Plan de l'article :
- Produire « pour rien » : la dépense de l’amateur
- Le potentiel émancipateur d’une « société d’amateurs »
- La ruine du groupement ou la communauté désœuvrée
- Conclusion : la « société d’amateurs » ou l’imagination de l’impossible
Contre l’agitation et la dimension gestionnaire de la vie quotidienne, Barthes cultive tout au long de son œuvre une forme de dilection pour l'effacement et l’oisiveté. Il réfléchit à des formes de vies alternatives, en marge de la communauté politique instituée. Cette manière marginale de conduire sa vie semble se cristalliser dans la figure de l’amateur. Dans les années 1970, le terme revient de plus en plus fréquemment, sous une forme substantivée, dotée d’une majuscule et précédé de l’article indéfini. L’Amateur est alors hissé au rang de figure. La figure, chez Barthes est une « allusion rhétorique (= un morceau cerné de discours, repérable puisque intitulable) » (OCV 549[1]). La figure n’a donc pas la rigueur philosophique d’un concept, ou l’homogénéité supposée d’une notion. Elle laisse présager les recompositions et les mobilités, comme l’a montré Mathias Écœur à propos de Barthes et la musique[2]. Précisément, si la réflexion de Barthes sur l’amateur évolue, il y a une constante : l’amateur, loin de n’être pour lui qu’une version inaboutie et par-là médiocre de l’artiste ou du professionnel, constitue toujours une figure valorisée. Par un renversement des valeurs, Barthes place « au sommet des hiérarchies esthétiques l’amateur et non pas le professionnel » (PDR 351-352).
Nous commencerons par montrer la façon dont Barthes théorise la figure de l’amateur en tant qu’individu clandestin, qui ne produirait que pour sa jouissance propre, en mobilisant la notion bataillienne de dépense (I). Ensuite, nous verrons comment Barthes en vient dans les années 1970 à multiplier les références à une « société d’amateurs », politisant par-là une figure jusqu’alors solitaire et en retrait. Sur le mode prophétique, Barthes va jusqu’à suggérer que l’advenue d’un groupement d’amateurs pourrait constituer un potentiel émancipateur pour une civilisation qui se libérerait de ses impératifs de rendement et de productivité (II). Enfin, nous tracerons un parallèle entre la « société d’amateurs » et la micro-communauté idiorrythmique théorisée par Barthes dans son premier cours au Collège de France. À ce titre, nous nous demanderons si la « société d’amateurs » pourrait être fondée pratiquement, ou si elle est condamnée à n’être qu’un fantasme. Ne faut-il pas considérer que seule une communauté fondée par sa négation pourrait constituer un véritable rempart contre les récupérations politiques ou économiques ? En ce sens, la « société d’amateurs » ne pourrait exister autrement que comme utopie ou comme imagination de l’impossible.
Produire « pour rien » : la dépense de l’amateur
Les discours qui entourent la figure de l’amateur chez Barthes sont toujours positifs. Cela est d’autant plus surprenant que, comme l’a justement montré Adrien Chassain, l’amateur, dans l’usage commun, est souvent présenté comme l’envers du professionnel, du fait de « sa technique défaillante, son manque de rigueur ou son rapport passif, de simple connaisseur, à la création[3] ». Comme le souligne Barthes, « le “bon sens” a une certaine commisération pour l’amateurisme » (OCV 574). Ordinairement, ajoute-t-il, « l’amateur est défini comme une immaturation de l’artiste : quelqu’un qui ne peut — ou ne veut — se hausser à la maîtrise d’une profession » (OCV 868). Or, aux yeux de Barthes, c’est précisément parce que l’amateur n’est pas l’artiste qu’il a quelque chose en plus. Par un renversement des valeurs dont il est coutumier, Barthes va jusqu’à déclarer que « l’Artiste devrait bien, de temps en temps, simuler l’Amateur » (PDR 230). Mais qu’est-ce que l’amateur a de plus que l’artiste ? Premièrement, pour Barthes, l’amateur c’est « celui qui ne montre pas, ce qui ne se fait pas entendre » (OCIV 396). À l’image du peintre Réquichot, « qui répugnait à montrer sa peinture » (OCIV 378), l’amateur est réticent à exhiber son œuvre. Dans le secret de sa pratique, il se soustrait au regard qu’autrui et lui-même portent sur son travail. Pour Barthes, là où il y a transitivité et communication, là où l’œuvre produite est destinée à être montrée, il est impossible de se défaire de l’imago : « Quand je parle, immédiatement je pense à l’image de ma parole qui se forme en vous qui êtes là. Par là même, je suis pris dans un processus imaginaire qui est vertigineux et sans solution, sans apaisement » (PDR 441). Or, précisément, ce que l’amatorat[4] suspend, c’est la pose. L’amateur, contrairement à l’artiste, est du côté de « la jouissance pure (retirée de toute névrose) ». L’artiste, lui, dès lors qu’il se montre et montre ce qu’il produit, « doit composer avec un imago, qui est le discours que l’Autre tient sur ce qu’il fait » (OCIV 396).
