Les soldats artistes amateurs de la Grande Guerre : engagements esthétiques et pratiques autodidactes

Marco Falceri

01/03/2022

Plan de l’article :

  • Pratiques créatives des soldats
    • Artisanat et inscriptions du front
    • Centres de rééducation professionnelle
  • La réception des soldats artistes amateurs
    • Savants ou populaires ? Une catégorisation instable
    • Une patrimonialisation tardive
  • Le défi des salons militaires
    • Représentativité des expositions artistiques
    • Exemplarité des « journaux de tranchée »
  • Témoignages iconographiques : la comédie dans la tragédie
    • Peintures, dessins et écritures illustrées
    • Travaux autodidactes de soldats anonymes

Dans les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Friedrich von Schiller expose ses idées sur les Beaux-Arts et l’esthétique au duc d’Augustenbourg, en sa qualité d’amateur d’antiquités[1]. L’écrivain allemand initie le futur prince à une éducation érudite au contact des Anciens, sans négliger les exigences des Modernes. La sagesse du jeune duc ne doit pas se restreindre aux affaires du royaume, mais s’ouvrir à l’« instinct de jeu[2] » commun à toute l’humanité. Dans l’Europe du XIXe siècle, le dilettantisme des amateurs d’art n’est plus une pratique d’érudition intellectuelle, non plus qu’un apanage de l’aristocratie savante. Déjà avant 1848, les artistes amateurs peuvent se former dans les petites classes des écoles d’art, comme dans les ateliers de nu, et participent parfois à des expositions qui mêlent artistes professionnels et dilettantes[3]. De plus, ces dilettantes fréquentent les manuels didactiques pour l’apprentissage de techniques des Beaux-Arts[4] ; ainsi, le paysage saisonnier à l’aquarelle, et plus tard la photographie, constituent leurs pratiques artistiques de prédilection[5]. Signe de l’essor de la figure, les artistes amateurs évoluent en personnages excentriques dans les fictions romanesques[6]. Au début du XXe siècle, le dilettantisme évoque désormais un style de vie[7] ou une mode intellectuelle[8], se développant non plus seulement dans les cabinets d’érudition ou dans les académies, mais aussi autour d’écoles, casernes et garnisons. À la Belle Époque, écoles et armées autorisent l’exercice des pratiques artistiques autodidactes dans le temps des loisirs.

Cet article porte sur les modalités d’engagement esthétique des artistes dilettantes de la Grande Guerre, en investiguant les pratiques autodidactes et les procédés d’apprentissage artistique. Selon une approche interdisciplinaire investissant historiographie artistique et sociologie des professions, il s’agira d’analyser l’autodidactisme[9] en tant que phénomène social et stylistique de la créativité dilettante en situation de conflit armé ou de mise en mémoire après-coup. L’étude repose sur un corpus prosopographique de témoignages émanant de dix-sept artistes dilettantes, issus de cinq anciens pays belligérants tels que la France (An. I, André Bauchant, Camille Bombois, Maxime Bourrée, Henri Camus, Pierre Dantoine, Léon-Antoine Dupré, Jean Fontaine, Charles Laquièze, Gaston Lavy, Marcel Mullot et Pierre-Alfred Nougarede), l’Allemagne (An. II et Adolf Hitler), les États-Unis (Horace Pippin), l’Italie (An. III) et l’Autriche-Hongrie (Jaroslav Brda).

Ces artistes pour la plupart peu connus, voire anonymes, qui ont fait l’objet de publications et d’expositions[10], permettent de mieux comprendre la diversité des manières de faire et de représenter la Grande Guerre, d’une manière alternative à celle des artistes professionnels, qu’ils soient d’avant-garde ou traditionnels. Les soldats artistes amateurs pratiquent les arts visuels en s’engageant pour le plaisir esthétique d’une appréhension et expérimentation créative[11], mais aussi afin de restituer, en premier lieu à leur entourage intime, leurs expériences de guerre dans une relative autonomie d’action et de conception. Le statut de combattant ou d’ancien combattant constitue ces auteurs en « témoins oculaires[12] » du conflit armé, les rendant créateurs et producteurs d’images testimoniales[13]. En outre, les marchés de l’édition, de la presse et de l’exposition conditionnent les artistes dilettantes à adopter des stratégies d’ajustement et de promotion pour légitimer leur créativité. Comme l’a noté Anne Souriau, « l’amateur qui éprouve le besoin d’un public a tendance à vouloir devenir professionnel[14] ».

Ainsi, les métiers et les professions des témoins, visuels ou indirects, exercées aux armées ou dans la société civile, comptent tout aussi bien que leurs statuts d’anciens combattants ou de soldats mobilisés. Leur enrôlement militaire s’effectue par adhésion volontaire ou par incorporation étatique[15]. De plus, ces soldats artistes amateurs se différencient selon leur âge, leur métier, leur nationalité, et les modalités du service armé. Notre critère décisif pour la sélection des témoins autodidactes réside dans le fait qu’avant leurs enrôlements, ces derniers n’avaient pas mené d’expérimentation artistique aboutie, ni entrepris une formation auprès d’un institut d’art.

 

Pratiques créatives des soldats

Durant la Grande Guerre, les pratiques créatives des soldats s’exercent en marge du service armé, notamment loin des tranchées ou après les combats. Les registres des matricules ou les fascicules militaires[16], en plus des correspondances, journaux, mémoires, récits et romans, permettent de reconstituer au mieux les trajectoires biographiques des soldats mobilisés, en recomposant l’historique de leur service armé. Avant de se focaliser sur les soldats artistes amateurs, il s’agira de montrer comment les pratiques créatives des soldats se situent aux frontières culturelles du dilettantisme et du professionnalisme : en effet, les techniques artisanales et les inscriptions manuelles des soldats n’agencent pas strictement des pratiques artistiques autodidactes. Elles relèvent de situations d’apprentissage éducatif comme l’hétérodidaxie, pour les métiers manuels et collaboratifs de l’artisanat, ou l’adidaxie, en ce qui concerne les graffitis muraux et rupestres[17].

 

Artisanat et inscriptions du front

De nombreuses études sur la culture visuelle des soldats s’intéressent à la foisonnante production artisanale des soldats[18], en considérant des objets esthétiques assemblés, gravés ou sculptés. L’archéologue anglais des champs de bataille Nicholas J. Saunders les a valorisés sous le terme évocateur d’» Art de tranchée (Trench Art)[19] ». Depuis l’hiver 1914-1915, des soldats récupèrent les engins militaires usés ou écartés (y compris des pièces d’armes défectueuses) pour les transformer en objets plaisants, tout aussi bien décoratifs que fonctionnels : porte-bonheur, vases, cadres photos, porte-stylo, jouets, bagues, bibelots, briquets… Ces artefacts ont pu être commercialisés lors des expositions de guerre ou dans les marchés urbains de l’arrière, attirant la curiosité du public ou favorisant l’émulation créative d’artistes professionnels. Par exemple, en 1915, le poète combattant Guillaume Apollinaire grave la scène d’un affrontement entre artilleurs sur le couvercle d’une boîte métallique de dentifrice, en sous-inscrivant la phrase « Ah ! Dieu que la guerre est jolie », reprise ensuite dans son calligramme L’Adieu du cavalier [Fig. 1]. Ou encore, en 1918, dans un cantonnement sur le front d’Isonzo, le peintre italien Lorenzo Viani cisèle et sculpte une douille d’obus avec des silhouettes soldatesques [Fig. 2].

