voix (off) se mêlant aux voix des journalistes de radio qui le qualifient successivement de « Robin des bois », « tueur trafiquant », « phénomène freudien ». Et la ville, réceptacle d’images issues d’horizons divers, se fait le berceau de ce questionnement identitaire : la « Boca do Lixo », sur laquelle on colle l’image de New-York comme celle des rues sombres de « Frisco », quand elle ne recrée pas la plage de Pierrot le fou sur le littoral pauliste, perd elle-même de ses cohérences spatiale, sociale, historique. Le cinéma brésilien tout entier, peut-être, recevant du public national, du gouvernement militaire autoritaire, et des critiques internationaux, des directives diverses quant au discours à tenir, cherche une voie qu’il peine à trouver. Et si l’on maintient jusqu’au bout cette superposition du sort du personnage et celui du cinéma national, quelle conclusion tirer du suicide final du Bandit ?

Conclusion : la modernité contrariée du cinéma brésilien

Au début de cet article, nous nous demandions pourquoi le cinéma brésilien doit encore, plus d’un siècle après sa naissance, répondre de sa légitimité en tant qu’art national – alors que la question n’est jamais posée, ou du moins pas dans des termes aussi brûlants, dans le domaine de la musique ou de la littérature. La réponse, avions-nous suggéré, se trouve dans la nature technique du médium cinématographique : en tant que forme artistique née de (et indissociablement liée à) l’industrialisation des moyens de production, le cinéma ne peut que très difficilement faire oublier son origine occidentale, même lorsqu’il s’emploie à mettre en valeur des formes de culture locales et ancestrales. Dans le schéma opposant le « traditionnel » au « moderne » (l’opposition peut paraître simpliste, mais elle sous-tend la plupart des films que nous avons étudiés, de Fragmentos da vida aux films ruraux de Glauber Rocha), le film est donc toujours, par sa nature même, du côté du moderne. La solution de l’équation, posée en ces termes, paraît donc évidente : le cinéma brésilien ne pourra être considéré indépendamment de la relation qu’il entretient avec le cinéma occidental que lorsque le concept de « modernité » se sera entièrement détaché de celui d’« Occident ».

Toutefois, en survolant comme nous l’avons fait (trop rapidement, bien sûr) un demi-siècle de cinéma brésilien, il est possible de percevoir la complexité de ce processus. Pendant longtemps, les cinématographies étasuniennes et européennes ont été posées en modèle absolu par les producteurs brésiliens : ils ont cherché à en reproduire les structures économiques (à leurs dépens, comme l’a montré l’exemple de la Vera Cruz) et en ont emprunté les « trucs » visuels et narratifs (São Paulo, Symphonie de la métropole). Jusque dans les années 1950, même si certains cherchent à s’en distinguer, l’Occident reste le lieu où s’invente la modernité. En ce sens, si Glauber Rocha, par ses textes et ses films, parvient à sortir de ce système binaire opposant la modernité occidentale à la tradition brésilienne, c’est en décalant le sens même du terme de « modernité » : il invite ses contemporains à penser le moderne en-dehors du technologique. En choisissant de tourner en lumière naturelle, avec une caméra légère, une équipe extrêmement réduite, et en prise de son direct, il réduit au maximum la dimension technique de l’objet filmique ; et, par un tour de force rhétorique, il pose par là même les jalons d’une nouvelle définition du concept de modernité, où primerait la dimension novatrice du geste créateur.

Mais le coup d’état militaire, escorté, comme toujours, d’un bataillon de censeurs, vint couper cet élan avant même que son potentiel révolutionnaire ne soit perçu par les contemporains. Ce que les films marginaux de la fin des années 1960 illustrent, en ce sens, c’est l’effondrement de l’idéal d’un cinéma proprement brésilien, indépendant et novateur : sous la dictature, le « national » devient suspect, par principe, et le « novateur » a un goût amer. La génération de Sganzerla, Person et Candeias ne croit plus au « moderne ». Limité dans sa production, contraint par le manque de moyens financiers dont il dispose, le cinéma brésilien entre alors dans la période probablement la plus populaire et haïe de son histoire : celle du film musical érotique (Sganzerla écrira à ce sujet, bien des années plus tard : « la pornochanchada fut une conséquence, un effet, et non une cause de ce moment où le bateau – ou la cathédrale – du cinéma brésilien s’est enfoncé dans l’eau et que les rats – comme toujours – sont montés sur le pont, comblés27 »). Le cinéma brésilien entre, au tournant des années 1970, dans un tunnel d’où il ne sortira que de longues décennies plus tard.