Comme le souligne Claude Coste, c’est lorsque Barthes écrit, peint, ou dessine « qu’il échappe à l’Imaginaire qui vient à la fois des autres (on me représente) et de soi-même (je me représente)[5] ». L’amateur produit clandestinement et pour lui-même. Le « profit énorme de la situation d’amateur », en ce sens, « c’est qu’elle ne comporte pas d’imaginaire, de narcissisme » (OCIV 861). De plus, ne produisant pas sur commande, sa pratique est libérée de tout impératif de productivité ou de rendement. Or, précisément, Barthes, qui écrivait souvent « pour répondre à l’incitation de quelqu’un » (OCIII 1040)[6], est fatigué par les textes de commande. Dans La Préparation du roman, la commande est apparentée à une « tâche de gestion », au même titre que les « cours », les « courriers », les « rendez-vous », ou tout bonnement les « choses à faire » (PDR 256). En outre, confie Barthes, non seulement « le sujet écrivain subit une pression incessante », mais en plus, « neuf fois sur dix, ce sont des demandes innocemment venues de la doxa sociale, de la masse sociale, qui visent à [le] faire répéter ce qu’[il] a déjà dit » (PDR 21-22). Ainsi, il est logique que les activités qui comblent le plus l’amateur en lui soient justement celles qui sont déliées du travail et de la recherche universitaire :
Lire ? Mais c’est mon travail. Écrire ? Encore plus. C’est pour cela que j’aimais bien la peinture. C’est une activité absolument gratuite, corporelle, esthétique, malgré tout et en même temps un vrai repos, une vraie paresse, parce que, n’étant rien de plus qu’un amateur, je n’y investissais aucune espèce de narcissisme. Cela m’était égal de faire bien ou mal (OCV 762).
Face à cette économie de la commande, la production de l’amateur apparaît bien comme un acte de pure gratuité, ne répondant qu’à l’impulsion individuelle d’un besoin de produire pour soi. L’amateur, comme l’amoureux, produit « sans compter son temps, ses facultés, sa fortune […] sans esprit de réserve et de compensation », là où le professionnel s’insère dans « une économie bourgeoise de la réplétion » (FDA 116).
La gratuité de la production de l’amateur peut être rapprochée de la notion bataillienne de dépense[7]. Barthes revendique d’ailleurs l’emprunt à Bataille, qualifiant par ce terme tout « ce qu’on fait pour rien, sans aucune espèce d’esprit d’échange » (OCV 537). La dépense, aussi qualifiée sous la plume de Bataille d’excès, de démesure, de violence, de consumation, de consommation sans calcul, de potlatch ou encore de crue, renvoie à toutes les expériences improductives, qui n’ont d’autres fins que d’exister et qui sont inutilisables par la société marchande. Ainsi, « le luxe, les deuils, la guerre, les cultes, les constructions de monuments somptuaires, les jeux, les spectacles, les arts, l’activité sexuelle perverse (c’est-à-dire détourner de la finalité génitale)[8] », mais aussi le « rire, [l’] héroïsme, [le] sacrifice, [l’] extase, [la] poésie, [l’] érotisme, ou autres » sont « les diverses formes de la dépense[9] ». La dépense de Bataille recoupe alors les forces de la souveraineté s’opposant au travail marchand, à l’idéologie, et à la productivité. L’amateur de Barthes, en cultivant gratuitement son art sans souci de faire œuvre, fait alors acte de souveraineté. Il emblématise « un rapport émancipé à l’écriture », où « les rôles de producteur et de consommateur se confondent ou permutent », où « la technique s’exerce et se réfléchit innocemment, hors des valeurs professionnelles de perfection, de performance ou de virtuosité[10] ». Si l’amateur produit, c’est toujours par désœuvrement, c’est-à-dire sans volonté de faire œuvre : « nulle pensée du gain final : la Dépense est ouverte, à l’infini […] sans but » (OCV 116). Il ne vise alors guère la perfection, la cohérence et l’achèvement, qui sont les exigences classiques de l’œuvre. L’amateur, ajoute Barthes, « n’est nullement un héros (de la création, de la performance) » (OCIV 632) ; sa grandeur n’a rien de grandiose. Il est « celui qui fait de la peinture, de la musique, du sport, de la science, sans esprit de maîtrise ou de compétition » (OCIV 632). Sa pratique, par excellence non-œuvre, ne s’épuise pas en vain « à tenter d’arpenter une totalité dont les contours toujours se dérobent » : elle échappe ainsi « à la tyrannie du Tout inconnaissable[11] ». L’amateur, c’est donc celui qui valorise le fait de produire en soi, sans concevoir le produit fini — l’œuvre — comme une fin. En ce sens, « il met l’accent sur la production de l’œuvre et non sur l’œuvre comme produit » (OCV 574). L’amatorat revient donc à « dépenser sans terme, sans crise », ou, pour le dire autrement, à « pratiquer un rapport sans orgasme » (OCV 103). La production de l’amateur, en ce sens, est déchet[12] : elle ne prend pas place « dans une économie d’échange » (OCV 107). Le déchet, sous la plume de Barthes, désigne généralement « l’élément improductif, l’excrément auquel aboutit un processus et dont on se débarrasse sans gloire »[13]. Comment souvent chez Barthes, les termes les plus vils sont sublimés et le déchet ne doit pas être entendu en un sens péjoratif, mais bien plutôt comme ce que ni la société ni le pouvoir ne pourra récupérer — c’est bien un « déchet sans poubelle » (CVE 53), c’est-à-dire que rien ne peut contenir, assimiler. À la manière de l’écriture de Cy Twombly, le déchet « n’est pas forcément ce qui reste après qu’on en a usé, mais ce qui jeté hors d’usage » (OCV 704). En ce sens, l’amateur, pour reprendre un terme cher à Bataille, est du côté de l’hétérologie, qui englobe « l’ensemble des résultats de la dépense improductive »[14] et se compose « d’éléments impossibles à assimiler[15] ». Chez Bataille, la sphère hétérogène est le lieu de l’énergie collective et de l’élan orgiaque. Elle s’oppose à la sphère de l’homogène, celle où toute activité se voit assigner une finalité immédiate. C’est, par exemple, la sphère de la rationalité, de l’utilité et de la productivité. En suivant ce découpage, nous pourrions dire que le professionnel est du côté de l’homogène, là où l’amateur est du côté de l’hétérogène. La production de l’amateur est donc « sans emploi[16] », elle se situe « au-delà de l’utilité[17] ».
