"Her Body, Himself" de Carol Clover et la figure de la Final Girl : une généalogie contestable

Florent Christol

19/11/2016

Au sommet de l’horreur on trouve les classiques : Nosferatu (1922) de Murnau, King Kong (1933), Dracula (1931), Frankenstein (1931), et divers films d’Alfred Hitchcock ou de Carl Theodor Dreyer […]. Tout en bas on trouve – horreur des horreurs – le slasher (ou splatter ou shocker) : l’histoire immensément générative d’un psycho killer qui massacre une par une des victimes souvent féminines, jusqu’à ce qu’il soit lui-même mis hors d’état de nuire, traditionnellement par la fille qui a survécu.

Carol Clover, « Her Body, Himself: Gender in the Slasher Film », The Dread of Difference. Gender and the Horror Film, p. 66-113.

 

Sous-genre du cinéma d’horreur s’organisant thématiquement et visuellement autour d’un groupe de victimes décimées par un mystérieux tueur masqué, le slasher film1
remporta un très grand succès auprès du public adolescent de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. Outre son succès commercial2
, le slasher a surtout marqué l’histoire du cinéma pour avoir été au centre d’un débat sur la violence dans les médias. Le slasher s’est en effet attiré en son temps les foudres de la critique et de la censure, et a choqué l’opinion par la représentation explicite d’actes violents et de scènes gores3
. Parce que les tueurs de ces films s’en prennent souvent à des adolescents faisant la fête, le genre a été accusé de promouvoir une idéologie réactionnaire et « puritaine » témoignant d’une attitude hostile envers l’évolution des mœurs des années 1960. En sanctionnant des actes « immoraux » (sexe, consommation de drogues, etc.), les tueurs seraient l’incarnation primaire d’une morale punitive héritée de l’Ancien Testament. Le critique anglais Robin Wood, plutôt connu pour ses prises de position favorables au film d’horreur, condamne sans appel le slasher pour ces raisons :

Comme dans presque tout slasher, dans Friday the 13th le sexe et la violence sont inexorablement liés. La théorie prédominante postule que, afin de satisfaire la sexualité naissante de l’audience essentiellement masculine et adolescente, de nombreuses scènes de nudité et d’actes sexuels gratuits se trouvent intégrées au scénario. Pour satisfaire l’idéologie puritaine encore présente dans notre société, ces mêmes adolescentes qui s’engagent dans des actes illicites sont punies de la manière la plus brutale possible4
.

Les critiques ont également reproché au genre une dimension misogyne qui exprimerait une attitude hostile à l’égard des mouvements féministes des années 1960. Au même titre que le film de vigilante5
ou le film catastrophe, le slasher constituerait l’expression culturelle d’un backlash (retour de bâton) contre l’esprit hédoniste et/ou progressiste des Sixties6
, et serait, ce faisant, le véhicule d’une idéologie réactionnaire dans la droite ligne de la politique conservatrice de Ronald Reagan, élu en 1981. Brandissant des armes phalliques, le tueur œuvrerait à restaurer l’image du Père, mise à mal par les crises socio-politiques des années 1960-70 (guerre du Vietnam, scandale du Watergate, révoltes étudiantes, etc.).

Longtemps dédaigné par la critique et l’Université, le genre a été graduellement réhabilité, notamment par la parution de textes de Linda Williams7
et de Vera Dika8
. Mais c’est surtout le travail de Carol Clover, professeur de littérature scandinave et d’études cinématographiques à l’Université de Californie, qui a contribué à légitimer le genre et son étude auprès de la critique et du monde universitaire. Dans « Her Body, Himself », chapitre d’un livre devenu une référence9
, Clover met en relief le personnage de la Final Girl. A l’inverse de ses amies qui passent leur temps à s’amuser, la Final Girl est caractérisée par son sérieux (elle est souvent vierge), sa détermination, sa débrouillardise, son courage et son fort sens moral. Grâce à ces qualités, elle finit par triompher de ses ennemis monstrueux, Michael Myers, Jason ou Freddy, dans le climax du film10
. L’une de ses caractéristiques principales est son côté masculin :

De la même  manière que le tueur n’est pas complètement masculin, elle n’est pas totalement féminine – pas, en tous cas, féminine au sens où le sont ses amies. Son intelligence, son sérieux, ses compétences dans le domaine mécanique et autre aspects pratiques, et sa pudeur sexuelle, l’éloignent des autres filles et l’allient, ironiquement, avec les garçons dont elle a peur ou qu’elle rejette, sans parler du tueur lui-même11
.

Parmi les plus connues, on peut citer Laurie (Halloween), Alice (Friday the 13th) ou encore Alana (Terror Train)12
.

Le but, éminemment politique, de Clover, est d’interroger l’accusation de misogynie dont est fréquemment victime le genre. Alors que plusieurs critiques voient dans le film d’horreur un genre s’adressant essentiellement au spectateur masculin et qui offrirait un espace légitimant l’expression de pulsions sadiques (qui s’incarnent dans la figure du tueur), Carol Clover note que dans le slasher, l’audience, qu’elle postule comme étant essentiellement composée de jeunes hommes, est structurellement poussée à s’identifier à la Final Girl. Mobilisant un appareil théorique psychanalytique, en particulier le texte séminal de Laura Mulvey sur le rapport entre dispositif cinématographique et idéologie patriarcale13
, elle montre donc la complexité genrée de ces films, développant l’hypothèse d’une position voyeuriste masochiste (féminine et pré-œdipienne) dans laquelle serait ici placée le spectateur masculin, à l’inverse de la position sadique (post-œdipienne) postulée par Mulvey.

Nous voudrions ici revenir sur ce texte qui a grandement contribué à légitimer les études sur le slasher14
afin de démontrer que la généalogie de la Final Girl proposée par Carol Clover s’avère, à l’étudier de près, problématique. Nous verrons qu’il est possible de lui en substituer une autre, opération qui modifie en profondeur le rapport postulé par Clover entre différents films (et qui est susceptible, à terme, de contribuer à transformer la perception du slasher et la fonction culturelle qui lui a été attribuée jusqu’ici). Précisons ici que cette intervention se situe dans le cadre d’une entreprise plus large se situant dans le champ de l’histoire culturelle et dont l’ambition est de dégager un genre jamais théorisé auparavant, dont l’argument scénaristique principal tourne autour de l’humiliation et de la vengeance d’un personnage de souffre-douleur (argument que l’on trouve dans des films aussi divers que Freaks, Dumbo, Carrie ou The Toxic Avenger)15
. La démonstration que nous nous proposons de faire est moins un morceau autonome que la pièce d’un puzzle plus large.