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Fig. 1 : Guillaume Apollinaire, Ah ! Dieu que la guerre est jolie, 1915, gravure sur boîte métallique, dimensions inconnues, Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, Paris. Cliché-photo : Philippe Bonnet.

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Fig. 2 : Lorenzo Viani, Asiago-Granezza, 24 juin 1918, douille d’obus en laiton gravée et sculptée, Ø16xh25 cm, coll. privée. Cliché-photo : Marco Falceri.

Les historiens ont justement souligné que ce type d’objets est fabriqué par des artisans du bois et du métal (menuisiers, forgerons, ferblantiers, etc.) principalement en retrait du front, à proximité de dépôts de munitions, casernes, hôpitaux ou camps de prisonniers[20]. Ces objets artisanaux, aujourd’hui conservés dans les musées ou dans des collections particulières, ont un statut souvent anonyme et leurs auteurs restent très peu identifiables, à l’instar de ceux des milliers d’inscriptions manuelles, linguistiques ou figuratives, comme les gravures rupestres [Fig. 3], les graffitis à la craie ou au crayon [Fig. 4], ou encore les bas-reliefs que les anciens combattants ont inscrit sur les parois rocheuses de tranchées, tunnels et cantonnements souterrains. Aux anciennes lignes du front occidental, ces graffitis se retracent pour la majorité entre le nord de la France (Aisne et Oise[21]) et le nord-est de l’Italie (Frioul, Vénétie et Trentino Alto-Adige).

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Fig. 3 : An. (Italien), Profil d’un Alpin (Battaglione Susa), 1915-1917 ca., inscription rupestre localisée sur le Mont Pizzul (commune de Moggio Udinese, Udine), coll. Gruppo Storico Friuli Collinare/Museo della Grande Guerra di Ragogna, Italie [n°00068]. ©Marco Pascoli (www.graffitidiguerra.it).

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 Fig. 4 : An. (Italien), Assaut (Bersaglieri), 1915-1917 ca., inscription murale au crayon noir localisée dans un tunnel au Mont Peloso (commune de Ragogna, Udine), coll. Gruppo Storico Friuli Collinare/Museo della Grande Guerra di Ragogna, Italie [n°00007]. ©Marco Pascoli (www.graffitidiguerra.it).

 

Centres de rééducation professionnelle

Les ateliers de métiers, mis en place par les associations humanitaires ou les entreprises philanthropes dans les Centres de rééducation professionnelle pour les soldats invalides (aveugles, blessés de la face et mutilés), constituent une autre modalité de la production artisanale des soldats. Les ateliers de réhabilitation, fonctionnant en lien avec les hôpitaux, étaient particulièrement nombreux à Paris et à Lyon, mais existaient également dans les villes de province, afin de permettre le réemploi des combattants réformés pour des métiers comme la menuiserie, l’agriculture, l’horticulture, le tissage, la poterie, la typographie, la dactylographie, en facilitant au plus vite leur réinsertion professionnelle. Plutôt que d’autodidactisme, il s’agit d’utilisation thérapeutique du processus créatif, à des fins d’enseignement professionnel ou d’ingénierie médicale. Le 20 mai 1916, la Ville de Paris inaugure au musée Galliera l’Exposition des Travaux des Mutilés de la Guerre, qui réunit des centaines d’objets produits par les invalides dans les Centres de rééducation professionnelle de la capitale : boîtes décorées, jouets, vases, tissus ornés, mais aussi une peinture de paysage, collective et panoramique, comme « L’œuvre des mutilés de la ville d’Alger », reproduite dès le lendemain dans le journal illustré L’Excelsior [Fig. 5][22]. Du 14 au 22 avril 1923, à Gand, en Belgique, la Section des Aveugles organise la Première Exposition Interalliée des Œuvres et des Travaux des soldats invalides de la Guerre 1914-1918[23], inaugurant un genre d’exposition assez diffusé en Europe dans les années 1920 et 1930. Une fois de plus, ces travaux sont marqués par l’anonymat, désignées par les noms d’ateliers de réhabilitation ou d’organisations partenaires. À l’instar de l’artisanat ou des inscriptions du front, ces documents ne permettent pas d’identifier facilement leurs auteurs, mais parachèvent le répertoire iconographique de la créativité « non-professionnelle » en temps de guerre.

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Fig. 5 : An., « Une exposition émouvante… Les travaux des mutilés de la guerre », L’Excelsior, dimanche 21 mai 1916, p. 6. Gallica/Bnf. Cliché-photo : Marco Falceri.

La réception des soldats artistes amateurs

Au début du XXe siècle, les artistes dilettantes se multiplient à tel point que des critiques d’art comme Guillaume Apollinaire ou André Salmon qualifieront les peintres de « naïfs[24] », et ce avant même leur consécration à l’exposition rétrospective Les Maîtres populaires de la réalité, organisée en 1937 à Paris sous le haut patronage de l’État français[25]. Parmi eux, André Bauchant (1873-1958, horticulteur) et Camille Bombois (1883-1970, ouvrier du Métro de Paris) étaient des soldats en 1914-1918. Le site web de la fondation et galerie Dina Vierny, qui en conserve des œuvres d’art, en fournit des courtes biographies qui présentent l’expérience de la guerre comme une découverte de leur talent : « C’est pour lui la révélation d’un talent qu’il ignorait[26] » ; « Il décide […], à son retour de la guerre de 1914-1918, d’exposer ses œuvres sur les trottoirs de Montmartre[27] ».

Savants ou populaires ? Une catégorisation instable

À l’instar des peintres naïfs, tous les soldats artistes amateurs, initialement, ont exercé des métiers extra-artistiques. En revanche, ils ne proviennent pas uniquement des classes populaires ou des milieux paysan et ouvrier, mais aussi des classes moyennes et supérieures, comme le suggère un bon nombre de sous-officiers ou d’officiers engagés dans les armées. Concernant notre corpus, presque un quart (quatre artistes dilettantes sur dix-sept, An. I, Pierre-Alfred Nougarede, Jean Fontaine et Marcel Mullot), sont des militaires professionnels, officiers ou médecins auxiliaires. Il s’ensuit que la catégorisation sociale de ces artistes demeure globalement instable, oscillant en fonction des métiers entre les groupes socioprofessionnels des classes populaires, moyennes et supérieures : Bauchant et Bombois exercent des métiers modestes, comme employés dans l’agriculture ou dans les transports ; d’autres exercent des fonctions publiques ou des métiers libéraux dans la société civile. C’est pour cette raison que nous privilégions une approche en termes de trajectoires biographiques, plutôt qu’une catégorisation sociale réductrice, ou qu’une référence unilatérale ou univoque aux catégories esthétiques d’art naïf ou d’art populaire[28].

Par ailleurs, si artistes et écrivains professionnels valorisent les pratiques artistiques autodidactes, ils envisagent aussi le dilettantisme sous un autre jour. En 1940, Claude Saulnier déprécie le comportement « antisocial[29] » des artistes dilettantes, perçus selon la perspective du matérialisme historique comme les représentants de la classe bourgeoise qui détient le monopole des loisirs. En revanche, l’auteur retrouve les traits psychologiques de l’autodidactisme dans des romans comme Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, et reconsidère le dilettantisme en individuant, dans le « sens ludique[30] », la pratique de la collection, de la contemplation, du bricolage ou de la copie des chefs-d’œuvre. Il enquête sur les arts visuels, mais limite son étude aux métiers intellectuels et libéraux : « On trouve tant de peintres amateurs parmi les médecins[31] ».