Amateur, Barthes s’est d’ailleurs revendiqué comme tel à plusieurs reprises. D’une part, il place son dernier cours au Collège de France, La Préparation du roman, sous l’hospice d’« un intérêt général pour l’Amateur, les pratiques et les valeurs de l’Amateur » (PDR 230). D’autre part, comme « la jeune fille bourgeoise du XIXe siècle » de Roland Barthes par Roland Barthes, qui « produisait inutilement, bêtement, pour elle-même […] c’était sa forme de dépense à elle » (OCIV 632), Barthes a goûté les charmes d’une pratique dilettante dans divers domaines, allant du dessin au piano en passant par la peinture. Parmi les nombreux projets de livres dont Barthes a égrené la piste dans ses textes, se trouve justement l’idée suivante : « L’amateur (consigner ce qui m’arrive lorsque je peins) » (OCIV 723). « Quand j’ai du temps », confie Barthes dans un entretien, « je fais un peu de musique ou de peinture au titre complètement assumé d’un simple amateur » (OCIV 861). C’est dans le domaine de la musique en général et du piano en particulier que la défense de l’amatorat de Barthes s’est le plus souvent exprimée. Rappelons que sa pratique du piano est ancienne, qu’elle remonte à l’enfance, et que la sœur de son père, qui habitait Bayonne, était professeur de piano. Or, si Barthes a « vécu dans une atmosphère de musique », il se targue pourtant de n’avoir « pas travaillé » et de ne posséder « aucune technique, aucune vélocité » (OCIV 861). Sa pratique musicale est entièrement du côté de la jouissance et du « non-vouloir-saisir[18] » : « l’amateur ne cherche à produire que sa propre jouissance » (OCIV 396). L’amator, étymologiquement, c’est d’ailleurs « celui qui aime et aime encore » (OCIV 632). Son amatorat tolère alors les contretemps et les fausses notes. De plus, la pratique de l’amateur engage le corps[19] : « le contact entre le corps de l’amateur et l’art est très étroit, très présent » (OCIV 861). Son rapport à la musique, par exemple, est technique, artisanal, et même sensuel, avant que d’être virtuose, cérébral ou érudit. C’est également par cette « remontée vers le corps » (OCIV 267) que s’explique l’intérêt de Barthes pour l’écriture — ou plutôt, pour la « scription » — en tant qu’activité proprement manuelle et musculaire[20]. Il s’agit de penser le geste de celui qui écrit, avant de s’intéresser au contenu même de ce qui est dit.
Ce qu’il y a de séduisant et de proprement utopique dans la posture de l’amateur, c’est précisément sa position autarcique. Or, Barthes est depuis toujours animé par ce « goût de s’arranger des espaces clos (de travail, de vie, de sommeil), protégés par des chicanes, des redans » (CVE 98). La tentation du retrait, centrale dans Comment vivre ensemble ? et dans Le Neutre, traverse en fait en filigrane toute l’œuvre. Cette situation de retrait est en fait directement liée à la condition de l’écrivain telle que la conçoit Barthes. L’écrivain est en constant décalage avec les rythmes de la société :
[...] celui qui se donne à l’écriture (si du moins j’interroge certains des auteurs et si je m’interroge moi-même) se sent séparé du monde ; non pas seulement par un acte de retraite physique, mais par un sentiment, à la limite culpabilisant, de rupture, de divorce, de séparation de valeur ; il se retire des valeurs reconnues du monde, d’une certaine façon, il se désolidarise, il renonce à une certaine complicité, en tout cas quotidienne ; s’il reste co-présent au monde, c’est par un détour que parfois il a du mal à assumer, et il se sent facilement, celui qui veut écrire et celui qui écrit, en état d’apostasie (laïque bien sûr) (PDR 638).
Ainsi, « soustraite au livre », la vie de l’écrivain est « continûment celle d’un sujet démodé » (OCIV 700). L’écrivain étant, « du moins en grande partie, infonctionnel », lui aussi développe « une utopie de la pure dépense, de la dépense “pour rien” » (OCIV 880), tout comme l’amateur. Son plaisir est proprement pervers, en ce qu’il « n’est pas rentabilisé par une finalité sociale » (OCIV 874), d’où la grande situation de marginalité qui est la sienne. En rupture de ban, l’écrivain, tout comme l’amateur, est atopique ; il est « suspendu a humanis, loin des choses humaines, par un décret tacite d’insignifiance » : il ne fait partie « d’aucun répertoire, d’aucun asile » (OCIV 261).