 

1. Généalogie officielle de la Final Girl

 

Carol Clover trace une généalogie de la Final Girl qui partirait de Sally (Marilyn Burns) dans The Texas Chain Saw Massacre (Tobe Hooper, 1974) et arriverait à Nancy (Heather Langenkamp) dans A Nightmare On Elm Street (Wes Craven, 1984), en passant par Laurie dans Halloween.

Dans le premier, film d’horreur indépendant à petit budget qui fut un énorme succès dans les drive-in et est devenu un classique du genre16
, Sally Hardesty, son frère invalide Franklin et trois autres jeunes gens sont pourchassés par une famille de bouchers au chômage dans une région reculée du Texas. Seule survivante, Sally se retrouve « invitée » à un repas macabre dans lequel elle est humiliée et persécutée par ses hôtes. Lors de ce repas, les cannibales se moquent de Sally, reprenant ses cris sur un mode parodique et faisant des grimaces censées reproduire les expressions terrifiées se peignant sur le visage de la jeune fille. Comme l’écrit Jean-Baptiste Thoret,

La scène du repas relève pour partie du grotesque, parce que s’y joue une forme de démesure, de folie, de surenchère, mais elle vire aussitôt à l’horreur parce que l’un des convives, Sally, n’y participe pas. C’est pourquoi, si, par de nombreux aspects, le film de Tobe Hooper évoque la langue rabelaisienne […] il en évacue la dimension comique, burlesque voire joyeuse17
.

Allant puiser dans ses ultimes ressources, Sally finit par s’échapper mais elle est visiblement traumatisée (l’avant-dernier plan du film la montre hurlante et prise d’un rire fou, assise à l’arrière d’une voiture dans laquelle elle a réussi à grimper pour échapper à Leatherface, le tueur à la tronçonneuse).

Dans Halloween, Laurie est traquée par le monstrueux Michael Myers, échappé d’un asile psychiatrique après avoir assassiné sa sœur quinze ans auparavant. A l’inverse de Sally, essentiellement passive, Laurie fait face à son agresseur et, aidée par le docteur Moomis (Donald Pleasence), elle finit par le mettre hors d’état de nuire. Selon Clover, Halloween s’inscrit dans la continuité de The Texas Chain Saw Massacre, le film allant simplement plus loin dans la masculinisation de la Final Girl. Laurie serait, dans cette perspective, une Sally « active », arborant les caractéristiques viriles de son modèle mais « augmentées » d’un cran.

Dans A Nightmare on Elm Street, Nancy affronte quant à elle le monstrueux Freddy Krueger (Robert Englund), croquemitaine clownesque (il se distingue par son humour carnavalesque) qui peut se matérialiser dans les rêves de ses victimes. A la fin du film, Nancy trouve un moyen de se débarrasser de Freddy en le renvoyant d’où il vient (bien qu’une fin ajoutée par les producteurs vienne remettre en question cette victoire).

Selon la généalogie cloverienne, Sally, Laurie et Nancy occuperaient la même fonction (selon la terminologie de Vladimir Propp)18
, ce que l’on peut illustrer par le tableau suivant :

Film Final Girl Tueur masqué
The Texas Chainsaw Massacre Sally Leatherface
Halloween Laurie Michael Myers
Friday the 13th Alice Jason
The Burning Alfred Cropsy
Terror Train Alana Kenny
A Nightmare on Elm Street Nancy Freddy

Or, le rapport entre Sally et Laurie (et par extension, Nancy) postulé par Clover nous paraît erroné. En effet, nous pensons que Laurie ne poursuit pas un geste entamé par Sally dans le film de Hooper. Bien au contraire, le monstre qu’elle combat est Sally elle-même (en termes de fonction propienne), transformée en « monstre » après s’être vengée. Pour exposer notre thèse, il est nécessaire de réévaluer la place de Carrie (De Palma, 1976) − film que les historiens du cinéma n’envisagent pas comme un slasher − dans l’histoire du genre.

 

2. Carrie et le slasher

 

Avant d’être adapté au cinéma par Brian De Palma, Carrie est à l’origine un roman de Stephen King publié en 1976. La protagoniste, Carrie White, est une jeune fille corpulente persécutée par ses camarades, « The girl no one likes and everyone makes fun of », comme le spécifiaient les publicités de l’époque. Elle est marginalisée en raison de son physique disgracieux et  de sa condition sociale : sa mère est une fanatique religieuse abusive persuadée que sa fille est une sorcière. Carrie compense ses faiblesses par des pouvoirs télékinésiques qui se déclenchent lorsqu’elle est en colère. Le soir du bal de fin d’année, elle est victime d’une mauvaise plaisanterie particulièrement cruelle. Élue reine du bal par le biais d’une supercherie montée par quelques-uns de ses camarades, elle se trouve terriblement et publiquement humiliée lorsqu’un baquet de sang de cochon lui est déversé sur la tête au moment de son intronisation. Du statut de victime, Carrie accède sans transition à celui de bourreau en déchaînant ses pouvoirs télékinésiques sur ceux qui se sont moqué d’elle, ainsi que sur toutes les autres personnes présentes, victimes collatérales de sa rage. En quelques secondes, le lycée prend feu et ses persécuteurs périssent. Après avoir détruit son lycée, Carrie rentre chez elle, espérant trouver un peu de réconfort auprès de sa mère, mais c’est pour découvrir que celle-ci a prévu de la mettre à mort lors d’un sacrifice expiatoire. Carrie tue alors sa mère (dans le roman elle l’étouffe, alors qu’elle la poignarde à l’aide d’ustensiles de cuisine dans le film) et périt elle-même, poignardée par cette dernière19
.