À l’exception d’Apollinaire, qui durant la Belle Époque défend les droits des amateurs et les formes d’art populaire, puis l’art des noirs ou des invalides de la Grande Guerre[32], les médiateurs de la création artistique professionnelle ne semblent pas avoir considéré très sérieusement les travaux des artistes dilettantes, en appréciant plutôt les productions anonymes de l’artisanat du front. Le critique d’art Louis Vauxcelles, visiteur du Salon des Armées, au Jeu de Paume de Paris, en janvier 1917, ne fait pas aucune mention des nombreux soldats artistes amateurs : « Il y avait des objets d’art, beaucoup de cannes sculptées, des briquets, des Kronprinz en bois, des douilles d’obus guillochées, […] et mille autres ingénieuses amusettes attestant l’inaltérable bonne humeur du poilu d’art[33] ».

Une patrimonialisation tardive

L’autodidactisme des soldats artistes amateurs comporte des interactions entre différentes formes d’engagement : militaire et professionnel, bien sûr, mais aussi social et esthétique. Edgar Morin a mis en évidence le fait que les pratiques d’engagement, artistique ou intellectuel, impliquent un rapport entre les activités créatives et ludiques. Il fait état d’une relation osmotique du plaisir esthétique avec, d’une part, le jeu ou le sport, et d’autre part, avec la foi religieuse ou la croyance magique : « Ce qu’au XXe siècle on a appelé engagement des artistes et des écrivains correspond à la prise de conscience d’une mission qui assume une dimension post-chamanique et post-prophétique[34] ». Ainsi, pour lui, la signification de l’engagement esthétique réside d’une part dans l’héritage de figures archaïques, et d’autre part dans la mise en représentation de l’expérience vécue. Dès lors, comme le suggère Marielle Macé, qu’il s’agisse de créations artistiques professionnelles ou amateurs, la fonction des styles ne réside pas dans la mise en circulation médiatique des artefacts, mais dans le partage de valeurs de reconnaissance, de formes de vie qui demandent « à étendre le domaine du style bien au-delà de la question de l’art[35] ».

De plus, les pratiques autodidactes ne sont jamais complètement séparées du marché du travail artistique : Pierre-Michel Menger souligne que les artistes dilettantes acquièrent parfois une « expertise valorisée[36] », que relaient les institutions étatiques comme l’école, l’église ou l’armée, certes, mais aussi les circuits économiques de l’édition et de l’exposition. Par ailleurs, il se demande si « la patrimonialisation croissante des productions culturelles et artistiques ne porte […] pas directement témoignage de l’historicité des actes de création[37] ». Or, en ce qui concerne l’histoire sociale et la mémoire culturelle de la Grande Guerre, la patrimonialisation des productions artistiques advient surtout par la commémoration de ses anniversaires.

Excepté le cas très particulier d’Adolf Hitler (1889-1945), qui avant son entrée en politique était un artiste dilettante et un ancien combattant[38], ou bien excepté d’autres personnalités peu connues comme le bordelais Charles Laquièze (1898-?[39]), la diffusion d’éditions de témoignages de soldats artistes amateurs coïncide avec le quatre-vingt-dixième anniversaire et le Centenaire de 1914-1918. La numérisation et la mise en ligne de documents contribuent largement à la connaissance des travaux de ces auteurs autodidactes. Par exemple, le Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre de 1914-1918 (CRID 14-18), en concomitance avec le festival « Les Journées du Livre » de Craonne (10-12 novembre 2006), diffuse deux dessins de Pierre-Alfred Nougarede (1868-1946, capitaine du 12e RI), conservés au Musée de la Résistance de Montauban, qui lui consacre en 2007 l’exposition rétrospective Hurtebise 1914[40]. Le 18 février 2008, les historiens Rémy Cazals et Cédric Marty publient en ligne les dessins de Pierre Dantoine (1884-1955, préfet de l’Aude), jusque-là très peu diffusés[41]. Déjà en 2004, Stéphane Audoin-Rouzeau avait signé la postface au carnet de guerre de Gaston Lavy (1875-1949, géomètre et métreur en bâtiments[42]), prototype de ce genre d’éditions de témoignages. L’activité conjointe des historiens professionnels, des conservateurs du patrimoine et des collectionneurs, permet la diffusion mondialisée, ainsi que la valorisation patrimoniale de ces travaux d’autodidactes via l’écosystème médial et sociopolitique de l’internet.

L’activisme mémoriel du Centenaire a accru les publications en ligne[43]. Cette patrimonialisation tardive revalorise les témoignages de photographes amateurs[44], de peintres ou de dessinateurs, ainsi que les productions artistiques de soldats anonymes[45]. Ces documents, acquis notamment par les dons des familles ou des anciens soldats eux-mêmes, sont pour la plupart conservés dans les archives, à moins qu’ils proviennent d’initiatives privées ou associatives. L’historien Aldo Battaglia, conservateur à La Contemporaine (Nanterre), revient sur ce processus de valorisation patrimoniale dans le catalogue de l’exposition Vu du front. Représenter la Grande Guerre (Musée de l’Armée, Paris, 2014), en soulignant les enjeux esthétiques des témoignages artistiques d’anciens combattants : « Les œuvres ayant statut de témoignage sont principalement le fait de combattants engagés au front, qu’il s’agisse d’artistes professionnels ou d’amateurs, dont les œuvres ne sont pas nécessairement destinées à la diffusion[46] ». Relayant cette exposition commémorative, les maisons d’édition, les plates-formes numériques ou les réseaux sociaux ont contribué à une plus large diffusion des travaux des soldats artistes amateurs. En France, le label de la mission du Centenaire a favorisé la publication des carnets de guerre des administrateurs Maxime Bourrée (1892-1984)[47] et Henri Camus (1893-1989)[48], du dentiste Léon-Antoine Dupré (1897-1959)[49], ou encore les « pages d’album[50] » du médecin auxiliaire au 411e RI, 3e bataillon, Jean Fontaine (dates inconnues) ; aux États-Unis, Celeste-Marie Bernier a publié une édition scientifique de l’œuvre du peintre noir autodidacte Horace Pippin (1888-1946, portier d’hôtel)[51] ; alors qu’en République Tchèque, le ministère de la Défense, en partenariat avec la fondation Poti Miru, a publié en ligne le carnet de guerre du soldat de 17 ans Jaroslav Brda (1897-?[52]), un document iconotextuel contenant 180 illustrations et plus de 400 feuilles manuscrites.

 

Le défi des salons militaires

Dès lors, la meilleure démarche à suivre pour identifier les soldats artistes amateurs est de repérer leurs traces dans les éditions scientifiques de témoignages, ou dans les catalogues d’exposition, plus précisément ceux des salons militaires de la Grande Guerre, qui parfois mêlent parmi les exposants artistes professionnels et dilettantes. Le contexte de la guerre et la fréquentation des armées constituent les déclencheurs de la dimension vocationnelle des pratiques artistiques autodidactes parmi les soldats, comme le dessin ou la peinture, procédés de création plus faciles à apprendre que la sculpture ou la gravure. L’exercice en autodidacte de ces pratiques artistiques passe par l’utilisation d’outils légers, comme les stylos-plumes, les crayons, les pastels ou les boîtes d’aquarelles, ainsi que de supports portatifs comme les carnets, les lettres ou les cartes postales, ces dernières utilisables au front comme format pour dessiner ou peindre. À travers les expositions artistiques de la guerre, les armées se font les promotrices de la valorisation sociale et économique des amateurs, en plus de l’artisanat du front ou des travaux de soldats invalides. Lorsque l’artisanat du front ou des ateliers d’invalides se présente sur les étagères des décors, dans les salons militaires, les travaux d’artistes dilettantes sont présentés aux côtés d’œuvres graphiques et picturales d’artistes de renom, parfois d’artistes modernes ou d’avant-garde.