 

Notes et références

  • 1 « Não é possível entender qualquer coisa que seja no cinema brasileiro, se não se tiver sempre em mente a presença maciça e agressiva, no mercado interno, do filme estrangeiro », Jean-Claude Bernadet, « Cinema brasileiro : propostas para uma história », Cinema brasileiro : propostas para uma história (1979), São Paulo, Companhia das Letras, 2009, p. 21.
  • 2 Ismaïl Xavier, Alegorias do subdesenvolvimento, São Paulo, Editora Brasiliense, 1993.
  • 3 Paulo Emilio Salles Gomes, Cinema : trajetória no subdesenvolvimento, Rio de Janeiro, Paz e Terra/Embrafilme, 1980.
  • 4 Le terme recouvre, naturellement, des réalités fluctuantes, et son emploi mériterait une justification plus développée que la longueur de cet article ne le permet. Nous l’entendons ici dans son usage géopolitique, plus que géographique, c’est-à-dire en désignant sous cette appellation les pays d’Europe et les États-Unis : c’est du reste ainsi que l’emploient la plupart des auteurs de notre bibliographie, en opposant le cinéma « occidental » aux films « nationaux », c’est-à-dire brésiliens.
  • 5 Jim Pines, Paul Willemen [dir.], Questions of Third Cinema, London, British Film Institute, 1989.
  • 6 Anecdote rapportée par Jean-Claude Bernadet, op.cit., p. 47.
  • 7 Jean Baudrillard, Alain Brunn, Jacinto Lageira, « Modernité », Encyclopædia Universalis [en ligne],  http://www.universalis.fr/encyclopedie/modernite/ [consulté le 5 octobre 2015].
  • 8 « Todos os brasileiros têm obrigação de conhecer a sua patria ! O Brasil, um dos miores paises do mundo, é ainda ignorado pela quase totalidade dos brasileiros ! », « Viagem ao Brasil », O Estado de S. Paulo, São Paulo, 1928, cité par Jean-Claude Bernardet, op.cit., p. 17.
  • 9 « Essa exaltação do interior e da vida sertaneja como reação contra o capitalismo urbano, como preservação de uma originalidade brasileira, de uma brasilidade contra o capitalismo cosmopolita […] e contra as formas de cultura que desfigurariam esta brasilidade », Jean-Claude Bernadet, « A Cidade, o campo », Cinema brasileiro; 8 estudos, Rio de Janeiro, Edição Embrafilme (Funarte), 1980, p. 140 (nous soulignons).
  • 10 « Quanto à parte fotografica, não se pode desejar melhor […] ha “trucsˮ e efeitos de cinematografia que so possuem as peliculas americanas », cité par Jean-Claude Bernadet, ibid., p. 142-143.
  • 11 « Data apenas de uns quinze annos, São Paulo, que armazenava energias, estava longe de ser a cidade-encanto que é agora ».
  • 12 « Como se despertasse de um grande somno, a cidade de São Paulo, de um momento para outro, transformava-se radicalmente, cobrindo-se de arranhacéos, esteirando-se de praças, onde predominava o requinte e o gosto de seus habitantes ».
  • 13 Rubens Machado Jr., Imagens brasileiras da metropole – A presença da cidade de São Paulo na historia do cinema, thèse d’État non publiée.
  • 14 « E o homem, que subjuga a Natureza a sua vontade de ferro, transformando as pousas mais rudes em forças de progresso, contempla a sua obra soberba ».
  • 15 Glauber Rocha, « Pour une esthétique de la faim », Dérives [en ligne], n° 3 (2015), http://www.derives.tv/Esthetique-de-la-faim.
  • 16 Le lecteur curieux pourra lire l’article de Glauber Rocha intitulé « Eisenstein e a Revolução sovietica », O Século do cinema, Rio de Janeiro, Editorial Alhambra, 1983.