L’histoire du cinéma a appréhendé Carrie de manière isolée, sans l’envisager dans un quelconque rapport de continuité avec le slasher film. Etrangement, alors qu’elle ouvre son étude sur Carrie, Clover n’inclut pas le film de De Palma dans son texte sur la Final Girl, sans doute parce qu’il est trop éloigné du modèle théorique qu’elle construit. De même, selon Vera Dika, l’une des premières universitaires à avoir consacré une étude complète au slasher (qu’elle appelle stalker film), il s’agit d’un film opposé au slasher. Comparant Carrie et Prom Night, un film qui serait selon elle modelé sur Halloween (et serait pour le coup un slasher archétypal), l’auteure écrit :

Bien que Prom Night partage sa situation, son thème (le rite de passage) et plusieurs éléments scénaristiques ainsi que des personnages avec Carrie, on peut le classer dans la catégorie du stalker film, ce qui n’est pas possible dans le cas de Carrie. Ceci est dû à la configuration du personnage, du décor, des conventions scénaristiques dans ces deux films, ainsi qu’à leur usage distinctif de stratégies formelles. Dans Carrie, par exemple, l’héroïne est séparée de la communauté jeune (ses camarades de lycée) et de la communauté adulte (sa mère et ses professeurs) […]. De plus, il n’y a pas de tueur isolé dans Carrie, qui serait notamment conservé hors-champ et révélé principalement par ses plans subjectifs. […] Au lieu de cela, Carrie elle-même occupe la position du tueur hors-champ […] et exécute subséquemment tous les membres de la communauté jeune et âgée dans un acte de vengeance qui n’est pas totalement injustifié20
.

A l’inverse de Vera Dika et de Carol Clover, nous pensons que Carrie est un jalon essentiel, une articulation centrale pour comprendre la fonction de la Final Girl dans les slasher films21
.

 

3. De Sally à Carrie : de la passivité à la vengeance

 

On a vu que Carol Clover voyait dans Sally, la jeune femme victimisée de The Texas Chain Saw Massacre, la première Final Girl22
. Elle retrouve ensuite ce personnage dans Halloween. Intégrer Carrie à cette histoire modifie radicalement le tableau.

Carrie reprend l’idée d’une victime persécutée et objet de moqueries mis en scène dans The Texas Chain Saw Massacre (la scène du repas), mais propose, à l’inverse du film de Hooper, de mettre en scène la vengeance de celle-ci, vengeance montrée comme criminelle mais néanmoins légitime (Carrie vit un enfer et personne ne semble pouvoir l’aider) et cathartique pour le personnage et le spectateur qui s’identifie à elle23
. Si, d’un point de vue diégétique, Carrie se venge de ses persécuteurs, on pourrait dire que, d’un point de vue intertextuel, elle venge également l’humiliation de Sally. En effet, là où la multiplication des gros plans et des très gros plans sur les yeux de Sally dans The Texas Chain Saw Massacre signale le moment où la jeune femme, rendue folle par les rires moqueurs de ses bourreaux, perd une part de son humanité, les gros plans sur le visage et les yeux de Carrie après son humiliation finale chez De Palma coïncident avec le moment où la jeune fille s’affirme et se retourne contre ses tourmenteurs. Mais, ce faisant, la jeune fille devient monstrueuse : bien que compréhensible (le film fait tout pour nous mettre à sa place et suggère que personne d’autre ne peut régler son problème), sa violence est démesurée par rapport à celle dont elle est la victime (elle massacre des personnes qui se moquent d’elle…)24
. Or, c’est, selon nous, à cette figure de victime vengeresse devenue monstrueuse que va répondre la figure de la Final Girl qui, dans la généalogie que nous proposons ici, n’apparaît pas dans The Texas Chain Saw Massacre mais dans Halloween avec Laurie, comme nous aimerions l’exposer dans les pages suivantes.

 

4. Halloween et le slasher

 

Rappelons tout d’abord deux choses. La première est qu’une partie de la critique a voulu voir dans Halloween la matrice du slasher. Selon Andrew Tudor :

c’est le succès de Halloween qui ouvrit les vannes, assurant que les diverses copies du film de Carpenter dominent le film de psycho-killer des années 80’s – de Friday the 13th, Prom Night et Terror Train (tous de 1980) jusqu’à House of Evil, The Slumber Party Massacre (les deux de 1983) et Friday the 13th the Final Chapter (1984). Halloween, qu’on peut considérer comme un prototype ici, est construit de façon beaucoup plus subtile que la plupart des autres slasher25
.

De même, pour Kim Newman, « Halloween a fourni à Friday the 13th, et aux vagues d’imitations suivantes, des conventions toutes faites qui devinrent immédiatement aussi prédictibles et ritualisées que le scénario des magazines de romance féminins ». D’après Adam Smith, enfin : « Après le film de Carpenter, aucune étudiante ne prenant une douche n’était à l’abri de la légion de psychopathes masqués qui hantaient les écoles, les dortoirs universitaires, les camps d’été et les soirées pyjamas […] Sans Michael Myers, il n’y aurait jamais eu de Jason Voorhees ou Freddy Krueger26
».

La deuxième chose à rappeler est que, dans Halloween, la folie meurtrière de Michael Myers semble totalement arbitraire, le film ne fournissant aucune clé permettant de comprendre pourquoi Myers s’attaque à telle ou telle personne. Selon Eric Dufour, « Michael Myers tue sans raison : c’est par hasard que son chemin croise celui de Laurie et de ses amies27
 ». Pour Kim Newman, « Michael Myers est simplement un psychopathe. Il n’a aucune motivation œdipienne, il aime simplement faire peur aux gens28
 ». D’après John McCarty, enfin :

les scénaristes Carpenter et Debra Hill caractérisent simplement Michael comme « psychotique » et n’en font rien d’autre. Pourquoi tue-t-il ? Il tue parce qu’il tue, c’est tout […] Non, ça ne rime à rien, mais ça n’est pas sensé faire sens, parce que Halloween n’est pas un film sérieux. C’est un tour de montagnes russes, et son psychopathe n’est rien d’autre qu’un bon vieux monstre de film d’horreur classique sous de nouveaux habits29
.