Représentativité des expositions artistiques

Pour autant, les salons militaires constituent un défi esthétique et sociopolitique pour les soldats artistes amateurs, confrontés aux professionnels selon une dynamique d’émulation créative que les chroniqueurs de l’époque ont souvent négligé de raconter. À l’instar de Louis Vauxcelles[53], un chroniqueur anonyme du Salon des Armées, organisé par le commandement de l’armée française avec le Bulletin des Armées de la République, s’adresse manifestement à un public d’amateurs, mais sans mentionner les dilettantes exposants : « L’empressement extraordinaire des artistes combattants à y participer en a fait un véritable musée de l’Art pendant la guerre, où les amateurs trouveront, plus tard, des documents d’une inappréciable valeur[54] ». Claire Maingon, faisant un bilan historiographique des expositions parisiennes de 1914-1918, en conclut que « [l]es nombreuses expositions d’artistes soldats furent souvent le fait d’artistes méconnus, à tel point que la question se pose de savoir si ce n’est pas la guerre elle-même qui les a faits puis consacrés artistes[55] ». En particulier, le Salon des Armées « eut la particularité de mélanger des travaux d’artistes amateurs et professionnels[56] ». Il faut ajouter à ce grand salon militaire parisien (22 décembre 1916-22 février 1917, Jeu de Paume) six expositions plus petites, qui se sont tenues dans les provinces françaises entre 1915 et 1916 environ : l’Exposition « Marmita » de l’organe artistique du 267e Régiment d’Infanterie (mai 1915, non localisée[57]), l’Exposition des œuvres de la tranchée organisée par le 101e Régiment d’Infanterie (été 1915, Mourmelon-le-Petit, Grand Est[58]), le Salon d’Automne de la 66e Division (10-24 octobre 1915, Wesserling, Grand Est), le Salon des Poilus du C. A. [Corps d’Armée] (dates inconnues, Saint-Rémy[59]), le Salon des Artistes Mobilisés (mai 1916, Troyes, Grand Est[60]) et le Salon de la IIIe Armée (1-14 octobre 1916, Compiègne, Hauts-de-France). Entre le printemps de 1915 et l’hiver 1916-1917, à minima sept expositions collectives réunissent les travaux de soldats artistes amateurs cherchant à s’exprimer en tant que combattants ou en tant que soldats mobilisés au travers de la représentation du conflit armé : portraits, paysages, scènes allégoriques, folkloriques ou pittoresques, s’exposent dans ces salons militaires qui ont généralement un catalogue, une affiche promotionnelle, un jury, des concours décernant des prix et la presse s’en fait l’écho en publiant comptes rendus et reportages[61].

Au Salon des Armées, Marcel Mullot (dates inconnues, officier d’approvisionnement du 8e C. A.) présente Le Poilu’s Music-Hall [Fig. 6], une peinture à l’huile qui figure les soldats du 8e Corps d’Armée assistant à un spectacle de music-hall dans les arrière-lignes du front. Sous un chapiteau, les soldats sont réunis devant l’orchestre et les comédiens du « Théâtre des Armées ». De part et d’autre de la scène, les affiches annoncent des spectacles patriotiques. L’inscription du cartouche cloué à la surface du tableau reprend l’enseigne centrale du théâtre des « poilus ». Mullot peint la scène sur un mode narratif, ludique et plaisant, mais ne néglige pas les enjeux symboliques de la situation. Le choix stratégique du cadre, orné et figuré, redouble l’intensité dramatique de l’épisode, par son allusion à la condition des soldats, ainsi qu’à la mélancolie de leurs familles. D’un côté, les emblèmes de l’armée française ; de l’autre, délimité par deux feuilles de laurier, des enfants participent à un théâtre de guignols, tandis qu’un des petits traîne une marionnette à fil, entassée dans la partie inférieure du cadre avec deux autres pantins, un masque de comédie et des objets musicaux, à la façon d’un dépôt de jouets. Il s’agit d’une composition picturale aussi simple qu’intense, qui témoigne du plaisir esthétique et du divertissement des soldats devant à la mise en scène du music-hall. L’auteur de ce tableau est un officier français, dont le nom ne figure pas dans les dictionnaires ou les catalogues. Il s’agit bien d’un artiste dilettante, un soldat amoureux de la peinture ayant exposé cette toile « P.[as] à v.[endre][62] » au Salon des Armées, aux côtés d’artistes professionnels comme André Dunoyer de Segonzac, Ossip Zadkine, André Fraye ou Jules Flandrin.

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Fig. 6 : Maurice Mullot, Le Poilu’s Music-Hall, 1916, huile sur toile, dimensions et localisation inconnues, reproduction photographique de la Section Photographique de l’Armée (janvier 1917), La Contemporaine, Nanterre [VAL 356/161]. Cliché-photo : Marco Falceri.

Exemplarité des « journaux de tranchée »

Les salons militaires diffusent largement les travaux d’amateurs, sans doute mieux encore que les « journaux de tranchée » distribués aux bataillons et produits en retrait du front, entre les villages ruraux et les centres urbains. Ces journaux satiriques, souvent dirigés ou fréquentés par des artistes ou écrivains, comme La Ghirba d’Ardengo Soffici ou Le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière, héritent de la Belle Époque le genre hybride et parodique du comique troupier[63], déployant caricatures, vignettes, devinettes, récits, chansons ou pièces de théâtre à l’adresse d’un lectorat principalement masculin et grivois, à des fins de propagande patriotique. Si certains soldats artistes amateurs doués de verve satirique y collaborent occasionnellement, les « journaux de tranchée » recrutent cependant des professionnels de l’écriture ou de l’illustration, y compris des artistes et écrivains d’avant-garde. Pour autant, la présence d’artistes dilettantes dans ces parutions (imprimées ou manuscrits) peu régulières doit être nuancée, même si la circulation croissante des journaux militaires aux armées, tant sur le front qu’à l’arrière, y compris lors des expositions, aurait pu stimuler de façon indépendante l’exercice de pratiques créatives et genres artistiques comme la caricature, la vignette ou l’illustration satirique[64]. Dotées de cadres ornementaux et de légendes explicatives, les « pages d’album » de Jean Fontaine [Fig. 7], extraites de ses carnets de guerre et exposées au Salon des Armées, auraient pu constituer des croquis grivois pour illustrer un journal militaire : ici, deux poilus confabulent en marchant, en faisant allusion au mythe de l’absence des femmes comme « autre risque » de partir au front, en plus de la mutilation ou de la perte de la vie[65].

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Fig. 7 : Jean Fontaine, Vénus ou l’autre risque, 1916 ca., encre noire de plume sur papier collé sur carton, dimensions inconnues, La Contemporaine, Nanterre. L’Argonnaute [OR SA 00011].