Le potentiel émancipateur d’une « société d’amateurs »
À côté de l’amateur comme figure, tel qu’il se donne à voir sous les traits de la jeune fille bourgeoise, de Réquichot ou de Barthes lui-même, coexiste chez Barthes une réflexion proprement politique sur l’amateur en tant que groupe, collectif ou communauté. Cette idée selon laquelle « la grande figure d’une civilisation qui se libérerait serait celle de l’amateur » (OCIV 849) est en fait ancienne. L’idée apparaît dès 1945 alors que Barthes, séjournant en sanatorium, assiste à un concert de musique de chambre : « une civilisation n’est belle que dans la mesure où il y a une circulation naturelle entre les œuvres de ses grands hommes et la vie intime de ses individus et de ses foyers » (OCI 83). Barthes regrette alors le divorce entre pratique et écoute — un thème sur lequel il reviendra en 1970 dans « Musica Practica » (OCIII 447-450). La « musique pratique », « celle que l’on joue », qui est une activité « surtout manuelle » dans laquelle « le corps commande, conduit, coordonne » en devenant « scripteur, et non récepteur, capteur », est opposée à une « musique passive, réceptive », qui est « devenue la musique (celle du concert, du festival, du disque, de la radio) » (OCIII 447). Barthes regrette alors que la pratique musicale manuelle de l’amateur, « d’abord liée à la classe oisive (aristocratique) » se soit « affadie en rite mondain à l’avènement de la démocratie bourgeoise » (OCIV 447) avant de complètement disparaître. S’il y a eu « des temps aliénés (les sociétés monarchiques ou même féodales) où il y avait un amateurisme réel au sein des classes dirigeantes » (OCIV 861), aujourd’hui il n’y a plus même d’élite capable de prendre en charge le « charme (discret) de la culture bourgeoise » (OCIV 862). Cela n’est pas sans rappeler la « Théorie du Contretemps » (LA 336), chère à Barthes, selon laquelle il serait souhaitable de « transporter dans une société socialiste certains des charmes (je ne dis pas : des valeurs) de l’art de vivre bourgeois » (OCIV 639).
Ainsi, à côté d’une conception de l’amatorat comme pratique individuelle et clandestine, Barthes réfléchit au potentiel émancipateur dont pourrait être porteuse une « société d’amateurs » (OCIV 861). Barthes se prend alors à fantasmer une société dans laquelle « les êtres agiraient sans préoccupation de l’image qu’ils vont déclencher chez les autres » (OCIV 861) :
Ce thème très important sur le plan de la pratique, je le convertis en théorie, dans la mesure où je peux imaginer une société à venir, totalement désaliénée, qui, sur le plan de l’écriture, ne connaîtrait plus que des activités d’amateur. Notamment dans l’ordre du texte. Les gens écriraient, feraient des textes, pour le plaisir, profiteraient de la jouissance de l’écriture sans préoccupation de l’image qu’ils pourraient susciter chez autrui (OCIV 861).
Pour Barthes, c’est justement parce qu’une disproportion croissante existe entre les gens qui lisent et ceux qui écrivent, qu’il convient d’« accorde[r] tant d’importance au rôle de l’“amateur”, qui doit revaloriser la fonction productive que les circuits commerciaux ont réifiée » (OCIV 885). Sa « conviction profonde et constante est qu’il ne sera jamais possible de libérer la lecture si, d’un même mouvement, nous ne libérons pas l’écriture » (OCIV 934). Dans notre société industrielle, considère Barthes, l’amateurisme a tout d’une « sorte d’art de vivre libérateur » (OCV 574). Dans la « civilisation du produit » qui est la nôtre, rien ne serait plus subversif que le plaisir pur et gratuit que retire l’amateur de sa pratique. Barthes regrette qu’« à gauche, par morale […] on suspecte, on dédaigne tout “résidu d’hédonisme” » (LA 231). Or, rappelle-t-il, il faut « ne jamais dire assez la force de suspension du plaisir : c’est une véritable épochè, un arrêt qui fige au loin toutes les valeurs admises » (OCIV 260). Il en appelle alors à ne pas entrer dans « la métonymie de la Faute sociale » (OCIV 792), laquelle censure toujours le pour-moi du plaisir. Sur le mode utopique, Barthes entrevoit alors le caractère proprement politique et subversif d’une « d’une société libre (où la jouissance circulerait sans passer par l’argent) » (OCIV 658).
Il est notable que ses réflexions sur le potentiel émancipateur de l’amatorat s’accompagnent d’une intense méditation sur le thème de la communauté. La production non-marchande et clandestine de l’amateur ne semble trouver à s’exprimer qu’en marge de la société politique instituée. Barthes qualifie sa réflexion sur une société d’amateurs d’« utopie à la Fourier » (OCIV 861). La comparaison doit être prise au sérieux, Barthes ayant réfléchi la communauté à partir du phalanstère fouriériste dans Sade, Fourier, Loyola. Il revient longuement sur la façon dont la vie des membres du phalanstère fouriériste est agencée selon une myriade de détails relatifs à l’organisation de la vie quotidienne. Pour Barthes, « le phalanstère en tant que lieu organisé, fermé, et où pourtant le plaisir circule » (OCIV 212) est un thème important, si ce n’est capital sur le plan éthique. Justement, il considère que c’est l’organisation de la vie quotidienne — horaires, programmes de nourriture, projets de vêtements, installations immobilières, préceptes de conversation ou de communication — qui fait « la marque de l’utopie » (OCIII 715). La « quête collective » de Fourier s’oppose en tous points au « voyage organisé » et au « club de vacances (avec sa population classée, ses plaisirs planifiés) » (OCIII 772), précisément parce que la vie retirée qu’elle rend possible est soustraite à toute logique marchande. Le mobile, la raison d’être de la communauté fouriériste, « n’est pas la justice, l’égalité, la liberté, etc., c’est le plaisir » (OCIII 772). À ce titre, Barthes prend soin de distinguer le plaisir du loisir : « les plaisirs, et non les loisirs : c’est ce qui sépare — heureusement — l’Harmonie fouriériste de l’État moderne » (OCIII 774). Les plaisirs consacrés par la société fouriériste se distinguent radicalement des « affaires d’État » (OCIII 774) précisément en ce qu’ils ne sont orientés vers aucune fin pratique, vers aucun but politique. Ils n’existent qu’en tant que tels, et pour eux-mêmes. Ce faisant, « Fourier a choisi le Domestique contre le Politique » (OCIII 775). Toute la théorie sociétaire fouriériste repose sur le fait de « transformer le travail en loisir (et non pas de suspendre le travail en plaisir) » (OCIII 774). C’est là tout ce qui rapproche le sociétaire fouriériste de l’amateur, et ce qui le distingue par conséquent du professionnel ou du commerçant. C’est « le plaisir lui-même [qui] devient une valeur d’échange » (OCIII 775), et non pas le prix de la production comme valeur marchande. Il y a donc un décalage entre les pratiques de la société fouriériste et l’argent qui peut en résulter, lequel est « curieusement détaché du commerce, de l’échange, de l’économie » (OCIII 776). Se dessine alors une véritable « poétique du rebut » (OCIII 783), qui n’est pas, à nouveau, sans rappeler l’économie du déchet et de la dépense bataillienne[21]. Finalement, l’utopie socialiste de Fourier vise à permettre le libre exercice des passions des sociétaires, en marge de l’économie marchande et de la politique instituée.