Or, fait surprenant, l’intrigue de la plupart des slashers diffère fondamentalement de celle d’Halloween (censé être le modèle archétypal du genre…) en ce qu’elle ne gravite pas autour d’un psychokiller fou ou d’une incarnation du Mal qui tue (apparemment) sans motifs, mais, comme Carrie, d’une victime souvent pathétique et physiquement « monstrueuse » qui se venge – directement ou indirectement − de ceux qui lui ont fait du mal. Dans To All a Goodnight (David Hess, 1980), les tueurs sont les parents d’une jeune fille morte à la suite d’un bizutage qui a dégénéré. Dans Prom Night (Paul Lynch, 1980), un jeune homme venge la mort de sa jeune sœur tuée suite à des brimades infligées par d’autres enfants (brimades menant à un accident au cours duquel elle chute d’un immeuble). Dans Terror Train (1981), le tueur est un jeune homme victime de brimades à l’Université et qui se venge en exécutant ses bourreaux des années plus tard lors d’une fête costumée. Dans The Burning (1981), un gardien de camp de vacances accidentellement brûlé par un groupe de jeunes qui cherchent à s’amuser se venge de ces derniers en revenant des années après sur les lieux du drame. Dans House on Sorority Row (1983), le tueur venge la mort de sa mère, tuée à la suite d’une mauvaise plaisanterie organisée par des étudiantes irresponsables et cruelles. Dans Sleepaway Camp (1983), pour prendre un dernier exemple, une jeune fille (du moins c’est ce que l’on pense jusqu’au dernier plan) se venge des brimades infligées par ses camarades.

A l’inverse de Michael Myers dans Halloween, la plupart de ses « clones » ont une raison (aussi illégitime qu’elle puisse paraître) de tuer : venger un affront personnel (mauvaise plaisanteries, brimades cruelles…) ou une offense commise à l’égard d’un proche. Ces slasher films sont donc, diégétiquement parlant, beaucoup plus proches de Carrie que d’Halloween. Comme Carrie, ils mettent en scène la victimisation d’un personnage de souffre-douleur, et s’ouvrent souvent sur une practical joke (mauvaise plaisanterie) particulièrement élaborée, très proche de celle qui conclut le film de De Palma. Dans les deux cas, on assiste à l’humiliation puis à la vengeance de la victime. Dans les deux cas, il est plus ou moins explicite que les transgressions morales et sociales des adolescents découlent en grande partie de l’absence ou de l’irresponsabilité des adultes et, de manière plus générale, des figures d’autorité. Dans Carrie, la mère, le proviseur et le professeur d’anglais de Carrie sont dépeints de manière excessivement négatives (fanatique religieuse, la première maltraite régulièrement sa fille, le second n’arrive pas à se rappeler son prénom et le troisième l’humilie en cours) et la seule figure adulte sympathique, le professeur de gymnastique, Miss Collins, qui est une sorte de mère symbolique pour Carrie, se caractérise surtout par son inefficacité, n’arrivant pas à empêcher la moquerie dont la jeune fille est victime au début et à la fin du film. Dans Friday the 13th ou Terror Train, les adultes sont quasiment absents.

En réalité, la principale différence entre Carrie et The Burning ou Terror Train se joue au niveau de la focalisation : Carrie raconte cette histoire de l’humiliation d’une victime innocente et de sa vengeance du point de vue de la victime. Le film délaisse par moments la jeune fille pour s’intéresser à d’autres personnages, mais c’est elle qui structure la narration et c’est à elle que le spectateur s’identifie prioritairement30
. Cette focalisation contribue à générer pour Carrie une forte dose de sympathie qui perdure après que celle-ci est devenue criminelle. Le slasher, en revanche, raconte la même histoire mais du point de vue des « bourreaux » et de la Final Girl. La figure humiliée transformée en tueur/tueuse (jouant donc la fonction de Carrie) est quant à elle rapidement rejetée dans le hors-champ après la scène de persécution ouvrant le film. Ce basculement du foyer d’identification rend les motifs du tueur opaques et transforme ce dernier en une menace évasive, quasi-inhumaine, ne surgissant du hors-champ que pour occire ses proies. Lors de son combat avec la Final Girl, le tueur réapparaît plein cadre, mais assez brièvement, le temps de se faire proprement refouler, jusqu’à son retour dans une suite éventuelle. En employant la terminologie de Rick Altman, on pourrait dire que le slasher constitue une réorganisation syntaxique d’éléments sémantiques apparus dans Carrie31
. Cette réorganisation modifie radicalement la façon dont la figure du tueur est perçue. A la différence de Carrie, le tueur du slasher perd rapidement ses traits victimaires, et les traces de sa persécution sont de plus en plus oubliées, refoulées aux marges du récit. D’autre part, la vengeance de la victime se déroule fréquemment des années après sa victimisation. C’est par exemple le cas dans The Burning, Friday the 13th, ou encore Terror Train. La vengeance du tueur parait donc plus arbitraire, comme détachée de l’événement qui l’a motivée. Ses crimes semblent disproportionnés et abominables comparés aux « fautes passées » des adolescents responsables de la « mauvaise plaisanterie ». Sa violence apparaît de moins en moins comme une forme de justice privée (au demeurant, bien évidemment, condamnable) et de plus en plus comme une expression criminelle pathologique32
.

Cette nouvelle généalogie, inscrivant le tueur (et non la Final Girl, terme que nous limiterons à partir de maintenant au personnage qui affronte ce tueur dans les slashers) dans la lignée de Sally et de Carrie vient profondément remettre en question une idée qu’on retrouve souvent sous la plume des auteurs écrivant sous le slasher : loin d’incarner les codes culturels de la masculinité phallique, le tueur est souvent décrit comme un être physiquement faible et vulnérable, parfois handicapé, souvent efféminé (c’est le cas de Kenny dans Terror Train et de Marty dans Slaughter High…)33
. Bien avant l’apparition de la Final Girl dans le film, le spectateur masculin est donc poussé à s’identifier à une figure relevant sexuellement de l’ordre masculin mais culturellement et structurellement codé comme féminin ou, en tous cas, comme une sorte de parodie grotesque de la masculinité telle qu’elle est construite dans la société patriarcale américaine. Par une idéologie qu’on pourrait qualifier de darwinisme social, la culture américaine valorise en effet le héros fort et puissant qui incarne les valeurs de la Frontière américaine. Symboliquement, le corps difforme du freak, ou celui, féminin, du nerd, incarne donc l’envers grotesque du rêve américain34
.