Témoignages iconographiques : la comédie dans la tragédie

La manière ludique et plaisante de Marcel Mullot [Fig. 6], qui raconte des histoires en exploitant la bordure du tableau, se retrouve tout aussi bien dans une peinture d’Horace Pippin, un artiste noir de New York qui représente de mémoire un assaut du 369e RI (Harlem Hellfighters) sous les bombardements aériens [Fig. 8]. Des pièces en bois, entaillées et peintes, figurent les armes destructrices introduites massivement durant la Grande Guerre : masques à gaz, grenades et tanks. Ces objets de bois, sorte de jouets, sont collés au cadre du tableau, couvert de craquelures alors qu’il date du début des années 1930 ; l’effet pictural suggère son caractère mémoriel. Témoin oculaire des combats, blessé et invalide, Pippin est non seulement un artiste autodidacte, mais aussi un soldat combattant. Le désignant par le terme de « Self-Made Soldier Artist[66] », Celeste-Marie Bernier a reconstitué sa trajectoire singulière : vers la fin des années 1930, portier d’hôtel noir amoureux de la peinture, Pippin rencontre un important galeriste américain, Forbes Watson, qui fait sa promotion sur le marché de l’art new-yorkais. Nonobstant son statut d’autodidacte, Pippin devient un artiste publiquement reconnu, à l’instar de deux dessinateurs français, Pierre Dantoine (1884-1955, employé de préfecture) et Henri Camus (1893-1989, administrateur), qui s’affirment professionnellement comme artistes au cours des années 1930[67].

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Fig. 8 : Horace Pippin, The Ending of the War: Starting Home, 1930-1933 ca., huile sur toile, 25x30 cm, Philadelphia Museum of Arts, acquis en 1941 par donation de Robert Carlen. Cliché-photo : Marco Falceri.

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Fig. 9 : Gaston Lavy, Retour, in Un de la territoriale, 1914-1918, s. d. (entre 1920 et 1936 ca.), carnet de guerre (aquarelle, crayon et encre sur papier), vol. 3, f. 70, La Contemporaine, Nanterre. L’Argonnaute [OR 4029].

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Fig. 10 : Jaroslav Brda, Vzpomínky z války [Souvenirs de guerre], s. d. (entre 1920 et 1937 ca.), carnet de guerre (aquarelle, crayon et encre sur papier), vol. 1, n.p., Ministerstva obrany ČR, Prague.

Pour les soldats artistes amateurs, surtout pour les anciens combattants, la Grande Guerre constitue une expérience indéniablement douloureuse, mais aussi réflexive et remémorative. Leurs travaux, pour la plupart intimes ou domestiques, ne sont conçus ni pour poursuivre une carrière professionnelle, ni dans un but lucratif. Leurs productions artistiques et culturelles matérialisent des modalités d’existence ou de survivance. Il en va différemment pour les écrivains et surtout les photographes dilettantes, lesquels n’ont pas d’accès aux expositions, mais participent à des concours à prix lancés par les magazines comme « Le Miroir, J’ai vu ou Le Flambeau[68] », afin de gagner des récompenses. Plus rarement pourtant, comme en attestent les biographies de Pippin, Dantoine, Camus, ou des peintres naïfs Bauchant et Bombois, leurs heureuses rencontres avec les médiateurs de la création artistique professionnelle permettent d’obtenir une certaine reconnaissance publique. En revanche, il arrive que la carrière d’un autodidacte se construise par le retournement de stigmates identitaires, comme pour Pippin, étiqueté sous le sobriquet raciste de « Negro Painter[69] » par une partie de la critique d’art.

Peintures, dessins et écritures illustrées

Rares exceptions faites, les travaux de ces autodidactes acquièrent une valeur artistique et un statut documentaire lors d’un legs des héritiers. Il s’agit de peintures, mais surtout de productions artistiques de petit format, comme les dessins, les aquarelles et notamment les carnets de guerre, objets hybrides et manuscrits, mêlant écritures de textes, dessins et photographies, qui s’avèrent produits surtout de mémoire : les anciens combattants Lavy (Un de la territoriale, 1914-1918), Dupré (Carnet de route d’un gosse de tranchées) et Brda (Souvenirs de guerre) rédigent des carnets de guerre associant illustration et calligraphie, sans s’épargner les représentations des combats d’infanterie [Fig. 9 et 10].

Qu’il s’agisse de peintures, aquarelles, dessins, ou bien de carnets composés ou recomposés dans l’après-coup, ces témoignages iconographiques du plaisir esthétique des soldats font alterner les épisodes dramatiques des combats, les récits de blessure ou de captivité, les épisodes de sociabilité ou de camaraderie au front, ou encore les situations de l’arrière. Souvent, les documents iconotextuels, comme les carnets ou les lettres illustrées, assimilent faits divers, rumeurs ou fausses nouvelles de la guerre, en en détournant les poncifs par les stratégies figuratives et narratives les plus disparates. Atteignant quelquefois des quantités imposantes de feuilles manuscrites et d’illustrations, ces écritures illustrées présentent une variété remarquable de poétiques (qui oscillent du comique au tragicomique) et de registres de figuration (qui varient entre les deux pôles du statique et du dynamique). Il s’agit pour la plupart d’épisodes historiés, mettant en scène des rapports de force ou bien des relations sentimentales. En revanche, même si l’on retrouve de nombreux autoportraits, portraits et paysages dans les feuilles illustrées des carnets, les autodidactes se profilent généralement peu talentueux dans la représentation des traits du visage ou des détails du paysage. Lavy et Dupré, par exemple, s’aident avec la photographie, alors que Brda pratique largement la caricature. Enfin, à la façon de la pratique communément répandue du bricolage textuel, les écritures illustrées sont elles-mêmes de caractère hybride. Ainsi, les carnets recomposés transforment parfois les correspondances en journaux de guerre, avec ou sans ajouts, en privilégiant dans la narration visuelle et textuelle l’itinéraire géographique du soldat. Brda et Dupré procèdent de cette façon.

Travaux autodidactes de soldats anonymes

Les éditions et les expositions de témoignages ne concernent pas seulement des auteurs bien identifiables, mais aussi quelques soldats anonymes mis en lumière au travers d’initiatives particulières, associatives ou publiques. En 2018, la maison d’édition parisienne Espaces & Signes publie le Carnet de dessins d’un poilu[70], relatant le témoignage d’un officier français de 39 ans du 23e RIT (An. I, 1875-?). Il ne s’agit pas d’un carnet de guerre, mais d’un recueil de lettres illustrées retrouvées dans une plaquette en cuir intitulée Souvenirs. Datées du 2 mars jusqu’au 5 septembre 1915, ces lettres et dessins figurent l’aventure d’un officier subalterne de l’armée territoriale, combattant sur le front des Vosges, en Alsace, jusqu’à sa blessure et son transfert à l’hôpital de Lyon[71].

Déjà l’exposition Vu du front (2014) mettait en avant les travaux de soldats anonymes[72], dans l’espace public du Musée de l’Armée. Y figurait la peinture d’un soldat allemand (An. II) conservée à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne [Fig. 11], mitrailleur d’infanterie, mettant en scène l’assaut repoussé d’un bataillon de zouaves sur le front occidental, en France, aux alentours de Soissons, dans la bataille de l’Aisne. Le combat s’est déroulé le 17 septembre 1914, lors de la première phase de la « guerre de mouvement », mais la peinture a été exécutée de mémoire, en utilisant comme support l’omoplate d’un cheval. Sur l’envers (non reproduit dans le catalogue), vingt-quatre noms des « camarades de l’auteur de cette peinture[73] » sont inscrits, parmi lesquels devrait figurer aussi le sien, dont la signature abrégée se repère sur le droit en bas à gauche.

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Fig. 11 : An. (Allemand), Deutsche Maschinengewehrabteilung fangt den Sturmangriff der Zuaven in Nähe von Soissons ab (17.9.1914) [Mitrailleuses allemandes brisant l’assaut de zouaves près de Soissons], s. d. (après 1915), huile sur os (omoplate de cheval), 40x26.5x12.5 cm, Historial de la Grande Guerre, Péronne [INV. 010470]. Cliché-photo : Marco Falceri.