Le rapport émancipé au travail de la société d’amateurs fouriériste suppose de la disponibilité temporelle. N’étant pas soumis au circuit marchand, les amateurs fantasmés par Barthes doivent pouvoir disposer d’un temps qui leur soit propre, libéré des impératifs de gestion. C’est précisément ce que le néologisme « idiorrythmie » vise à exprimer : composé du grec idios et rhutmos, il signifie « rythme propre ». Barthes le développe dans son premier cours au Collège de France, intitulé Comment vivre ensemble ?. L’idiorrythmie renvoie à la tentative de « concilier la vie individuelle et la vie collective, l’indépendance du sujet et la sociabilité du groupe » (CVE 25). Il convient alors d’imaginer des petites communautés autarciques, restreintes et électives. Barthes estime que le « nombre optimal d’un groupe à l’idiorrythmie » (CVE 178) se doit d’être inférieur à dix. Véritable « structure collective-individualiste » (CVE 59), la micro-communauté idiorrythmique vise à rendre possible un mode de vie permettant la « sociabilité sans aliénation », la « solitude sans exil » (CVE 26). Par « l’organisation de l’espace habité, habitable », il s’agit alors de concevoir une « socialité à la fois affectueuse et aérée » (OCIV 212), qui ne soit ni excès de solitude, ni excès de collectivité. Il ne s’agit plus de vivre selon les temps de la société (journée de travail, de transports, loisirs codifiés, etc.) mais selon une « conception souple de la contrainte » (CVE 68). La micro-communauté idiorrythmique vise alors à conquérir un temps libéré et désaliéné, hors des scansions temporelles imposées par la société et le monde du travail. Elle s’accompagne d’ailleurs d’une certaine « conception aristocratique de l’otium » en tant qu’« état de vie non productif économique — mais surproductif spirituellement et/ou intellectuellement » (CVE 131). La micro-communauté idiorrythmique ne consiste donc pas à « proposer une façon idéale d’organiser le pouvoir » (CVE 83), mais bien plutôt à le contourner. Barthes esquisse alors « des contours et des formes de vie alternatives » (N 33), des « choix-à-côtés », fantasmant une « vie libre, à quelques-uns » (CVE 41), loin de la totalité sociale. Ces collectivités représentent ainsi une sorte d’idéal qui n’est pas sans rappeler la « communauté de solitaires » pensée par Quignard, « invention passionnante — même si elle est difficilement concevable pour l’esprit[22] ». Comme le phalanstère fouriériste ou la communauté idiorrythmique barthésienne, la « Société de Solitaires[23] » de Quignard s’oppose à toute association utilitariste ou mercantile. Par opposition, elle fait du désintéressement la valeur suprême du regroupement. Pour Quignard, cela permettrait de « désubordonner la production artistique au succès du plus grand nombre » et donc d’en revenir « à une diffusion plus solitaire et plus clandestine de l’œuvre d’art[24] ». Ne trouve-t-on pas là le même mot d’ordre de Barthes quant au fantasme d’une société d’amateurs par opposition à la société de consommateurs ?
La ruine du groupement ou la communauté désœuvrée
Il convient désormais de s’interroger sur la viabilité d’un tel fantasme, celui d’une « société d’amateurs » ou d’une « utopie à la Fourier ». Peut-on réellement concevoir des petites sociétés de pure dépense, qui ne seraient animées par rien d’autre que par le plaisir gratuit d’une poignée d’amateurs ? Cette question de l’applicabilité du rêve à la réalité — ou de l’actualisation du fantasme — a particulièrement préoccupé Barthes, de Sade, Fourier et Loyola à Comment vivre ensemble ?. Si l’on s’attarde sur les discours qui entourent la « société d’amateurs » il est notable qu’ils semblent toujours s’énoncer sous le signe de la prophétie. Le « luxe », la « dépense sans échange », reconnaît Barthes, n’appartiennent « pas encore à la politique d’aujourd’hui mais cependant déjà à la politique de demain » (OCIII 501). La société d’amateurs que Barthes appelle de ses vœux est alors du côté du non-avenu. De plus, Barthes modère systématiquement le potentiel émancipateur, y compris pour l’avenir, de l’amateur : « il est — il sera peut-être — l’artiste contre-bourgeois » (OCIV 632). De la même façon, lorsqu’il fantasme une civilisation désaliénée, c’est toujours au conditionnel qu’il affirme : « Ce serait beau » (OCIV 849). Par ailleurs, dans son cours au Collège de France, Barthes place d’emblée la communauté idiorrythmique sous le signe du fantasme. Il définit le fantasme comme un « scénario absolument positif, qui met en scène le positif du désir, qui ne connaît que des positifs » (CVE 35). En ce sens, la force fantasmatique tient peut-être justement à ce qu’elle tolère que les images positives et désirables du Vivre-ensemble, évacuant par-là toutes les lacunes éventuelles d’une telle configuration. Le fantasme, précise Barthes, tolère donc les reniements, les paradoxes logiques, les contradictions. Par exemple, explique-t-il, « fantasmatiquement, il n’est pas contradictoire de vouloir vivre seul et de vouloir vivre ensemble » (CVE 35). Le fantasme, ajoute-t-il, « n’est pas dialectique (évidemment !) » (CVE 35). Contrairement au rêve, il ne « travaille » pas : improductif, il n’est jamais appelé à se réaliser[25]. En ce sens, la vie idiorrythmique ne saurait être la synthèse d’une opposition entre solitude et communauté. Pire encore, le fantasme, en ce qu’il « répète inlassablement un plaisir d’avenir sans parvenir à en programmer réellement la réalisation » (PDR 265), se doit de rester inassouvi.