La formule narrative de la victime persécutée qui se venge commence à dévier, voire à s’inverser, à partir de A Nightmare on Elm Street. Premier film d’une série extrêmement populaire qui compte aujourd’hui sept épisodes (et un crossover très médiatisé, Freddy vs. Jason, en 2003)35
, A Nightmare on Elm Street signale la première apparition de Freddy Krueger, croquemitaine muni d’un gant aux lames d’acier, connu pour ses jeux de mots bouffons autant que pour son aspect terrifiant. Tueur d’enfants lynché par des parents furieux après que la justice institutionnelle a échoué à le mettre en prison, Freddy revient d’entre les morts pour se venger en massacrant les enfants de ses bourreaux. S’immisçant dans les rêves de ses victimes, il prend la forme de leurs pires cauchemars et les tue dans leur sommeil. Comme Carrie, Cropsy (The Burning) ou Marty (Slaughter High, 1986), Freddy est victime d’une violence collective. Comme eux, il possède un physique difforme (son visage est intégralement brûlé). Cependant, à l’inverse des slashers, où la victime « innocente » bascule dans la criminalité suite à la persécution dont elle est l’objet, la criminalité de Freddy précède son lynchage. Dans la logique idéologique et diégétique du film, Freddy n’est pas un bouc émissaire mais un criminel qui « mérite » son châtiment. En outre, là où les victimes vengeresses des films précédents sont « simplement » l’objet de moqueries ou de comportements irresponsables, Freddy est victime d’un acte criminel. Le film de Craven possède, de plus, une dimension ouvertement fantastique qui s’accentuera dans les épisodes suivants et deviendra l’une des caractéristiques de ce que Ian Conrich appelle le post-slasher, dans lequel le tueur devient quasiment immortel et indestructible36
.

 

5. Halloween : de la victime au croquemitaine

 

Comme nous l’avons vu, Carol Clover situe Laurie Halloween dans la lignée de Sally, la Final Girl de The Texas Chain Saw Massacre. Intégrer Carrie à la discussion modifie en profondeur cette généalogie. En effet, à l’inverse de Clover, nous pensons que Laurie ne joue pas la fonction originellement jouée par Sally, mais constitue un nouveau personnage ayant précisément pour fonction de lutter contre Sally.

A priori, Halloween a l’air de s’éloigner radicalement de Carrie et de Texas Chain Saw Massacre : aucune scène ne montre Michael Myers être persécuté ou victimisé par son entourage. L’origine de sa violence n’est pas expliquée, si ce n’est par la diabolisation opérée par le docteur Loomis qui le décrit comme le Mal absolu, une incarnation du croquemitaine des contes de fées. Bien qu’un tel jugement paraisse peu scientifique, il est difficile de le lui reprocher. Le croquemitaine constitue en effet le coupable idéal ; qui d’autre pourrait être responsable d’une telle hécatombe la nuit d’Halloween37
 ? Pourtant, il nous semble qu’une autre explication, moins fantaisiste et paranoïaque, est possible, et que le film de Carpenter peut, en dépit de la volonté farouche des personnages (Loomis notamment) et de certains critiques d’annexer le film sur le genre fantastique, être rapproché de Carrie et de sa figure vulnérable. S’il n’est pas directement persécuté, comme Sally, Carrie, Kenny Hampson dans Terror Train ou Angela dans Sleepaway Camp, Michael Myers, un petit enfant, un être faible, sans défense, au début du film, est délaissé par ceux qui étaient censés le surveiller, comme les moniteurs de Jason dans Friday the 13th. Michael est même doublement abandonné : par ses parents d’abord, qui sont sortis et n’apparaissent qu’à la fin de la première séquence et, surtout, par sa sœur, Judith, à laquelle a été délégué le soin de le surveiller et de s’occuper de lui, mais qui préfère passer du temps avec son petit ami. Traditionnellement, c’est à l’aînée que revient le rôle de veiller sur le membre le plus jeune de la famille, or la grande sœur ici n’a pas respecté ce devoir.

Mis en danger par son entourage irresponsable, Michael va alors se venger et punir ceux qui mettent en péril les plus jeunes et les plus faibles, notamment Tommy Lloyd, l’enfant dont Laurie est censée s’occuper en tant que babysitter, dans la suite du film38
. Michael ne tue donc pas, comme le soutiennent Eric Dufour, Kim Newman, ou John McCarthy, de façon arbitraire. Il s’en prend en réalité à ceux dont les transgressions ou l’irresponsabilité mettent en péril le tissu social, notamment les plus faibles39
.

Selon cette généalogie, dans Halloween, c’est Michael Myers, et non Laurie, qui occupe la fonction jouée par Carrie (et, à l’origine, par Sally) dans le film de De Palma. Laurie n’est donc pas l’évolution d’un ancien personnage lui pré-existant mais bien un nouveau personnage qui apparaît pour lutter contre ce dernier. Dans une démarche pragmatique, c’est à ce personnage que nous proposons d’appliquer (et de limiter) la terminologie de Final Girl.

L’introduction de la Final Girl, fonction et figure qui sera ensuite reprise dans la plupart des slashers, permet au spectateur de rompre l’identification moralement problématique avec la figure du tueur, la Final Girl représentant les valeurs morales dont sont dépourvus les autres adolescents et incarnant les valeurs d’autonomie, de courage et de ressources caractéristiques du mythe de la Frontière, mythe américain fondateur dans lequel l’individu devient un héros en s’ensauvageant pour faire face à un ennemi sauvage40
. C’est par exemple le cas d’Alice dans Friday the 13th. Isolée dans un environnement hostile, elle finit par décapiter Pamela Voorhees à la fin du film, violence sauvage mais rendue acceptable par l’argument de la légitime défense, à l’inverse de la violence du tueur, violence qu’on pourrait à de nombreux égards qualifier d’« éthique » (Pamela cherche à éviter que le drame ayant causé la mort de son fils se reproduise) mais qui reste in fine illégitime car excessive.

 

Dans cet article, nous avons essayé de montrer que, à l’inverse de ce que postule Carol Clover et les historiens du slasher qui se sont inscrits dans sa lignée, Laurie (Halloween) ou Alice (Friday the 13th) n’occupent pas, structurellement parlant, la place occupée précédemment par Sally ou Carrie, c’est-à-dire la place de la victime. Elles occupent une nouvelle position et se battent contre « Carrie » (envisagé ici comme fonction propienne), qui est elle-même une version « excessive » et réactive de Sally. On pourrait exposer l’apparition de cette nouvelle figure dans le tableau suivant :

Film Victime « passive » Victime vengeresse Final Girl
The Texas Chain Saw Massacre Sally    
Carrie   Carrie  
Halloween   Michael Myers Laurie
Friday the 13th   Jason Alice
The Burning   Cropsy Alfred
Terror Train   Kenny Alana
A Nightmare on Elm Street   Freddy Nancy

Ce panorama ne répond cependant pas aux autres questions posées par le texte de Carol Clover : pourquoi est-ce une fille qui, dans ces films, est chargée de restaurer l’ordre, et non un personnage masculin comme c’est traditionnellement le cas dans le cinéma américain ? Comment comprendre la fonction culturelle du slasher ? Pourquoi celui-ci émerge-t-il à la fin des années 1970 ? Autant de questions en suspens auxquelles il s’agira de répondre dans l’avenir41
.