Comme dans les autres peintures d’artistes autodidactes, le plaisir de raconter est combiné au goût du décoratif, même si dans ce cas [Fig. 11], de manière analogue à celui de Pippin [Fig. 8], le récit visuel remémore l’expérience douloureuse et traumatisante des combats. L’appréciation esthétique des productions anonymes passe par le collectionnisme privé, domaine où les curieux rassemblent livres, estampes, journaux, équipements, engins, uniformes, mais aussi dessins ou peintures de la Grande Guerre achetées dans les marchés aux puces ou chez les antiquaires. Ces collectionneurs, comme naguère les amateurs d’antiquités, accumulent ces objets qu’ils exposent lors de rencontres associatives, diffusent via les réseaux sociaux ou dans les cercles pratiquant l’activisme mémoriel dans une perspective pacifique et communautaire. Une peinture à l’huile issue d’une collection privée [Fig. 12] représente le combat du 10 juillet 1916 sur le Mont Corno, au front italo-autrichien, qui s’achève avec la capture du héros national Cesare Battisti (1875-1916), intellectuel et lieutenant emprisonné, condamné à mort puis exécuté par pendaison[74]. Cette toile ne comporte pas de signature, contrairement aux deux exemples précédents[75]. Rien de permet d’identifier l’auteur (An. III), sinon les dires du collectionneur, lequel affirme qu’il s’agit d’une peinture réalisée dans les années 1920 par un « fantassin italien[76] » témoin du combat, mais précisant aussi que le tableau s’inspire d’une œuvre picturale d’un professionnel autrichien des Beaux-Arts. En rapprochant les images des deux tableaux, celui du peintre amateur et celui du professionnel, certains détails agencent des dissemblances figuratives, qui confèrent au tableautin anonyme la portée significative d’un commentaire sociopolitique. Il s’agit des baïonnettes des fusils renversées, ou plantées au sol, qui ne figurent pas dans le modèle pictural, convoquant un imaginaire antihéroïque en contraste avec la rhétorique monumentale des années 1920 et 1930. En effet, l’atmosphère grave de l’épisode du tableau original s’avère allégée, certes dramatique, mais plus spontanée, car les soldats ont perdus leurs postures et connotations viriles, acquérant des allures modérées et des statures enfantines.

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Fig. 12 : An. (Italien), Sans titre [Le combat avant la capture de Cesare Battisti sur le Mont Corno, 10 juillet 1916], s. d. (après 1918), huile sur toile, 69x56 cm, coll. Ivan Damin. Cliché-photo : Marco Falceri.

 

Conclusion

Lorsque l’on compare les dessins ou les peintures de ces artistes autodidactes, il est tentant de les apprécier via les catégories de l’art naïf ou de l’art populaire. Pourtant, ces attributions stylistiques se feraient par le regard esthétisant de l’art moderne, sans tenir compte de la diversité des origines sociales ni des engagements esthétiques des témoins visuels ou indirects du conflit armé. Quant aux expériences des soldats artistes amateurs, il faut éviter d’entreprendre une lecture trop orientée de la trajectoire biographique, ou de déprécier les modalités d’apprentissage ou les usages expérimentaux des procédés de création artistique. Parfois, l’acquisition de compétences par l’autodidaxie débouche sur une expertise valorisante au sens technique, économique et juridique du terme, donnant suite à une carrière professionnelle, voire à une reconnaissance publique. Mais, la plupart du temps, ces productions demeurent du domaine de l’intime et de l’éphémère : peintures, dessins, lettres et carnets de guerre ne sont montrés souvent qu’à l’occasion d’une exposition militaire, la plupart du temps sans être mises en vente, le plus souvent conservés dans les souvenirs des familles. Les enjeux de ces productions engagent la narrativité visuelle et iconotextuelle, l’hybridation des formats, la pluralité des registres poétiques et rhétoriques, tandis que la fonction des styles, autant de manières pour représenter la guerre, ne présuppose pas l’objectivité toute-puissante du réalisme. Pour conclure, une pratique autodidacte de l’art visuel ne signifie pas pour autant qu’elle soit autodirigée ou autorégulée. Même les artistes autodidactes éprouvent la nécessité de se procurer des outils, de choisir des modèles, car foncièrement ces amateurs se délectent, aussi bien par leurs plaisirs esthétiques que par leurs inspirations créatives.


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[1] Voir Friedrich von Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme [1943], traduit de l’allemand par Robert Leroux, Paris, Aubier, « Domaine allemand bilingue », 1992 [Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen, 1795-1796].

[2] Ibid., p. 136.

[3] Par exemple, dans l’Italie pré-unitaire, le dilettantisme acquiert un statut académique avec les Esposizioni delle Opere di Artisti e Dilettanti (1823-1846) promues par les sociétés de Beaux-Arts. Voir Fernando Mazzocca (dir.), « Il dilettantismo », Scritti d’arte del primo ottocento, dans Raffaele Mattioli, Pietro Pancrazi et Alfredo Schiaffini (dir.), La letteratura italiana. Storia e testi, vol. 73, Milan-Naples, Riccardo Ricciardi Editore, 1998, p. 312.

[4] À la fin du XIXe siècle, certains manuels illustrés en format poche de peinture, dessin, photographie ou arts appliqués, s’adressent directement à un public de dilettantes. Voir Luigi Gioppi, Dizionario fotografico ad uso dei dilettanti e dei professionisti, Milan, Hoepli, 1892. Giuseppe Ronchetti, Manuale di pittura per i dilettanti, Milan, Hoepli, 1900.

[5] Voir Fernando Mazzocca (dir.), « Il dilettantismo », Scritti d’arte del primo ottocento, dans Raffaele Mattioli, Pietro Pancrazi et Alfredo Schiaffini (dir.), La letteratura italiana…, op. cit., p. 319.

[6] La figure paradoxale de l’artiste « raté » constitue un marqueur de l’âge romantique, où les arts visuels entrent en « régime vocationnel » et les diplômes académiques perdent une part de leur légitimité dans le marché du travail artistique. Voir Nathalie Heinich, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique [2005], Paris, Gallimard, « Folio essais », 2018, p. 44 et 91.

[7] Maarten van Buuren, « Le dilettantisme, style de vie », Poétique, vol. 137, n°1, 2004, p. 53-71 (DOI : https://doi.org/10.3917/poeti.137.0053, 13/12/2021).

[8] Joëlle Stoupy, « La mode intellectuelle du dilettantisme aux alentours de 1890 à Vienne et le jeune Hofmannsthal », Germanica, n°43, 2008, p. 65-74 (DOI : https://doi.org/10.4000/germanica.556, 13/12/2021).

[9] Autour de la notion d’autodidactisme, Anne Souriau propose une réflexion féconde, en distinguant trois situations spécifiques d’apprentissage éducatif : l’adidacte qui incarne quelconque initié pratiquant un art, l’autodidacte qui se forme grâce aux expériences et aux sources découvertes, et l’hétérodidacte qui reçoit un enseignement partiel des maîtres. Voir Anne Souriau, « Autodidacte », dans Étienne Souriau (dir), Vocabulaire d’esthétique [1990], Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2010, p. 211-214.

[10] Voir Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front. Représenter la Grande Guerre, Paris, Somogy, 2014. An. (dir.), Carnet de dessins d’un poilu, Paris, Espaces & Signes, « Témoignages », 2018.

[11] Les termes « amateur » et « dilettante », synonymes et homologues, désignent la dimension du plaisir esthétique à pratiquer un ou plusieurs arts, ainsi que la relation de proximité et distance du professionnalisme. Si l’amateur désigne l’habitus social, le dilettantisme en constitue sa manière, son style. Voir Anne Souriau, « Amateur », ibid., p. 93. Rainer Rochlitz, « Dilettante/Dilettantisme », ibid., p. 617.