  • 17 Annick Lemperière, Georges Lomne, Frédéric Martinez et Denis Rolland [dir.], L’Amérique latine et les modèles européens, Paris, L’Harmattan, 1998.
  • 18 « Eu filmava “à la Rossellini” ou “à la Roma, Cidade Aberta”, quer dizer, filmava com a cara e a coragem, com pouca película, improvisando, mas guiado por aquele sentido da realidade de Rosselini », Glauber Rocha, « A passagem das mitologias », O Século do cinema, op.cit., p. 248.
  • 19 « De uma hora para outra, o Cinema Novo começou a parecer obsoleto. A ideia de “nacional”, tal como era concebida por ele, de repente parecia um,a coisa caquética. […] O desejo construtivo de instaurar um cinema macional, de institucionalizá-lo, enquanto o Estado se mostrava uma coisa brutalmente repressora, parecia uma insânia », « No meio da Tempestade », Ibid., p. 28.
  • 20 Ensemble de décrets se substituant à la Constitution de 1967, accordant des pouvoirs quasi-illimités au chef d’État, notamment concernant la limitation des libertés d’expression publique et privée et la répression des contrevenants.
  • 21 Situé au cœur du plus ancien foyer historique de la ville (on lui refuse, de ce fait, le nom de « périphérie » ou de « favela »), il était traditionnellement l’abri des prostituées et trafiquants, ainsi que des professionnels du cinéma. Inicio Araujo, toujours, écrit : « Ce n’est pas par hasard que, ici à São Paulo, ce cinéma n’a pas tardé à se faire connaître comme “Boca do lixo”. […] La zone de prostitution, en somme. Meilleur symbolisme, impossible ». (« Não será por acaso que, aqui em São Paulo, este cinema logo se torna conhecido como Boca do Lixo. […] A zona da prostituição, em suma. Melhor simbolismo, impossível ») Inicio Araujo, « No meio da Tempestade », op. cit., p. 28.
  • 22 « O bem-feito, a gramática ajeitada, a luz bem composta não queriam dizer muita coisa. O cinema não era uma arte, e sim uma guerrilha contra o bom gosto, contra o mundo estabelecido, as pessoas bnem em sua pele », Inácio Araújo, ibidem.
  • 23 « Muitos desses filmes organizam uma espécie de colagem de materiais achados, promovendo a noção de que o Terceiro Mundo só herda as migalhas do Primeiro », João Luiz Vieira, « Lixo, marginais e chanchada », Cinema Marginal brasileiro e suas fronteiras. Filmes produzidos nos anos 1960 e 1970, São Paulo, Heco Produções Ltda, 2012, p. 107.
  • 24 Extrêmement populaire entre 1930 et 1960, la chanchada est un genre cinématographique à la croisée de la comédie musicale, du spectacle burlesque et du grand guignol.
  • 25 « So me interessa o que não é meu ». Le texte original est disponible à cette adresse : http://www.tanto.com.br/manifestoantropofago.htm et en traduction anglaise ici : dmp.bard.edu/wp-content/uploads/2011/11/Andrade_CannibalistManifesto.pdf [consulté le 5 juin 2015].
  • 26 Le texte intégral est lisible en portugais sur la page suivante : http://www.contracampo.com.br/27/cinemaforadalei.htm [consultée le 5 juin 2015].
  • 27 « A pornochanchada é um efeito, uma consequëncia, e não causa daquele momento em que o navio – ou a catedral – do cinema brasileiro foi para o fundo e os ratos como sempre – subiram à tona, satisfeitissimos », Rogério Sganzerla dans la revue Status,1977, cité par Jean-Claude Bernardet dans O Bandido da luz vermelha, São Paulo, Fundação para o desenvolvimento da educação, 1992.

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ISSN  2534-6431