 

(Rirra21, Université Paul Valéry)

 

 

Notes et références

  • 1Nous ne chercherons pas ici à définir plus précisément le slasher, qui est une entité générique aux contours assez lâches, sur laquelle il n’existe aucun consensus réel, et qui recoupe ou exclut, selon les critiques, les (sous-)genres connexes du « teenie kill-pic », stalker movie, psycho-killer movie, ou splatter film. Pour une historique des étapes ayant mené le terme « slasher » à être accepté comme terme fédérateur, voir le premier chapitre de Richard Nowell, Blood Money. A History of the First Teen Slasher Film Cycle, London, Continuum, 2011. S’il est évident que des éléments génériques apparaissent avant le premier film formellement qualifié de slasher, nous suivrons la plupart des critiques et historiens du cinéma qui s’accordent pour voir dans Halloween (John Carpenter, 1978) le premier slasher « officiel ». Comme Vera Dika le montre dans son étude structuraliste consacrée au genre (Games of Terror. Halloween, Friday the 13th, and the Films of the Stalker Genre. Rutherford, NY, Fairleigh Dickinson, UP, 1990), il s’agit clairement du film qui servit de modèle à toute une série de films d’exploitation indépendants ou produits par des studios auxquels les critiques font en général référence lorsqu’ils écrivent sur le slasher. Pour une analyse sur les ancêtres du slasher comme Psycho (Alfred Hitchcock, 1960), Peeping Tom (Michael Powell, 1960), 13 Women (George Arcahinbaud, 1932), The Ninth Guest (Roy William Neil, 1932) ou encore The Walking Dead (Michael Curtiz, 1936), voir Adam Rockoff, Going to Pieces. The Rise and Fall of the Slasher Film, 1978-1986 (Jefferson, McFarland, 2002).
  • 2Sur le succès commercial du genre, voir Richard Nowell, op. cit.
  • 3Sur la question de la censure, nous renvoyons à notre article, « La violence du slasher film : une affaire de morale », Darkness n°15, revue sur la censure au cinéma, 2014, Besançon Sin’Art.
  • 4Robin Wood, Hollywood, from Vietnam to Reagan, New York, Columbia University Press, 2003, p. 81. Nous traduisons.
  • 5Le vigilante est la version américaine de la figure du justicier solitaire, tels que Billy Jack (la série Billy Jack), Paul Kersey (la série Death Wish), ou encore Bufford Pusser (la trilogie Walking Tall). Héros d’une Frontière souvent urbaine, le vigilante défend la veuve et l’orphelin contre des ennemis « sauvages » (souvent issus des minorités raciales). Au cinéma, il apparaît sous les traits musclés et charismatiques de Clint Eastwood, de Sylvester Stallone ou de Charles Bronson. Les bases mythologiques de cette conception de la justice remontent aux fondements de l’Amérique, à une époque où, en l’absence d’Etat, les colons sur la Frontière n’hésitaient pas à faire justice eux-mêmes. Le concept de vigilantism fut ensuite théorisé et légitimé par la notion de souveraineté populaire pendant la Révolution américaine Pour une exploration de la figure du vigilante, voir Arnold Madison, Vigilantism in America (New York, The Seabury Press, 1973), Richard Slotkin, Gunfighter Nation, The Myth of the Frontier in Twentieth-Century America (Oklahoma, University of Oklahoma Press, 1992).
  • 6Sur le sujet, voir notamment Michael Ryan et Douglas Kellner, Camera Politica. The Politics and Ideology of Contemporary Hollywood Film, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1988; et Stephen Prince, A New Pot of Gold, Hollywood Under the Electronic Rainbow, 1980-1989 (History of the American Cinema, vol. 10), Berkeley, University of California Press, 2000, p. 351.
  • 7Linda Williams, “When a Woman Looks.”, Re-Vision: Essays in Feminist Criticism,  Mary Ann Doane, Patricia Mellencamp, Linda Williams. Frederick (é.), MD, American Film Institute, 1984, pp. 83-99.
  • 8Vera Dika, op. cit.
  • 9Carol Clover, “Her Body, Himself”, in Men, Women and Chainsaws. Gender in the Modern Horror Film, Princeton, Princeton University Press, 1988. Une version plus longue de cet article, que nous citons en exergue, a été publié dans le volume The Dread of Difference. Gender in the Horror Film, B.K. Grant (éd.), Texas Film Studies, 1996.
  • 10Notons que la thèse féministe de Clover doit être nuancée : la Final Girl est souvent secourue par un homme, comme Donald Pleasence à la fin de Halloween. En outre, elle finit souvent le film dans un état de terreur absolue (Sally est rendue folle à la fin de The Texas Chain Saw Massacre ; dans Halloween, Laurie termine le film prostrée, terrifiée, et en larmes). On est donc objectivement assez loin de la figure héroïque construite par Clover.
  • 11Carol Clover, op. cit., p.40. Nous traduisons.
  • 12Parfois, la Final Girl est un Final Boy, comme Alfred dans The Burning. Vera Dika note cette exception pour aussitôt remarquer que les traits anti-héroïques, voire « féminins » du personnage le codent comme Final Girl : « Alfred, le héros de The Burning, est différent des hommes traditionnellement présents dans les stalker films. A l’inverse du héros américain typique, il est petit, maigre, physiquement faible, et a des traits ethniques assez prononcés. Alfred a le teint brun, un nez épais et une tête allongée. De par son « inadéquation » physique, Alfred est le substitut parfait de la Final Girl habituelle. Les deux sont des versions physiquement « diminuées » du héros américain typique » (Vera Dika, op. cit., p. 119). Nous traduisons.
  • 13Laura Mulvey, “Visual Pleasure and Narrative Cinema”, Film Theory and Criticism, Leo Braudy, Marshall Cohen, p. 837-848.
  • 14Au moment où nous écrivons ces lignes, un colloque autour de la pérennité et de l’importance du texte de Clover est annoncé à Chicago, en mars 2017 (“Revisiting the Final Girl: The 30th Anniversary of « Her Body, Himself, » SCMS, Chicago, https://call-for-papers.sas.upenn.edu/cfp/2016/06/03/revisiting-the-final-girl-the-30th-anniversary-of-her-body-himself-scms-chicago-il)