[12] Voir Renaud Dulong, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, « Recherches d’histoire et de sciences sociales », 1998.

[13] Voir Carole Dornier et Renaud Dulong (dir.), Esthétique du témoignage, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2005. Paul Bernard-Nouraud et Luba Jurgenson (dir.), Témoigner par l’image, Paris, Pétra éditions, « Usages de la mémoire », 2015.

[14] Anne Souriau, « Amateur », dans Étienne Souriau (dir), Vocabulaire d’esthétique, op. cit., p. 94.

[15] En 1914-1918, les modalités d’enrôlement militaire se distinguent en fonction des formes d’assentiment ou de consentement des citoyens aux contraintes sociales et juridiques de la mobilisation générale. Voir Frédéric Rousseau (dir.), La Grande Guerre des sciences sociales, Outremont, Athéna éditions, « Histoire militaire », 2014.

[16] Pour un répertoire illustré de la documentation administrative, voir André Loez et Nicolas Offenstadt, La Grande Guerre. Carnet du Centenaire, Paris, Albin Michel, 2013, p. 126-129.

[17] La pratique artisanale comporte l’acquisition d’un savoir-faire et d’une maîtrise technique, alors que les inscriptions manuelles ne requièrent pas forcement un savoir acquis ni de formation préalable. Voir Anne Souriau, « Autodidacte », dans Étienne Souriau (dir), Vocabulaire d’esthétique, op. cit., p. 211.

[18] Voir Stéphane Audoin-Rouzeau, « Les objets : une source ? », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 90-96. Bertrand Tillier, Déjouer la guerre ? Une histoire de l’art des tranchées, 1914-1918, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, « Cultures visuelles », 2019.

[19] Nicholas J. Saunders, Trench Art. Materialities and Memories of War, New York, Berg, 2003.

[20] Voir Stéphane Audoin-Rouzeau, « Les objets : une source ? », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 93. Bertrand Tillier, Déjouer la guerre ? Une histoire de l’art…, op. cit., p. 77. André Loez et Nicolas Offenstadt, La Grande Guerre…, op. cit., p. 131.

[21] Voir Thierry Hardier, Traces rupestres des combattants (1914-1918), Senones, Crid 14-18/Edhisto, « 1914-1918 », 2021.

[22] Parmi ces initiatives, assurées par les municipalités, en partenariat avec les hôpitaux et les entreprises, il faut signaler les ateliers municipaux lyonnais du Château de la Buire et de Tourvielle, spécialisés dans la fabrication de jouets et dans l’horticulture. Entre 1914 et 1916, une soixantaine de Centres de rééducation professionnelle pour invalides ouvrent en France, comme en Belgique, Italie, Autriche et Allemagne, alors qu’en Grande-Bretagne et aux États-Unis leur fonctionnement dépend plus strictement des hôpitaux privés. Voir Adolphe d’Espine, « La rééducation professionnelle des mutilés de guerre », Revue Internationale de la Croix-Rouge, a. III, n° 36, 15 décembre 1921, p. 1187-1196. Roger Milès et François Thiébault-Sisson (dir.), Exposition des Travaux des Mutilés de la Guerre, Paris, Musée Galliera, 1916.

[23] Voir Victor Hendricx (dir.), Première Exposition Interalliée des Œuvres et des Travaux des soldats invalides de la Guerre 1914-1918, Gand, Section des Aveugles, 14-22 avril 1923.

[24] Voir Ivanne Rialland, « Douanier Rousseau et les poètes : éloge du non-savoir ? », L’Âge d’or, n°11, 2018 (DOI : https://journals.openedition.org/agedor/3217, 22/09/2021).

[25] La première exposition d’art naïf présente neuf peintres, confrontant deux générations d’artistes français d’origine populaire : Henri Rousseau (commis de seconde classe de l’Octroi de Paris), Louis Vivin (employé des Postes), Camille Bombois (ouvrier du Métro de Paris), André Bauchant (horticulteur), Maurice Utrillo (sans-emploi), Dominique Peyronnet (imprimeur), Séraphine de Senlis (femme de ménage), Jean Ève (ouvrier de fonderie) et Adolf Dietrich (ouvrier du textile). Voir Raymond Escholier et Maximilien Gauthier (dir.), Les Maîtres populaires de la réalité, Paris, Musée de Grenoble, 1937.

[26] André Bauchant (URL : http://galeriedinavierny.fr/artistes/bauchant-andre/, 22/09/2021).

[27] Camille Bombois (URL : http://galeriedinavierny.fr/artistes/bombois/, 22/09/2021).

[28] Si la naïveté permet d’interpréter certaines expressions autodidactes ou spontanées en peinture, durant la Grande Guerre, la notion d’art populaire se superpose avec celle d’imagerie patriotique. Barbara M. Jones et Bill Howell avaient thématisé les « arts populaires » en tant que productions industrielles, miniaturisées et sérielles, d’usage domestique et propagandiste, comme les cartes postales, les jouets ou les bibelots. Voir Barbara M. Jones et Bill Howell, Popular arts of the First World War, Londres, Studio Vista, 1972.

[29] Voir Claude Saulnier, Le Dilettantisme. Essai de psychologie, de morale et d’esthétique, Paris, Vrin, 1940, p. 14.

[30] Ibid., p. 556.

[31] Ibid., p. 494.

[32] Voir Claire Bernardi, Laurence Campa, Laurence Des Cars, Cécile Girardeau, Marie Gispert, Catherine Moore et Mark Moore, « Bibliographie sur Guillaume Apollinaire », dans Marie Gispert et Catherine Méneux (dir.), Bibliographies de critiques d’art francophones, mis en ligne en janvier 2017 (URL : http://critiquesdart.univ-paris1.fr/guillaume-apollinaire, 6/10/2021).

[33] Louis Vauxcelles, « Le Salon des Armées », Le Carnet des artistes, n°1, février 1917, p. 14.

[34] « […] ciò che nel XX secolo si è chiamato engagement degli artisti o degli scrittori corrisponde alla presa di coscienza di una missione che assume una dimensione post-sciamanica e post-profetica » (trad. personnelle). Edgar Morin, Sull’estetica, traduit du français par Francesco Bellusci, Milan, Cortina, « Temi », 2019, p. 50 [Sur l’esthétique, 2017].

[35] Marielle Macé, Styles. Critique de nos formes de vie, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2016, p. 31.

[36] Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil, « La République des idées », 2002, p. 43.

[37] Ibid., p. 89.

[38] Dès 1907, Adolf Hitler pratique l’aquarelle. Il aspire à entrer dans l’Académie d’arts graphiques de Vienne, mais il n’est pas admis. Enrôlé dans l’armée allemande comme volontaire en 1914, il dessine des paysages sur le thème des ruines de Messines et de Fournes. Voir Ian Kershaw, Hitler, 1889-1945, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, « Grandes biographies », 2008, p. 82-83 [Hitler, 1999-2000].

[39] Dessinateur originaire de Bordeaux et compagnon de bataillon de l’historien normalien Jacques Meyer, Charles Laquièze fabrique de façon indépendante un album de dessins de guerre conservé dans les fonds de La Contemporaine. Voir Charles Laquièze, Visions de guerre, 1914-1918, s. l. et s. d. [O pièce 53436].

[42] Le carnet de guerre de Gaston Lavy, en trois volumes (Un de la territoriale, 1914-1918), est publié en reproduction fac-similé du centenaire. Voir Gaston Lavy, Ma grande guerre [2004], Paris, Larousse, 2014 (URL : https://argonnaute.parisnanterre.fr/Blog-des-collections/p32/Un-de-la-t…, 3/10/2021).