Ainsi, si l’on s’intéresse au terme à partir duquel Barthes pense l’idiorrythmie — le fantasme — il apparaît clairement que le projet communautaire barthésien n’a jamais été appelé à se développer autrement que de manière utopique ou imaginaire. Il convient désormais de s’interroger sur les raisons précises qui rendent caduques toute actualisation du fantasme idiorrythmique, et donc toute réalisation pratique et concrète d’une « société d’amateurs ». Tout d’abord, rappelons les bases à partir desquelles Barthes construit sa communauté idiorrythmique. Premièrement, la communauté idiorrythmique ne doit répondre qu’à la règle, terme connoté positivement, et non à la loi, terme connoté négativement. La « règle », pour Barthes, correspond à la myriade de détails relatifs à l’organisation de la vie de chacun en fonction de son rythme (son emploi du temps, son aménagement, sa diététique, etc.) À l’opposée, la « loi » implique des formes de codifications, de prescriptions, de pouvoir, de hiérarchie et de soumission qui ne permettent plus le respect du rythme propre. Deuxièmement, il souligne que la micro-communauté idiorrythmique ne saurait être fondée sur une appartenance ou une adhésion : elle « ne protège pas une pureté » (CVE 94), soutient Barthes. Elle ne revêt pas les formes de la nation ou de l’intérêt convergent d’une classe sociale. Dans le cas d’une société d’amateurs, le seul « ciment » communautaire admissible ne pourrait être que la pure jouissance d’une pratique gratuite, en forme de dépense. Barthes en appelle alors à considérer le groupement « comme une pure machine homéostasique qui s’entretient elle-même : circuit fermé de charge et de dépense » (CVE 81). Il faudrait imaginer qu’« une fois la structure (le Vivre-Ensemble) lancée, elle dure à la façon d’un homéostat perpétuel » (CVE 71). Le seul principe organisateur de la communauté idiorrythmique acceptable serait celui du simple plaisir d’être ensemble. Le Télos — c’est-à-dire « la Cause », la raison pour laquelle un groupe se formerait — se doit être le plus vague possible, « non militant » (CVE 31). Le Télos implique « un corps de doctrine à l’intérieur duquel les éléments (principes, constats, conséquences) se développement logiquement » (OCIII 796). Il ne fonctionne que par système fermé, lequel est toujours théologique ou dogmatique, « dont la voie de transmission est l’insistance, la répétition, le catéchisme, l’orthodoxie » (OCIII 796). Le Télos d’une communauté idiorrythmique ne pourrait viser autre que chose que « le “bonheur”, pour le “plaisir” = la sociabilité comme fin en soi » (CVE 83). Cela suppose alors de renoncer au fondement de la plupart des groupes, c’est-à-dire au Télos commun. La communauté idiorrythmique, en ce sens, est autotélique et autosuffisante : elle est à elle-même sa propre fin et sa propre justification. Il s’agit véritablement d’une « vue idyllique de la mondanité : machine sans but, sans transformation, qui élabore du plaisir à l’état pur » (CVE 83). Nous retrouvons là la promotion des valeurs de l’amatorat précédemment évoquées : gratuité, improductivité, et jouissance.
Tout Télos autre que « flottant » (CVE 81) reviendrait à quitter le jeu de la dépense et à s’exposer à des formes de récupération par l’économie et la politique. Le Télos, considère Barthes, c’est le passage presque inévitable d’une vie selon la « règle » à une vie selon la « loi », ce qui reviendrait à passer d’une communauté fluente qui permet l’individuation et la vie improductive, à une structure rigide et collectiviste. D’une « utopie domestique » ou « partielle » (OCIV 403), le groupement retomberait fatalement dans l’utopie politique. D’une méthode déprise vis-à-vis d’autrui, ce serait passer à une méthode d’emprise (N 37) ; des « configurations non-stables » (CVE 39) qu’il appelle de ses vœux, ce serait passer à des « cadences cassantes, implacables de régularité » (CVE 39). Or, si un groupement veut rester « amateur », c’est-à-dire hors des circuits marchands et de leurs impératifs de rentabilité, il doit éviter tout aussi bien la professionnalisation et que le militantisme. Rien de plus étranger à la « société d’amateurs » que le syndicalisme ou la lutte partisane. De plus, le risque d’une communauté ordonnée selon un Télos fixe est toujours la récupération par ce que Barthes appelle « la Bureaucratie », cette « déité vigilante qui guette le moindre groupement idiorrythmique et fond sur lui dès qu’il commence à “prendre” » (CVE 77). C’en serait alors fini de la communauté idiorrythmique, cet « état sauvage » de pur plaisir, qui n’est agi par « aucun germe de pouvoir, aucun relais réifié, institutionnalisé, chosifié, entre l’individu et le micro-groupe » (CVE 77). Le risque de « cristallisation d’un pouvoir réel » (CVE 78) est énorme et guette fatalement tout groupement idiorrythmique, de sorte que tout ce qui se situe au-delà d’un Télos flottant est incompatible avec les pratiques et les valeurs d’une société d’amateurs.