  • 15Nous avons ailleurs baptisé ce genre “Hop-Frog movie” car nous l’envisageons comme l’expression contemporaine d’un mythe culturel appréhendé de manière archétypale par Edgar Poe dans la nouvelle Hop-Frog (1846), dans laquelle un nain, bouffon à la court d’un roi sadique, se venge des mauvaises plaisanteries infligées par ce dernier en exécutant le monarque lors d’un bal masqué (Pour un développement sur le « Hop-Frog movie », voir notre article « La violence du slasher film », op. cit., et « Les résurgences d’Hop-Frog (Edgar Poe, 1849) dans le film d’horreur américain des années 1970-80, Torso n°13 (Aix-en-Provence) ; à paraître).
  • 16Le film a engendré trois suites, et a donné lieu à un remake produit par Michael Bay en 2003, lui-même suivi d’une préquelle en 2006, et d’un nouveau remake en 2013.
  • 17Jean-Baptiste Thoret, Une expérience du chaos : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, Dreamland, Paris, 2000, p. 121.
  • 18« Les éléments constants, permanents du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la manière dont ces fonctions sont remplies […] Les situations, les personnages ou les modalités d’action varient : les fonctions restent, quant à elles, identiques […] un personnage peut remplir plusieurs fonctions, et une fonction peut être remplie par plusieurs personnages », in J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, Paris, Nathan, 1999, p. 91-92. Pour une discussion sur l’application du schéma de Vladimir Propp au cinéma, voir Will Wright, Sixguns and Society. A Structural Study of the Western, Berkeley, University of California press, 1975.
  • 19Le film de De Palma, qui reprend fidèlement la trame du roman de King, connut un succès retentissant à sa sortie en 1976. Il donna lieu à une suite (The Rage : Carrie 2, Katt Shea, 1999), à un remake télévisuel réalisé par David Carson en 2002, et même à une comédie musicale à Broadway en 1988.
  • 20Vera Dika, op. cit., pp. 86-87. Nous traduisons.
  • 21Il est important de souligner que Carrie n’est pas le seul exemple de film des années 1970 mettant en scène une figure de victime « marginale », bouc émissaire de ses camarades ou de ses supérieurs, et qui se venge de ces derniers. Citons, avant Carrie, Willard (Daniel Mann, 1971), Stanley (William Grefe, 1972), Horror High (Larry Stouffer, 1974), Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974) et Massacre at Central High (René Daalder, 1976). Après Carrie, on peut citer Fade to Black (Vernon Zimmerman, 1980), Christmas Evil (Lewis Jackson, 1980), The Pit (Lew Lehman, 1981), l’adaptation de Stephen King Christine (John Carpenter, 1983), Silent Night, Deadly Night (Charles E. Sellier, 1984) ou, sur un versant plus burlesque, Revenge of the Nerds (Jeff Kaney, 1984), Funland (Michael Simpson,1987) The Toxic Avenger (Michael Herz, 1984), ou encore The Garbage Pail Kids Movie (Rod Aamteau, 1987).
  • 22Clover trouve des préfigurations de cette figure dans Psycho (le personnage de Lila Crane, qui enquête sur la disparition de sa sœur), mais argue que le modèle « achevé » de la Final Girl, qui sera ensuite décliné dans des films, est Sally (Clover, op. cit., p. 36).
  • 23Carrie peut d’ailleurs être appréhendé comme une réponse formelle à The Texas Chain Saw Massacre, De Palma reprenant certains cadrages du film de Hooper (notamment des plans serrés en plongée ou contre-plongée très accentuées et de très gros plans sur les yeux révulsés de la protagoniste) pour traduire l’impuissance de la victime.
  • 24« Mais qu’est-ce qui, au fond, horrifie ici ? Si ce qui fait peur est la « libération des femmes », est-ce que Carrie est le monstre ? Et si c’est le cas, qui est la victime, et qui est le héros ? La réponse semble être que Carrie est les deux à la fois. A travers le film, elle est la victime de camarades de classe et d’une mère monstrueux, mais quand, à la fin, elle se venge, elle devient elle-même une sorte d’héroïne monstrueuse – héroïne dans le sens où elle se dresse contre les forces de la monstruosité, monstrueuse dans le sens où elle est elle-même devenue excessive, démoniaque. » (Carol Clover, op. cit., p. 4) Nous traduisons.
  • 25Andrew Tudor, Monsters and Mad Scientists: A Cultural History of the Horror Movie, Oxford, Blackwell, 1989, p. 199. Nous traduisons.
  • 26Adam Smith, « Halloween », Empire, « The Greatest Horror Movies Ever » (Hors série), Londres, Seventh Flour, 1990, p. 80. Nous traduisons.
  • 27Eric Dufour, Le Cinéma d’horreur et ses figures, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 131.
  • 28Kim Newman, op. cit., p. 146. Nous traduisons.
  • 29John McCarty, Movie Psychos and Madmen, Film Psychopaths from Jekyll and Hyde to Hannibal Lecter, New York, Citadel Press Book, 1993, p. 165. Nous traduisons.
  • 30Nous faisons référence ici à l’identification secondaire, avec le personnage, et non à l’identification primaire à la caméra. Sur cette distinction, voir Christian Metz, Le Signifiant imaginaire [1977], Paris, Christian Bourgois, 2002.
  • 31Rick Altman, Film/Genre, London, BFI Publishing, 1999.