[43] Voir André Loez et Nicolas Offenstadt, La Grande Guerre…, op. cit., p. 215-217.

[44] Qui, à la différence des photographes professionnels, utilisent la pellicule en rouleau petit format (35 mm ou 55 mm) et les appareils portatifs (Detective, Foldign, Vest Pocket). Voir Caroline Fieschi, Christian Joschke et Anthony Petiteau, « Photographier la guerre en amateur », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 80-81.

[45] Voir An. (dir.), Carnet de dessins d’un poilu, op. cit.

[46] Aldo Battaglia, « Dessiner au front », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 98.

[47] Voir Alex Tixhon, Bénédicte Rochet et Lisa Lacroix (dir.), Souvenir de ma captivité en Allemagne, 1914-1918. Carnet de dessins de Maxime Bourrée, 2 vol., Namur, Presses universitaires de Namur, 2017.

[48] Voir Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 94-95.

[49] Voir Léon-Antoine Dupré, Carnet de route d’un gosse des tranchées, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2013.

[50] Voir Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 337-338.

[51] Voir Celeste-Marie Bernier, Suffering and Sunset. World War I in the Art and Life of Horace Pippin, Philadelphia, Temple University Press, 2015.

[52] Le carnet de guerre de Jaroslav Brda (Vzpomínky z válkySouvenirs de guerre) est réunit en trois volumes comme celui de Gaston Lavy (URL : https://kramerius.army.cz/search/i.jsp?pid=uuid:993663f5-1c04-4831-b02b…á%20fronta%201915-1918%22, 23/09/2021). Je remercie chaleureusement Adriana Zemanova pour les traductions du tchèque.

[53] Voir Louis Vauxcelles, « Le Salon des Armées », Le Carnet des artistes, art. cit.

[54] An., « Le ‘Salon’ des Armées est ouvert », Bulletin des Armées de la République, Paris, 27 décembre 1916, p. 6.

[55] Claire Maingon, « La Grande Guerre exposée à Paris. 1914-1918 », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 114.

[56] Idem.

[57] Voir François Robichon, « Les missions d’artistes aux armées en 1917 », dans Frédéric Lacaille (dir.), « Peindre la Grande Guerre 1914-1918 », Cahiers d’études et de recherches du Musée de l’Armée, n°1/2, 2000, p. 1 (URL : https://musee-armee.fr/fileadmin/user_upload/Documents/CERMA_extraits/M…, 13/12/2021).

[58] Idem.

[59] Voir Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 114 (fig. n°364).

[60] Voir Frédéric Lacaille (dir.), « Peindre la Grande Guerre 1914-1918 », art. cit.

[61] Ces sept salons rassemblent plus de mille artistes, pour la majorité dessinateurs ou peintres autodidactes : le catalogue du Salon des Armée présente une liste de 2 816 œuvres, celui du Salon d’Automne du 66e Division (incluant une Exposition du 229e Régiment d’Infanterie) liste 139 exposants. Voir Bulletin des Armées de la République (dir.), Salon des Armées de la République réservé aux artistes du front, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1916. An. (dir.), Salon d’Automne de la 66e Division, Saint-Amarin, s. n., 1915 (URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001104678102, 3/10/2021).

[62] Bulletin des Armées de la République (dir.), Salon des Armées…, op. cit., p. 27 (n°1187).

[63] Odile Roynette-Gland, « Le comique troupier au XIXe siècle : une culture du rire », Romantisme, vol. 3, n°161, 2013, p. 45-59 (DOI : https://doi.org/10.3917/rom.161.0045, 13/12/2021).

[64] Nos échantillons ne permettent pas d’attester la présence d’artistes amateurs dans les journaux militaires, qui attireraient plutôt les écrivains dilettantes. Voir Rémy Cazals et Frédéric Rousseau, 14-18, le cri d’une génération, Toulouse, Éditions Privat, « Entre légendes et histoire », 2001, p. 17-19.

[65] Jean Fontaine participe au Salon des Armées en présentant « cinq séries de croquis (Pas à vendre) ». Voir Bulletin des Armées de la République (dir.), Salon des Armées de la République…, op. cit., p. 13 (n°934-938).

[66] Horace Pippin produit un carnet de guerre vers 1921 et des nombreuses peintures à l’huile pendant les années 1930. Voir Celeste-Marie Bernier, Suffering and Sunset. World War I in the Art and Life of Horace Pippin, Philadelphia, Temple University Press, 2015, p. 101.

[67] En 1932, Pierre Dantoine publie un album de dessins de guerre lorsqu’il est chef de bureau à la préfecture de l’Aude. Henri Camus, qui lègue ses carnets de guerre au Musée de la Guerre de Vincennes (année 1920), aurait pu publier un album de dessins de guerre reproduits en héliotypie, après avoir exposé neuf dessins et aquarelles (pas à vendre) au Salon des Armées au Jeu de Paume de Paris. Il devient membre de la Société des peintres animaliers. Voir Pierre Dantoine, La Guerre vue par Dantoine, Carcassonne, Imprimerie Rennes, 1932. Bulletin des Armées de la République (dir.), Salon des Armées…, op. cit., p. 6 (n°375-383).

[68] Voir Caroline Fieschi, Christian Joschke et Anthony Petiteau, « Photographier la guerre en amateur », dans Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 83.

[69] Voir Celeste-Marie Bernier, Suffering and Sunset…, op. cit., p. 16-21.

[70] Voir An. (dir.), Carnet de dessins d’un poilu, op. cit.

[71] Par les historiques régimentaires ou les registres de l’armée française, il aurait été d’ailleurs possible de retrouver l’identité de ce soldat anonyme.

[72] Voir Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 275.

[73] Idem.

[74] La capture et l’exécution de Cesare Battisti, médiatisées par la propagande nationaliste tantôt austro-hongroise, tantôt italienne, ont fasciné les artistes visuels depuis les années 1910. Dans l’Italie fasciste, Battisti est considéré l’un des « martyrs de la patrie », devenant une icône de la rhétorique impérialiste. Voir Laura Dal Prà, « Artisti per Battisti. Prima e dopo », dans Laura Dal Prà (dir.), Tempi della storia, tempi dell’arte. Cesare Battisti tra Vienna e Roma, Trente, Provincia Autonoma di Trento, « Castelli in mostra », 2016, p. 383-401.

[75] An. (dir.), Carnet de dessins d’un poilu, op. cit., p. 8. Musée de l’Armée et Bibliothèque Documentation Internationale Contemporaine (dir.), Vu du front…, op. cit., p. 275.

[76] En 2016, Ivan Damin, que nous remercions, a acheté le tableau chez un brocanteur pour 150 €. Cette peinture a été retrouvée dans un appartement vide de la province de Trente (Italie), près d’une ancienne ligne du front. Selon l’hypothèse du propriétaire, il s’agirait du témoignage mémoriel d’un ancien combattant ayant vu un tableau pour en faire une interprétation plus véridique. En historien autodidacte, Ivan Damin s’est documenté, retrouvant le tableau modèle de la copie dans un livre d’histoire militaire (F. Geldegger, La cattura di Cesare Battisti nel combattimento di Monte Corno, non localisé). Voir Claudio Gattera, Carlo Calenco et Giovanni Menotti, Cesare Battisti e Fabio Filzi. Ultimo Atto. La verità sull’attacco al Corno di Vallarsa, Novale di Valdagno, Gino Rossato Editore, 2008, fig. p. 154.

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