Or, précisément, c’est sur ce point que le fantasme achoppe face au principe de réalité. À plusieurs reprises, Barthes se pose la question suivante : « Peut-on concevoir un (petit) groupe sans Télos ? Un tel groupe est-il viable ? » (CVE 83). De fait, observe Barthes, chaque communauté qui a “pris”, pour le dire comme lui (c’est-à-dire qui s’est organisée durablement), s’est organisée autour d’un Télos. Il cite plusieurs exemples : dans les agrégats chrétiens, la finalité de la vie en commun est la recherche de sainteté ; dans le sanatorium de La Montagne magique de Mann, c’est la mort qui lie les hommes ensemble ; dans les communautés libertaires hippies, c’est la quête du bonheur ; dans les maisons closes de Sade, c’est l’Éros, etc. Le cœur du problème est là : Barthes fantasme une communauté sans Télos, dont participe la quête d’une « société d’amateurs », mais en dernière instance, il ne croit pas viable une telle communauté. Barthes avait beau rêver dans Le Lexique de l’auteur de sociétés qui ne feraient pas système et ne s’orienteraient vers aucune fin, parlant de « cléricature sans théologie », de « monastère sans foi » et de « phalanstères d’individualistes » (LA 212), quelques années plus tard, il ne semble plus y croire. Certes, il y a « affinité entre l’idiorrythmie et l’absence de Télos », mais surtout, il y a « inviabilité d’un groupe sans Télos » (CVE 83). De fait, à mesure qu’il progresse dans l’exploration de son fantasme, le désenchantement l’emporte sur le fantasme : « le projet idiorrythmique implique la constitution impossible (surhumaine) d’un groupe dont le Télos serait de se détruire perpétuellement comme groupe » (CVE 84). Tout se passe comme si la communauté idiorrythmique, pour le rester, était condamnée à l’auto-dissolution dès lors qu’elle commence à devenir pérenne. Pour Barthes, chercher à tirer d’une utopie « partielle » ou « domestique » des principes politiques ou doctrinaux, c’est la condamner à devenir un système, c’est-à-dire à retomber dans un discours à prétention totalisatrice — un discours de catéchisme et de foi. Alors même que « l’œuvre de Fourier ne constitue pas un système », dès lors « qu’on a voulu “réaliser” cette œuvre (dans les phalanstères), elle est devenue rétrospectivement un “système’’ voué à un fiasco immédiat » (OCIII 796). Ainsi, ajoute-t-il « comme système entier, aucune utopie n’a la moindre chance d’application » (OCIV 531). Finalement, il apparaît que puisque toute vie de groupe est toujours guettée par le risque d’une récupération hiérarchique et bureaucratique — toutes choses opposées aux aspirations d’une « société d’amateurs » —, l’idiorrythmie est « condamnée à une équilibre précaire, voire à l’auto-destruction[26] ».
Conclusion : la « société d’amateurs » ou l’imagination de l’impossible
Barthes affirme l’impossibilité de faire œuvre de la communauté, ou de concevoir la communauté autrement que fondée sur sa propre négation. Pour le dire comme Jean-Luc Nancy, il s’agit de « dissocier l’idée de “communauté” de toute projection dans une œuvre faite ou à faire — un État, une Nation, un Peuple[27] ». La communauté est alors proprement désœuvrée, tout comme l’amateur refuse de faire œuvre de sa pratique. Indirectement, il reprend à son compte les théories de déconstruction[28] de l’idée de communauté, dont Bataille avait anticipé le principe en théorisant l’idée d’une communauté négative, en tant qu’« absence de communauté[29] » ou « communauté de ceux qui n’ont pas de communauté[30] ». En dernière instance, seule une communauté fondée par son impossibilité ou sa non-réalisation peut constituer un rempart contre toutes les récupérations politiques ou économiques. Finalement, si la « société d’amateurs » rêvée par Barthes a bien des affinités avec le fantasme idiorrythmique, elle est comme lui pratiquement impossible. Or, si Barthes fait l’expérience de l’impossible, il rappelle toutefois que « ce qui est impossible n’est pas inconcevable » (OCIV 801) : c’est là précisément la marque de l’utopie. Ultimement, la « société d’amateurs » ne doit pas être comprise autrement que comme une utopie : « c’est d’ailleurs pour cela que l’utopie — le “jet’’ utopique — a de l’importance », dit-il, « comme imagination (courage ?) de l’impossible » (OCV 385).
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[1] Nous emploierons les abréviations suivantes, qui précèdent le numéro de la page entre parenthèses : OCIII : Œuvres complètes, tome III (1968-1971), Paris, Seuil, 2002 ; OCIV : Œuvres complètes, tome IV (1972-1976), Paris, Seuil, 2002 ; OCV : Œuvres complètes, tome V (1976-1980), Paris, Seuil, 2002 ; CVE : Comment vivre ensemble. Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens, cours et séminaire au Collège de France (1976-1977), Paris, Seuil / Imec, « Traces écrites », 2002 ; N : Le Neutre, Notes de cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil / Imec, « Traces écrites », 2002 ; PDR : La Préparation du roman I et II. Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, Paris, Seuil / Imec, « Traces écrites », 2003 ; LA : Le Lexique d'auteur. Séminaire à l'École Pratique des Hautes Études 1973-1974 suivi de Fragments inédits de Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, « Traces écrites », 2010.
[2] Mathias Écœur, « Barthes et la figure de l’amateur », communication au colloque Barthes et la musique, Fondation Singer-Polignac, 3, 4 et 5 juin 2015.