  • 32L’exemple paradigmatique de notre propos est la série Friday the 13th et particulièrement les derniers épisodes, dans lesquels la violence de Jason semble totalement arbitraire, sans relation avec sa vengeance initiale. Enfant difforme victime de l’irresponsabilité d’adolescents immatures, Jason perd au fil du temps toute caractéristique victimaire pour devenir une monstrueuse machine à tuer, une créature surnaturelle (il meurt à la fin de chaque épisode pour être ressuscité au début du suivant) aux pouvoirs quasi-illimités. Le slasher constitue de ce point de vue une forme mythique au sens où l’entend René Girard, c’est-à-dire un récit masquant le lynchage d’un bouc émissaire en transformant une victime innocente en monstre (voir Girard, La Violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972). Le comble du processus de mythification transformant ce dernier en monstre est atteint avec la série des « Freddy », où la victime est coupable (Freddy est présenté comme un tueur d’enfants) avant même d’être lynchée. A l’inverse de Terror Train ou de The Burning, qui consacrent une séquence (le prologue) à la représentation de cette violence collective, A Nightmare on Elm Street ne met pas en scène le lynchage de Freddy. L’événement qui mène Krueger à se venger est seulement verbalisé par la mère de Nancy (Heather Langenkamp), la Final Girl, poussée par sa fille à révéler les origines du croquemitaine aux griffes d’acier. Véritable scène primitive du genre, la victimisation du bouc émissaire est ici entièrement escamotée du récit.
  • 33On peut d’ailleurs lire le port (fréquent) du déguisement et la nécessité pour le tueur d’avoir recours à des armes phalliques pour assurer sa vengeance comme une forme de palliatif ou de prothèse à une masculinité « défaillante », ce qui signale bien que 1) le tueur n’est pas, à la base, une incarnation hyper-masculine 2) que la masculinité n’est pas une donnée ontologique mais bien un « bricolage » de codes esthétiques, de symboles, d’emblèmes, qui peuvent se greffer sur un corps (A ce sujet, voir notre article « Massacres and Masquerades: the Killer’s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller”, Fashion and Horror (Gudrún D Whitehead, Julia Petrov, Bloomsbury (éd.), à paraître en 2017).
  • 34Voir R.G. Thomson, op. cit.
  • 35La série des « Freddy » comprend A Nightmare on Elm Street, A Nightmare on Elm Street 2 : Freddy’s Revenge (Jack Sholder, 1985), A Nightmare on Elm Street 3 : Dream Warriors (Chuck Russel, 1987), A Nightmare on Elm Street 4 : The Dream Master (Renny Harlin, 1988), A Nightmare on Elm Street 5 : The Dream Child (Stephen Hopkins, 1989), Freddy’s Dead : The Final Nightmare (Rachel Talalay, 1991), Wes Craven’s New Nightmare (Wes Craven, 1994). En 2003, Ronny Yu réalise le « crossover » Freddy vs. Jason. New Line produit un remake du premier film en 2010 (Samuel Bayer).
  • 36Ian Conrich, « La série des Vendredi 13 et la fonction culturelle d’un Grand-Guignol moderne », Cauchemars américains, Fantastique et horreur dans le cinéma moderne, éd. Cefal, Liège, p. 110. Après 1986, le mythos de la victime persécutée qui se venge est encore mobilisé dans quelques films comme Killer Party (William Fruet, 1986), la première histoire du film à sketch Screamtime (Michael Armstrong, 1986) ou encore Pledge Night (Paul Ziller, 1988), mais, à l’instar de la série des Freddy qui évolue vers le Grand-Guignol, ces films relèvent autant du genre comique que du film d’horreur. Depuis le milieu des années 1990 on assiste à une résurgence régulière de cette formule avec des films comme Valentine (Jamie Blanks, 2001), Tamara (Jeremy Haft, 2005), Drive Thru (Brendan Cowles, 2007), Truth or Die (Robert Heath, 2007), Stitches (Conor McMahon, 2012), ainsi que l’épisode de la série Masters of Horror, We All Scream for Ice Cream (Tom Holland, 2007). Cette résurgence est probablement à interpréter à la lumière du massacre de Columbine, dans lequel deux adolescents objets de harcèlement ont mis en application le script culturel préfiguré par ces films (et, à l’origine, par Edgar Poe dans sa nouvelle Hop-Frog).
  • 37Pour des développements sur la circulation de la figure du croquemitaine dans Halloween, voir notre article « Etait-ce bien le croquemitaine ? Pour une démystification d’Halloween », CinémActionLes Cinémas de l’horreur, Anne-Marie Paquet-Deyris (éd.), Condé-sur-Noireau, Corlet, 2010.
  • 38Myers vient notamment à la rescousse de Tommy lorsque ce dernier se fait persécuter par des camarades à la sortie de l’école. Montant dans une voiture de police, il veille ensuite à ce que l’enfant rentre chez lui sans problèmes. A ce titre, il est possible de percevoir Myers comme une figure conjurée par l’inconscient de l’enfant pour punir les bullies, à l’instar de Cropsy dans The Burning. Cette lecture est d’autant plus légitime que Carpenter intègre un intertexte avec Forbidden Planet (Fred Mc Wilcox, 1957). Dans ce classique de la science fiction, regardé par Tommy à la télévision, l’entité monstrueuse est une figure protectrice conjurée par l’esprit d’un père désirant protéger sa fille.
  • 39Cette fonction de protecteur permet de comprendre pourquoi Laurie, figure maternante et protectrice, est la dernière à subir la violence du tueur. A un certain niveau, Laurie apparaît pour Michael comme la « bonne » sœur qui remplace la « mauvaise » sœur qu’il a tuée. Le tueur et la Final Girl, qui sont liés par leur ambiguïté genrée, partagent ainsi également la fonction sociale de protection des plus vulnérables.
  • 40Le mythe de la Frontière repose sur l’idée que les valeurs idéologiques et le caractère exceptionnel du développement socio-économique américain proviennent du contact régénérateur avec une nature sauvage et d’une guerre purificatrice contre un ennemi racial (Amérindiens, Noirs, Mexicains…). Voir Richard Slotkin, Regeneration through Violence. The Mythology of the American Frontier, 1600-1860. Norman, University of Oklahoma, 1973.
  • 41Le lecteur curieux trouvera des amorces de réponse dans nos articles « La violence du slasher film », op. cit., « Massacres and Masquerades: the Killer’s Costume in the American Slasher Film and the Cultural Myth of the Foolkiller », op. cit., et « Vulnérabilité et intronisation carnavalesque dans le film d’horreur américain des années 1970-80 », Revue Leaves (Université de Bordeaux), n°3 consacré à la figuration de la vulnérabilité (http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves) (A paraître).

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