[3] Adrien Chassain, « Roland Barthes : “Les pratiques et les valeurs de l’amateur” », Alexandre de Vitry et Mathieu Vernet (dir.), « Vertus passives », LHT Fabula, n° 15, octobre 2015.
[4] Nous préférerons le terme « amatorat » à celui d’« amateurisme », en référence à Bernard Stiegler qui considère que le premier déjoue la connotation péjorative du second (Bernard Stiegler, « Le temps de l’amatorat », Alliage, n° 69, 2011, p. 161-179).
[5] Claude Coste, « Roland Barthes par Roland Barthes ou Le démon de la totalité », Recherches & travaux, n°75, 2009, p. 44.
[6] Sur le rapport de Barthes à la commande commerciale, voir Antoine Compagnon, « Le Roman de Roland Barthes », Revue des sciences humaines, numéros 266-267, 2002, p. 204. Voir aussi Adrien Chassain, « “Nihil nisi propositum” : Roland Barthes et la poétique de l’œuvre à venir, entre projet et commande », Revue Roland Barthes, n°4, 2018.
[7] Georges Bataille, « La notion de dépense » [1933], Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, 1970, p. 302-320.
[8] Georges Bataille, La Part maudite [1949], Paris, Éditions de Minuit, « Critiques », 1967, p. 27.
[9] Georges Bataille, L’Expérience intérieure, in Œuvres complètes, tome V, Paris, Gallimard, 1973, p. 11.
[10] Adrien Chassain, « “Nihil nisi propositum’’ : Roland Barthes et la poétique de l’œuvre à venir, entre projet et commande », op. cit., en ligne.
[11] Françoise Susini-Anastopoulos, L’Écriture fragmentaire. Définitions et enjeux, Paris, PUF, 1997, p. 110.
[12] Par ailleurs, pour qualifier le supplément qui excède « la dialectique du besoin et du désir », Barthes parle parfois aussi de « reste ». Le reste, c’est le « débordement de la pure fonction » (LA 215).
[13] Claude Coste, Roland Barthes moraliste, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 204.
[14] Georges Bataille, « La critique sociale », Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 346.
[15] Georges Bataille, « Structure psychologique du fascisme », Œuvres complètes, tome I, op. cit., pp. 344.
[16] Georges Bataille, « Lettre à Alexandre Kojève », cité par Denis Hollier, Le Collège de sociologie (1937-1939), Paris, 1995 p. 76.
[17] Georges Bataille, « La souveraineté », Œuvres complètes, tome VIII, Paris, Gallimard, 1976, p. 248.
[18] Pour Barthes, une attitude est « sans vouloir-saisir » lorsqu’elle est « sans but, sans dessein » (N 81).
[19] Sur cette question, voir François Noudelmann, Le toucher des philosophes. Sartre, Nietzsche et Barthes au piano, Paris, Gallimard, 2008. Voir aussi Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Seuil, 2015, p. 85.
[20] Ainsi le texte « Variations sur l’écriture » porte-t-il sur l’écriture en tant qu’activité manuscrite impliquant « le tracé de la main » (OCIV 267). Le rapport étroit entre l’écriture et le corps passe, entre autres, par une réflexion très matérielle sur les instruments graphiques, avec lesquels Barthes entretenait, de son propre aveu, « un rapport presque maniaque » (OC IV 483-487). Cette amour de Barthes pour les beaux outils graphiques (mais aussi pour la papeterie au sens large) s’exprime notamment lors de ses voyages, où il semble presque « jauger » la qualité de l’art de vivre d’un pays à ses outils graphiques. À titre d’exemple, Barthes apprécie particulièrement du Japon son « stylo feutre », de la Chine sa « calligraphie », ou encore des États-Unis sa papeterie « abondante, précise, et ingénieuse ». Barthes va d’ailleurs jusqu’à dire que « la différence des civilisations passe par des objets aussi frustes que ceux-là... » (OCIII 89).
[21] Sur le lien entre le degré zéro de Barthes et la dépense de Bataille, voir Sunil Manghani, « Barthes/Bataille: The Writing of Neutral Economy », Theory, Culture & Society, vol.35, 4/5, 2018, p. 193-215.
[22] Pascal Quignard, Sur l’idée d’une communauté de solitaires, Paris, Arléa, 2015, p. 28.
[23] Pascal Quignard, cité par Rodolphe Gauthier, « De la solitude du collectionneur d’anecdotes à la communauté de solitaires : Esquisse d’analyse de la pratique politique de Pascal Quignard », TIES, Poétique / politique : l’esthétique en partage ? n°3, 2019, p. 53.
[24] Ibid., p. 67.
[25] Sur la nature non-dialectique du fantasme, voir Magdalena Marciniak, « Le fantasme, pas le rêve... », Essaim, 2016/2, n°37, p. 107-118.
[26] Louis Rouquayrol, « L’“idiorrythmie” selon Roland Barthes : entre éthique et fantasme », Revue cygne noir, Quand ego signe. Sémiotique, fantasme, fantaisie, n°8, 2020.
[27] Jean-Luc Nancy, La communauté désavouée, Paris, Galilée, 2014, p. 154.
[28] Dont participent, de manière non exhaustive : Maurice Blanchot, La communauté inavouable, Paris, Éditions de Minuit, 1983 ; Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée, Paris, Galilée, 1983 ; Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 1990 ; Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Paris, Seuil,1990 ; ou Jacques Derrida, Politiques de l’amitié, Paris, Galilée, 1994.
[29] Georges Bataille, La Religion surréaliste, in Œuvres complètes, tome VII, Paris, Gallimard, 1976, p. 394.
[30] Georges Bataille, Méthode de méditation, in Œuvres complètes, tome V, Paris, Gallimard, 1973, p. 483.